Pas envie, c’est tout.

Ben voilà, je n’ai pas envie. Aucune envie. Rien. Nada. Pas même de faire un effort pour faire semblant. Un billet 1588 ? Non. Non.

Pas envie, c’est tout.

 *

Pas envie non plus de dire où je suis, quoi je fais. Rapporter les insanités de la semaine ? Trop dur. Celle-ci quand-même: dans un grand journal paraissant le dimanche, on lit un titre qui frise la démence. On veut trier les migrants. A la Une : trier. Trier. Vous avez lu ? Triage. Camp de triage. Pas loin de chez moi, ils étaient venus 1943 à Chatel-Montagne, Allier, un coin reculé tu ne fais pas plus, un trou de verdure bien perdu, ils sont venus, miliciens gestapistes, ils sont venus en chercher, ils ont tout retourné, ils ont menacé, insulté. Ils l’ont trouvé ce brave type qui a fini à Mathausen. De Mathausen, je revois encore cette carrière de pierres d’où ils se jetaient pour échapper aux bourreaux. Même pas un choix. Une obligation avec le rire gras du lieutenant général SS tout derrière. Aujourd’hui, ici, à Chatel, y a un nom de rue qui porte le nom du brave type. Demain, ça changera, y aura le nom du lieutenant général. Et pas besoin de fachos au poste de Commandement du Pays. Il y aura toujours les Lagardère, Dassault, Bouygues, Niel, Arnault au poste de pilotage, ça suffira, oui, oui, ça suffira. Pas besoin de Gestapo, y aura Propaganda BFMTV first à l’audimat, C8 sur les talons. C’était à Chatel-Montagne, le village qui se dépeuple, même plus de tabac-Presse, tous les artisans fermant boutiques. Les 500 du village d’aujourd’hui ne liront pas le torchon JDD mais ça ne changera rien, les commerces ont fermé, n’ouvriront pas de sitôt, oui quasiment tous. Reste une école. Ouais quand-même, pas croyable, encore une école, mais je ne vous raconte pas. Non je raconte pas. Pas envie. Si vous passez, vous demanderez. Vous vous demanderez.

*

Aussi j’ferais rien. Rien de rien. Je ne reviendrais même pas sur ces cons de la Grande Journaille du JDD, ces cons dominant leur clavier, sérieux, concentrés, salaires en poche, vacances toutes proches. Pas un, pas une pour dire que. Là, écoutez, non, là, nous sommes allés trop loin. Trier. Trier, ça va trop loin. C’est trop. Pas un. Pas une. Et pauvre naïf que j’suis, quoi, j’espère quoi, qu’ils soient pris de remords, qu’ils fassent passer un entrefilet qui dirait nos excuses, lecteurs, lectrices, mais non, je vois, ces excuses-là, elles seraient encore pire. Pire. Mais c’est vrai pourquoi que je crois que ces cons seraient pris de remords ? Faut pas douter, la prochaine fois, à un dimanche très prochain, ces cons iront encore plus loin. On aura la photo pleine page des migrants, Collomb les aura fourgués dans les wagons avec photos, photos, photos, photos avec, en plus, l’interview-confidence d’un chef de gare hilare. Non, rien. Faut en dire plus ? Rien de rien, rien à dire de plus sur cette déchetterie, sur ce papier Q du grand Capitaine Lagardère.

*

Pas envie de vous dire non plus sur quoi portent mes lectures, rien dire à propos de ces deux livres de Camille Laurens. («Celle que vous croyez» «Encore Jamais»). Rien dire de mon va-et-vient entre les deux. Pas si mauvais que ça mais quand on attend des livres qui vous soulèvent, hein ? Quand on voit le temps qui rétrécit, l’arrivée des gros nuages, ces cumulus bien noirs prêts à crever, les jours, les années qui passent, on voudrait, on voudrait hein des livres qui nous soulèvent. Rien d’autre. Des livres qui nous portent au-delà. Qui nous retournent nous balafrent nous écorchent nous emmènent de gré, nous embarquent de force.

*

Alors, quand on n’a pas envie, on se donne le change, on s’en va faire les vide-greniers du dimanche, on va fureter sans passion dans les vieilleries des autres, les autres, ils bradent, ils nettoient, ils bazardent, ils gagnent un, deux euros, ils notent, ils font les comptes, il fait chaud mais ce matin ça faisait 14, on est venu très tôt, on avait un petit pull, on marchande, on laisse tomber, on prend, on trouve Edouard Louis En finir avec Bellegueule, Gontcharov Oblomov et Jean Guéhenno Ce que je crois. Mais ça ne vous sort pas de la torpeur. On n’est même pas content.

Et je ne vous dis pas, quand, plus tard, la nuit tombera.

Voilà j’ai pas envie. Et quand on n’a pas envie, on n’a pas envie. Avant, au temps des cerises, au temps des Cavernes, on se roulait un joint, on se chargeait un peu, on mettait le feu à une cigarette, on s’allongeait, on parlait aux filles, on se disait comment ça sera quand on sera vieux. Vieux, vieille, on n’y croyait pas. Et le Monde ? Il sera mieux ? Y aura plus de fachos, y aura du progrès, ça c’est sur. Y aura des luttes et on vivra mieux. Voilà ce qu’on croit, ce qu’on croyait. Mais des pensées comme ça, quand on s’en souvient, ça date du Moyen-Âge, c’est oublié, c’est plus que ça, c’est de la Préhistoire, on en revient, on n’en revient pas d’y revenir. Y a qu’à regarder la Une du Capitaine Lagardère. Pas une vague. A peine un clapotis. De la Préhistoire.

Pas envie.

*

Pas même envie de faire la promo de ce « Elle me disait ». Tout ça me sort de la tête. Je n’en veux plus de mon petit livre, je n’en peux plus de ces aphorismes, me sortent des yeux, d’ailleurs les ai-je vraiment écrits, bon dieu, qu’est-ce que je vais faire de tout ça, c’est du passé, c’est écrit, à quoi bon s’éterniser, y revenir, non pas envie, quoi, dieu, faudrait en convaincre quelques-uns, encore quelques-unes ? Non, pas envie.

Pas envie, pas envie, c’est tout.

10 Responses to Pas envie, c’est tout.

  1. AgatheNRV dit :

    C’est vraiment. bien ce que tu dis quand tu n’as pas envie… L’indignation est réservée aux malotrus qui ne portent pas de cravates pour le reste on a largement dépassé le mur des cons.

  2. Robert Spire dit :

    Envie ou pas envie, « rien de désespérant. Rien qui flatte le masochisme humain » disait Francis Ponge en écrivant dans « Pages bis »:
    « 1) Il faut parler;
    2) il faut inciter les meilleurs à parler;
    3) il faut susciter l’homme, l’inciter à être;
    4) il faut inciter la société humaine à être de telle sorte que chaque homme soit »

    « L’échec n’est jamais absolu »…

  3. Robert Spire dit :

    Question « triage », en dessous de 100 briques pour l’Etat français, le migrant n’entre plus! (Enfin si j’ai bien compris le cas d’un réfugié brésilien)

  4. J’ai halluciné en voyant cette Une. Le fascisme l’a emporté, aussi pourri que celui de l’ancien temps, mais recouvert d’une bonne couche de vernis à base d’hypocrisie, de novlangue et d’éléments de langage..
    Tiens, tu devrais lire Un peu tard dans la saison.
    À bientôt

  5. BiBi dit :

    @despasperdus
    Le pire est d’imaginer la rédaction et les sbires qui la composent être finalement d’accord avec cette obscénité. Tous ceux-là, silencieux, acquiesçant collectivement à cette ahurissante Une : @Vergnaud @Chr_Ollivier @LeMeneec @Sarah_Paillou @Clairelebrunn @AFocraud @BrunaBasini @alex_svn @GaelVaillant @PierreLepel

  6. Robert Spire dit :

    « Mes frères,
    En dépit de mes cheveux blonds,
    Je suis Asiatique,
    En dépit de mes yeux bleus,
    Je suis Africain… »
    (Nâzım Hikmet)

  7. delamata dit :

    Comment est-ce possible t’es pas encore mort toi le bipède soi disant footeux…amen ?

  8. BiBi dit :

    @delamata
    Pas d’insultes ici envers qui que ce soit.
    Non pas encore mort.

  9. Wwania Chaumartin dit :

    La force dégagée de ce brillant laïus m’a subjuguée. Son refus de devenir un vil instrument entre les mains de ceux qu’ accuse à juste raison m’a rendue son alliée incontestable, Inconditionnelle .

  10. BiBi dit :

    @Wania
    Tout à coup, lisant votre commentaire, y a l’Envie qui revient.

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