La matinée d’un parano.

Je n’en peux plus. Je dois être parano.

Si c’est le cas, c’est pour ma survie.

Survivre ? Mais à quoi ? Attendez un peu, je vais vous dire comment se passe une de mes matinées.

*

D’abord, prendre un café noir, bien noir, puis un autre, noir, encore plus noir car ça démarre fort dès le matin, avec Jean-Jacques Bourdin, Eric Brunet ou Patrick Cohen ou Aphatie-Toussaint si calmes devant LeMaire, si violents devant le moindre opposant. J’ai dit «violent» ? Oui, j’ai dit, je ne retire pas. Les Aphatie, les Bruce Toussaint, je les connais, une cinquantaine d’exemplaires sur la Place de Paris, des clones, des penseurs à la Pensée Unique qui se pensent uniques, vous me suivez, hein ?

Une cinquantaine de personnes bien assises sur leurs sièges et quand ils en changent c’est pour en récupérer illico un ailleurs. Ailleurs ? Il n’y a pas d’ailleurs pour ce petit monde. Il n’y a qu’un Monde. L’autre jour, je suis devenu fou furieux, une énième crise de nerfs, incontrôlable que j’étais, je découvre que l’immonde et très gentil, bien propre sur lui, un certain Thomas Sotto d’Europe1, débarqué de la station Lagardère, retrouve le lendemain du taf sur France2. Je fais mon complément d’enquête sur son salaire, 37938 euros mensuels. Je suis parano, j’ai mes raisons.

Je change de radio. V’la Michel Boujenah qui parle de Mélenchon. Il en a peur. Un cas psychologique qu’il dit notre amuseur. Hein ? Quoi ? Tu voudrais l’envoyer au Goulag pour retrouver ta sérénité de bateleur à la con ?

Une cinquantaine de personnes que je vous dis, des experts, des personnes qui pensent qu’elles sont extrêmement importantes, qui co-construisent ce qu’ils appellent l’Actualité, le Réel, la Réalité. Des Commères de l’Evènement, Concierges de l’Elysée, Cireurs de pompes du Medef. Comment ça, je me trompe ? J’en ai vu à leurs Assises, ils sont en tribune patronale, ils attendent leur tour pour causer au micro, devant les caméras BFMTV, ils sourient, ils classent leurs papiers puis ils causent, du Enthoven dans le texte, oh pour ça oui, ils causent non pas de licenciement mais de «plan de sauvetage de l’emploi», ils ne causent jamais de salaires mais de «variables d’ajustement» etc, etc.

L’autre jour j’en ai écouté un, ça pourrait aussi bien être Christophe Barbier que Dominique Reynié, un Perri, Perrineau, Pénicaud je ne sais, ou un Calvi. Des journaleux faussement bêtas, des experts bouffis d’orgueil, faut les voir ces saligauds, porte-voix de la Finance, on nous dit qu’ils ont été «invités». Invités, tu parles ! Facile de connaître ce petit Monde. Ils sont une cinquantaine. Souvent, on voit sur l’écran les bandeaux, sociologues, politologues, professeurs à Science-Po ou encore Experts avec Instituts en toute sorte d’initiales, think tankers grassement rémunérés par les Boss du Cac40, Lagardère en tête avec Maximal Production qui te fabrique des C’est à Vous, C’est en L’Air, C’est de la Merde. Ils sont clowns radio-télé-papier, vedettes prestigieuses des Infos, de Bruno Duvic à Lea Salamé, de Bourdin à Brunet, ils «invitent». Ils n’ont pas du chercher loin, jamais au-delà de leurs cercles, venez, venez, chers experts touche-à-tout, chers experts qui suivent la seule pensée qu’ils chérissent, multi-cartes de Grandes Ecoles, sondeurs à la Cayrol, centenaires à la Duhamel, morveux européens à la Guetta. Venez, vous êtes ici chez vous.

Parano que je suis. Et de quoi le rester parano car faut survivre. Et encore, la matinée venait juste de commencer. Fallait encore se farcir ces immondes publicités d’Axa sur la radio publique. Publique ! AXA, merde, AXA dont les proprios Claude Bebéar, Henri de Castries le filloniste sont les pires des Accumulateurs de Stock-Options. Et tu écoutes, tu dois écouter leurs pubs radio. Si tu sautes sur la Monte-Carlo, pas mieux. La rage monte d’un cran. Allô, allô, vous êtes en ligne. En ligne facho. Un tri direct pour pêcher un Cagoulard dans la populace frontiste. Des petits merdeux qui crachent sur tous ceux qui crèvent dans les fondrières, se crèvent à la chaîne, dorment dans les squatts, meurent sur la putain de Mer Méditerranée, et voilà, ça crache encore et encore, sur les fainéants, sur toi et toi, lecteurs ou non du blog. C’est comme ça tous les jours, et ce matin of course, c’est la sérénade de la misérable Station de Stéphanie de Monac’ ! Experts au quotidien, charognards aux peaux bronzées des Caraïbes, philosophes embarqués sur les croisières du CostaCorta, c’est pour vous mon majeur.

Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il me suffit d’éteindre le Poste, de fermer les écrans.

Quoi ? C’est qu’ils continuent à causer dans mes silences, même si je mets les Stooges à fond, même si je me balance, tout en torsions quasi-désespérées sur A Million Miles Away de Gallagher. C’est qu’ils squattent jusque dans les terres de mon inconscient. Ils ont des pattes de Géants et les micros tentaculaires, ils t’étouffent, pas moyen, pas moyen, ils sont toujours là, des journalistes ou prétendus tels, pourvus d’un tel pouvoir, c’est ça l’obscénité, la sidération, la source de ma parano : ils disposent d’un tel pouvoir si immense, si exorbitant, si hallucinant. Ces Laurent Joffrin, aidés de leurs Policiers du Net, @libedesintox, @decodeurs, les FOG, les Patrice Cohen, les Stéphane Bern, les Pujadas, les Ruquier, les vieilles carnes à la Ardisson ou les jeunes loups Rissouli, Eldin, amuseurs obscènes, toutous du système, provocateurs-de-salon, rebelles-dans-le-bocal, agités du Paf. Voilà tous ces hideux-affreux-rogneu-gneu, salonnards du Grand Siècle et des Grandes Chaînes. On n’en peut plus. Je n’en peux plus.

  • – Vous souffrez d’un «trouble de la personnalité paranoïaque» me dit tranquillement le psychiatre. «Mais pour cette fois, ça ne sera pas l’internement».

Son diagnostic m’a fait bien rire. Bon, s’il voulait me cataloguer «parano», grand bien lui fasse !  J’ai pourtant ri, ri devant lui, un grand rire inarrêtable. Car ce dont j’étais sur, c’est que ce pauvre psychiatre, probablement affilié aussi à l’Ecole de la Cause Freudienne, avait signé toutes les pétitions pour le même candidat aux dernières Présidentielles.

Macron, Macron et encore Macron. Aucun doute là-dessus.

12 Responses to La matinée d’un parano.

  1. Robert Spire dit :

    Selon le trés laïc Bernard Friot, nous devons nous battre contre l’emprise de la religion du capital: « Et cette religion a des curés, qui viennent prêcher le catéchisme du capital, tous les matins à la radio, au 6-9 : «si vous n’êtes pas sages, vous irez en enfer». »
    Pauvres « pecheurs », repentez-vous! Récitez trois « Pater Duhamel » et deux « Ave Marie Drucker », plus quelques ablutions sèches aux ondes bénites du Pernaut (sans eaux).

    Bibi, tu n’es pas parano, juste incroyant comme de plus en plus de gens…:-)

  2. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Merci de me tenir compagnie.
    C’est que… plus on est de fous (paranos), plus on rit.

  3. Robin HOOD dit :

    si la parano consiste à avoir les yeux ouverts, alors je suis parano depuis que j’ai lu la phrase de Le Lay sur « le temps de cerveau disponible » quand on lit le morceau du texte complet, on frissonne :

    « Patrick Le Lay, PDG de TF1, interrogé parmi d’autres patrons dans un livre Les dirigeants face au changement (Editions du Huitième jour) affirme [1] :

     » Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (…).

    Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…).

    Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise.  »

    Dès la minute où j’ai lu cette phrase, j’ai éteint ma télévision, puis je l’ai vendue, depuis je n’ai plus de « lucarne à blaireaux » comme l’appelle Eric Toulis dans la chanson éponyme. De même, je m’informe autrement que sur les journaux appartenant tous aux mêmes régurgiteurs d’informations que ceux qui sont sur le visuel, il m’a suffit de refuser que l’on veuille me phagocyter le cerveau, me manger les neurones et jouer les sangsues avec ma liberté de penser pour que je me rebelle, sans doute étais-je prête à ça déjà !!

    c’est ça qu’il faut que l’on arrive à faire, montrer et démontrer aux gens dans le réel ce qu’on leur fait, peut-être est il temps de réfléchir collectivement comment on contre ce discours lénifiant fait pour que les gens ne se rebellent pas.

  4. BiBi dit :

    @RobinHood
    Oui j’avais pris connaissance de cette « belle » parole de Patrick Le Lay en son temps. Godard disait que « bientôt à la télé, on ne regardera plus de films mais des spots publicitaires entrecoupés de films ». Hé bien on y est. Comme dit dans mon bibillet, bien sur qu’il faut couper le son et la lumière des écrans libéraux mais peut-on y échapper. Ma réponse est : en partie, oui. Et c’est ce « en partie » qui me fait peur parce qu’ILS sont tapis derrière nos fourrés intimes, ils se lovent dans les replis de notre MOI, ils paradent à supplanter notre SURMOI. Du chiendent accroché à nos cervelles. Oui, la distance qu’on peut prendre ce serait bien que ça soit une distance construite collectivement. Bon, pour ma part, je suis dans les livres autat que je peux, de Bourdieu à Shakespeare, de Rimbaud à Gérard Mordillat en ce moment.
    Bibien à toi.
    Et merci pour ta lecture d’ici.

  5. Robin HOOD dit :

    ils sont tapis parce que tu les y autorises, moi je les combats avec tout ce qui est à ma portée, livres bien sur, musique, débats auxquels j’assiste et je participe.

    Je leur refuse le droit de m’utiliser, c’est vrai que c’est un combat, car même lorsque je vais faire mes courses, je vois leurs pubs, leurs journaux jusque sur l’étal de mon boulanger, oui, oui, jusque là.

    Mais comme je suis trèèèss tétue, ça fait 13 ans que je tiens le coup et je m’en sors plutôt bien.

    j’ai lu des livres que je ne connaissais pas, j’ai relu d’autres et je construis ma pensée politique selon mon propre schéma, quand je me trompe sur un sujet, je vais l’approfondir, je n’ai aucune exclusive bien que j’ai remarqué et qui ne change pas si je relis un Rosanvalon (oui aussi), j’ai envie de le mettre par la fenêtre, je dois être de gauche 🙂

  6. BiBi dit :

    @RobinHood
    « Ils sont tapis parce que je les autoriserais »… Ben non, pas que. Nous sommes dans la Servitude involontaire comme l’écrivait superbement Alain Accardo dans un de ses livres d’analyse chez Agone.

    Et tu le dis toi-même, ils t’alpaguent dans les rues, les magasins et magazines, à ton bureau de tabac et ailleurs.
    Sur mon texte, il est classé en « fiction », hein ? J’ai pour habitude d’aggraver les traits pour percuter et tenter de bousculer le lecteur/trice.

    Pour m’en sortir mais je m’en sors avec ces trois mots gravés depuis si longtemps à mon fronton : « La Vie l’emportera ».
    La vie, c’est celle de mes écritures ( va voir mon blog ), de mes lectures, de mes rencontres.
    Tout ça ( tout ça, c’est déjà bien) pour tenir le coup.

  7. tgb dit :

    bon ben je compatis car j’ai souffert aussi du même syndrome mais j’ai fait une cure de désintox je n’écoute plus rien ni radio ni télé ni journaux et même si ça parle encore dans les silences je vais mieux beaucoup mieux infiniment mieux – je les lis à travers twitter et c’est encore trop mais au moins je ne les entends pas je ne les vois plus et alors finalement O miracle ils n’existent plus – presque !

  8. BiBi dit :

    @tgb
    Ne te soucie pas trop de ma santé. Si je furète sur Twitter, je fais du vélo, je marche dans les Parcs, je lis ni Nothomb ni Angot ni le dernier Duguain. Côté quoi tu sais, hé bien, même plus de première jeunesse, je fais avec. C’est vrai, la parano suivi de petits câlins à l’HP me guette mais quoi on ne va pas se laisser tondre la laine, ni ramper devant leurs jacasseries hein ? Côté des bibis, on a l’humour tendance lutte des classes.

  9. Avr dit :

    Pas assez rassurant qu’on ait de + en + de mal à élargir et rajeunir le cercle d’acteurs mainstream? Et qu’au moins ARTE fasse une désintox après le discours de l’Elysée sur TF1?

  10. Robert Spire dit :

    Voilà un exemple ou un puissant (Xavier Niel sur Canal+) fait croire au peuple qu’il est en démocratie: https://www.arretsurimages.net/breves/2017-10-23/Niel-Macron-en-couverture-de-L-Obs-c-est-juste-que-ca-vendait-id20918
    Il est clair que le pouvoir est (« gentiment », pour l’instant) dans les mains des compagnies géantes et non des représentants du peuple. David Rockefeller avait prévenu en 1999 dans Newsweek: « Dans les dernières années, une large parle du monde à tendu vers la démocratie et les économies de marché. Cela a amoindri le rôle des gouvernements, ce qui est quelque chose à quoi les hommes d’affaires sont favorables. Mais l’autre aspect de ce phénomène est que quelqu’un doit prendre la place du gouvernement, et les entreprises me semblent être l’entité logique pour le faire. »
    https://blogs.mediapart.fr/raoul-marc-jennar/blog/051213/et-si-les-firmes-prenaient-le-pouvoir
    Le « macronisme » n’est que la dernière touche à cette évolution en France vers une dictature. Cette « dictature bienfaisante » dont parlait Alexandre Adler sur France Culture à propos de la Grèce; ou encore le « putsch légitime nécessaire » de Christophe Barbier pour régler les affaires européennes.

  11. Laetsgo dit :

    Coucou bibi (et tgb qui passe par là)
    Je me suis mise en cure de Twitter (en plus de la cure sans TV ni radio)
    Ca fait un bien fou !
    Bref c’était juste pour te faire un bibi – je te lis toujours 😉

  12. BiBi dit :

    @Maetsgo

    Merci pour tes passages.

    Et s’il te vient d’intensifier tes lectures, tu peux toujours te rendre sur et rameuter tes copains/copines pour soutenir un Voyageur de Commerce littéraire en auto-production et en auto-distribution. Hors des Instances de Consécration.

    Et bien entendu, bibis back.

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