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Comment font les polémistes, les citoyens de France pour prendre si vite position ? Pour mon humble part, ce qui est le plus urgent dans cette affaire grecque, c’est de prendre son temps. Prendre son temps ne veut pas dire perdre du temps devant ce qui est supposé être urgent. D’une part, nous ne sommes pas grecs (plongés dans cette crise inhumaine) même si un devoir de solidarité demeure plus que nécessaire. D’autre part, il faut s’informer, lire, choisir – non d’un seul coup, avec présupposés qui «rassurent» – mais avancer lentement, douloureusement, à tâtons, pour se confronter au Réel grec (réel qui est une butée et qui appelle une construction avec outils et hypothèses pour le comprendre). Pour le moment, j’accumule, je cherche des lectures. C’est de biais que j’entre dans cette difficile compréhension où l’analyse des forces en présence est à la fois possible et indéterminée.
Ce que j’écarterais, c’est cette méthode qui présente Tspiras en homme sans déterminations, un homme qui aurait beaucoup de pouvoir (non qu’il n’en ait pas), qui décide de tout etc. Contre ce type d’orientation, m’est revenu la lecture de ce précieux livre de Norbert Elias («La Société de Cour») où le sociologue analysait la position royale en ces justes termes :
«Même au temps de ce que nous appelons l’absolutisme, le pouvoir du Monarque n’était pas aussi illimité ni absolu que le terme d’absolutisme semblait vouloir le dire. Même Louis XIV, le «Roi-Soleil» que l’on prend souvent comme exemple-type de monarque absolu décidant et régissant tout, apparaît à une analyse plus approfondie comme un personnage que sa position de roi enfermait dans un réseau très particulier d’interdépendances».
C’est via cette méthode de réflexion autour du réseau très particulier d’interdépendances qu’il faut/faudrait aborder le problème grec. On remettrait blâmes et/ou louanges à leur place, on les tiendrait tant bien que mal à distance, on y verrait un peu (j’écris : un peu) plus clair. Bien entendu, chacun peut prendre position mais, à ma réflexion, qu’y a t-il à faire des avis suivants qui pullulent dans les interventions de notre Gauche (Ici sur le site Mediapart).
Quelques exemples :
« Tsipras est maintenant dans le mauvais camp».
« La victimisation de Tsipras par les responsables du FDG n’aidera pas forcément à élucider les véritables causes de la déroute du gouvernement grec ».
« Je comprends bien votre point de vue, mais moi qui admirait Tsipras là je suis perdu. Qu’est ce qui lui a pris bon sang ?»
« Et si on laissait les Grecs décider par eux-mêmes ? Il est aisé, loin de ce pays, de donner des leçons, à droite et à gauche, mais ce sont les Grecs qui supporteront les conséquences de leur choix, n’est-ce pas ? Alors, un peu d’humilité, diantre ! »
Du coup, je reviens une fois encore sur Norbert Elias (lu il y a plus de cent ans !) avec cet extrait, synonyme de première précaution méthodologique.
*
Dans mon odyssée grecque, j’ai beaucoup cliqué sur le Net, allant et venant du plus insignifiant au plus intéressant.
1. Le premier billet qui m’a semblé le plus juste serait celui, sans complaisance, de Romaric Godin :
« Mais le «non» au référendum avait été une contre-offensive qui, compte tenu du résultat, pouvait donner un mandat implicite au premier ministre pour réaliser le Grexit. Il n’en a pas jugé ainsi. En grande partie parce qu’il a commis l’erreur de ne pas le préparer. Dès lors, la position grecque était extrêmement fragile».
L’histoire jugera cette «erreur» (si erreur il y a). N’oublions pas quand-même que 85% des grecs voulaient rester dans l’Euro et qu’il aurait été difficile – sans un appui massif – de faire le grand saut. Un saut vertigineux, peut-être possible dans la prochaine décennie, en Grèce ou ailleurs… Les axes de recherche dans ce sens vont plus surement rencontrer beaucoup d’échos. On va se mettre au travail de pensée pour préparer une sortie révolutionnaire de l’Euro. Hypothèse grandissante puisqu’on pourra s’appuyer sur les événements grecs et… sur le précédent (Chypre 2013) comme nous le rappelle utilement Romaric Godin.
«L’euro est, ce matin, tout sauf un instrument d’intégration en Europe, écrit avec justesse Romaric godin. En réalité , on le savait depuis la gestion de la crise de Chypre en 2013, qui, on le comprend maintenant, n’était pas un « accident».
2. Second article qui m’est apparu équilibré et argumenté, celui de François Bonnet dans Médiapart : «Une Europe contre les peuples et la démocratie».
3. Enfin, j’inciterais mon lecteur et ma lectrice à lire ce très beau billet de Nikos Smyrnaios («La Machine médiatique contre la Grèce»). Un billet – rare et très précieux en son genre – qui montre les stratégies médiatiques internationales (allemandes, britanniques), supports incontournables du Diktat de Berlin, et qui s’arrête sur leur puissance dans la fabrication de l’Opinion (allemande).
Extraits : « Le tabloïd Bild un rôle central dans le renforcement des idées reçues sur les Grecs présentés comme un ensemble homogène aux traits négatifs communs (fainéants, irresponsables, profiteurs, tricheurs, corrompus etc.)».
Dans Der Spiegel, la Grèce y a été décrite systématiquement comme le mauvais élève de l’Europe, notamment par rapport à l’Espagne, et comme une source de «contagion» possible : «A l’opposé de la Grèce qui représente systématiquement le mauvais exemple durant cette période, l’Allemagne est décrite par le Spiegel en des termes quasi héroïques comme le pilier vertueux auquel l’UE doit son existence».
Handelsblatt, le journal économique allemand, constate que la crise grecque est utilisée comme appui à une rhétorique de légitimation de l’austérité à l’échelle de l’Union européenne.
Dans la presse anglaise (The Guardian, The Observer – classés centre-gauche !) on peut lire en 2010 que «c’est parce que l’État grec n’est pas assez néolibéral dans la gestion de son administration et de ses finances qu’il se trouve dans cette situation et non pas l’inverse».
J’ajouterais que la plupart des journaux polonais, hongrois, baltes ont souvent des propriétaires et actrionnaires allemands depuis fort longtemps. A propos des télés européennes, là aussi, elles ont joué leur rôle idéologique en formatant les esprits.
«La pression du direct et la recherche incessante d’images spectaculaires pour la télévision ont fini par avoir raison des tentatives de compréhension fine de cette mobilisation populaire pourtant historique contre le gouvernement de George Papandréou».
Après le Grec bouc émissaire, la presse et les médias internationaux joueront l’empathie et une storytelling positive. Parbleu, on avait alors Samaras au Pouvoir avec pour corollaire et appuis démonstratifs les récits des «envoyés spéciaux» qui tournaient surtout autour de la «violence» des affrontements. On ne cessait de fustiger Syriza, parti d’«extrême-gauche», semblable à son «opposé» Aube Dorée. (On connaît cette chanson psalmodiée tous les jours par ici, sur nos terres françaises).
Parallèlement à tout ça, du côté de Bruxelles, poumon de toute la Propaganda libérale, on louait les avis de journalistes «avisés» (ces incontournables connaisseurs que sont les experts). Je ne m’attarderais pas sur Quatremer et ses ersatz. Chacun connaît.
Par la suite, on eut droit à un changement de représentation avec la perspective d’une victoire de Syriza. On inventa tant de mensonges qu’il est inutile de les rappeler ici. Les derniers se focalisant sur Varoufakis, le dandy, le séducteur (raison de plus pour s’en méfier en politique), le motard à côté de ses pompes, le j’men foutiste etc.
Voilà donc un article bien utile pour centrer le problème grec et commencer à le comprendre dans toute sa difficulté. Dans cette zone de fabrication de mensonges et de leur pilonnage, je rajouterai ici l’unanimité des Médias français à répercuter – via un sondage – la victoire du «Oui», sondage d’un Institut appartenant à un richissime grec, institut qui se trompa de quelques vingt % d’écart !
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Très bon bibillet ! On peut rajouter l’édito de Saül Karz…
http://www.pratiques-sociales.org/grece-berceau-de-civilisation/