« Mi fugue mi-raison », roman social. Entretien avec l’auteur.

Les éditions L’Harmattan viennent de publier fin février « Mi fugue mi raison » de Madani Alioua (1).

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Pensez BiBi : C’est ta sixième fiction. Tu avais reçu le Prix du Bourbonnais 2022 pour ton livre précédent (« La Guerre N’Oublie Personne ») un roman sous forme de journal intime sur le Vichy 1940-41, une ville très rarement mise en fiction (2) alors quelle a été la Capitale de l’Etat français pendant quatre ans. Cette fois-ci, tu délaisses l’Histoire.

Madani Alioua : C’est toujours à partir de chocs que je me lance dans la fiction. Chocs artistiques, sentimentaux, culturels et/ou politiques. En inventaire de mes 6 livres : mon voyage en Hongrie avant la chute du Mur, le cinéma de Jean Eustache, le musée Van Gogh d’Amsterdam, le football jeu de mon enfance, la beauté du Périgord, l’Histoire du Vichy de la Collaboration. Avec cette dernière fiction publiée en février, j’ai voulu évoquer mon présent et mon passé de travailleur social. Mes deux héros sont plongés dans une intrigue très simple : un éducateur spécialisé (le récit est à la première personne) part pour un long voyage en train afin de récupérer Marvin, un mineur en fugue.

Une grande partie de ta fiction se passe dans le train. Pourquoi ce choix-là ?

M.A : Précisons. Ce n’est pas n’importe quel train. Il s’agit de ces trains qui disparaissent peu à peu, remplacés aujourd’hui par ces machines à grande vitesse au fuselage impressionnant. L’éducateur est dans un train à compartiments avec un couloir sur le côté. Ces espaces sont certes confinés et de taille réduite mais, paradoxalement, ce sont des lieux d’ouverture. C’est là que l’éducateur entreprend la re-lecture de dossiers sur Marvin qu’il a emportés, là aussi qu’il croise la multitude de voyageurs qui vont, viennent, montent, descendent, disparaissent. Bref un espace de partage obligé, non choisi. Ce compartiment est aussi propice à ses rêveries, espace de sociabilité où se jouent des moments de vie des voyageurs. Dans ma fiction, mes voyageurs sont des mères présentes qui accompagnent réellement leurs enfants ou qui parlent d’eux en leur absence. Un des autres occupants est aussi ce Correcteur qui corrige des manuscrits.

Le train, c’est aussi la régularité du bruit. Celui des roues sur les rails, ce po-pom, po-pom qui rythme ton récit.

M.A : Ce po-pom po-pom a une grande importance. Il donne la cadence. C’est une sorte de métronome qui accompagne la rêverie de mon héros. Dans le roulis bruyant et régulier du train se réactivent des souvenirs enfouis, souvenirs d’une inquiétante étrangeté, réminiscences toutes surgies de sa propre enfance. C’est d’ailleurs une réflexion d’un enfant à sa mère sur cette régularité (« Maman,  ce po-pom, po-pom c’est toujours pareil ») qui me permet justement de dire qu’au contraire, au bruit répétitif et manifeste des roues sur les rails, il y a la force du réel qui s’y oppose car rien n’est jamais pareil. Il y a le bruit mais il y a aussi ce paradoxe que tout passager est assis, immobile, figé, cloué sur sa banquette alors que le train, lui, bouge, roule, s’arrête, repart.

Restons sur le thème de l’enfance qui est un fil rouge de ta fiction.

M.A : Petit à petit, dans les cahots du train, une pensée essentielle va s’imposer dans la tête et la chair de mon héros. « Tu crois, se dit-il, que ton devoir c’est de t’occuper des enfants, mais non, c’est ton enfance qui t’occupe ». Le retour réflexif sur le travail d’accompagnement de Marvin en établissement va entraîner le travailleur social dans deux directions : l’une sur ses « erreurs » dans son accompagnement éducatif, l’autre sur l’indispensable et nécessaire support freudien qui touche au « roman familial des névrosés ».

Dans ta fiction, le mineur en fugue n’apparaît pas. Ce sont les dossiers, les rapports de comportement qui en dessinent les contours.

M.A : C’est peut-être la lecture de l’extraordinaire « En attendant Godot » de Samuel Beckett qui m’a influencé. Je me suis servi de ce silence, de cette absence pour montrer que tout enfant, tout adolescent recèle pour l’autre une part d’Inconnu, et ce quoiqu’on fasse. On parle de Marvin. Lui, ne parle pas. Ce n’est jamais ses mots à lui mais toujours des mots des autres sur lui. Le mineur est parlé plus qu’il ne parle. L’imaginaire sur l’autre peut aussi bien nous brouiller la vue que nous l’éclairer. Par cette absence dans le récit, j’espère avoir montré le poids de Marvin. Cette part inaccessible chez l’Humain doit continuer de poser question à tout travailleur social et plus généralement à tout humain dans son rapport à l’autre.

Ton éducateur écrit des fictions à ses heures perdues. Il a été publié mais ses romans ont peu rencontré de lecteurs. Du coup, il s’est lassé, il ne veut plus écrire.

 M.A : Il veut se consacrer désormais uniquement et totalement à ses tâches professionnelles. Mais de la passion d’écrire, on ne s’en débarrasse pas aussi aisément. Son bon-vouloir ne suffit pas. Cette passion brûle en lui malgré son déni. Elle est là, tapie au fond de lui et peut le submerger à tout moment.

Même si les rapports de comportement sont travaillés en équipe éducative, l’écriture du professionnel flirte souvent avec l’écriture romanesque. De façon générale, l’écriture est souvent source de souffrance pour les travailleurs sociaux, non ?

M.A : Oui, ce n’est pas chose facile. Rajoute que pour les travailleurs sociaux, la chose est obligatoire : tout éducateur doit tenir informé le juge, l’administration, les parents etc. Il est donc obligé d’exposer sa vision, sa perception du mineur. Le travail de réflexion en équipe n’y change pas grand-chose.

Mais ton héros, lui, a plus de facilités dans l’écriture. Il est plus rôdé, non ?

M.A : Détrompe-toi, même plus à l’aise dans l’écriture que ses collègues, mon héros est aussi traversé par cette difficulté. C’est en fabriquant ce personnage d’éducateur-romancier que j’ai pu poser cette question: celle des similitudes et des différences entre l’écriture professionnelle et l’écriture romanesque. En relisant les dossiers sur Marvin, voilà mon héros qui se met en rogne contre l’écriture d’un collègue. Il s’apercevra plus tard que ce dossier en question, hé bien, c’est… lui qui l’avait écrit.

Ici un souvenir plus personnel : je venais d’avoir mon diplôme d’éducateur. Le lendemain, je m’étais retrouvé dans un bus rempli d’enfants criards et indisciplinés. Rien à voir avec le travail, j’étais en congés. Dans ce bus, j’étais dans l’impossibilité de quitter ma place, de descendre. Je me souviens de mon agacement, de mon exaspération devant ce chahut, moi qui avais fait vœu d’embrasser fièrement ce métier si noble ! J’ai repris à peu de choses près cet épisode dans mon livre pour montrer tous ces mouvements transférentiels positifs et négatifs (de ces derniers, les travailleurs sociaux en parlent moins) qui nous agitent tous face à un, face à des enfants.

Un mot sur ce titre de « Mi fugue mi raison »….

M.A : C’est en recherchant un titre pour un hypothétique roman que mon personnage d’éducateur-romancier a fait ce lapsus. Sans dévoiler la fin de mon roman, sa mission se révélera être un déplacement mi-figue mi-raisin mais mon héros le traduira de façon énigmatique en « Mi fugue mi raison ». Je ne sais si, avec ce titre en lapsus, mon héros se remettra à écrire des fictions après sa longue période de refus. En tous les cas, ce titre résume bien, en miroir ajusté… mon sixième roman !

Merci à toi mais je tiens à préciser que ton récit peut toucher tous les publics. Je pense à tous les citoyen(ne)s qui s’intéressent aux questions de l’enfance et de l’adolescence. Des questions qui sont portées prioritairement par tous ceux et toutes celles qui ont choisi de travailler dans l’Aide sociale et la Protection de la Jeunesse.

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(1) « Mi fugue mi raison » (Editions L’Harmattan) est le sixième roman de Madani Alioua. Au prix de 12 euros, dans toutes les librairies de France. Ici sa fiche de promotion complète sur ses six romans (avec articles de presse).

(2) Le précédent livre de Madani Alioua (« La Guerre N’Oublie Personne. Vichy 1940-41 » aux éditions L’Harmattan) a reçu le Prix du Bourbonnais 2022. Sur ce livre, voir les deux billets 1 et 2 qui lui sont consacrés.

A table ! C’est l’heure de la soupe !

Ce n’est évidemment pas la première fois que, dans les plaisirs de la table, on peut relier le personnel politique aux hommes et femmes des Médias. Quand il s’agit de réceptions, dîners, déjeuners, fêtes organisées par les Possédants, les « ami-e-s » invité(e)s sont particulièrement triés sur le volet. Via une compétition d’une férocité extrême pour être l’élu(e). Souvenons-nous des épisodes qui concernaient les interviews de Macron. A chaque fois, cela engendrait des haines et des luttes au couteau à l’intérieur du champ journalistique dès lors qu’il y avait un choix à faire dans les intervieweurs.

Mais restons-en aux dîners et déjeuners : ces derniers n’ont pas que le plaisir comme visée. Bien entendu, le but poursuivi en est la perpétuation et la consolidation express du pouvoir en place, toujours plus ou moins aux abois.

Pour ces assoiffés et affamés du PAF, être invité, se mettre à table (au propre comme au figuré), c’est une habitude. On adore ! Et, dans les invité(e)s, on ne trouve pas que des top-cadres médiatiques, il y a aussi des Artistes, des Intellectuels de plus ou moins grande renommée (Historiens, Scientifiques etc). Ils sont aussi très sensibles, très fiers de s’asseoir à la même table. Voyez par exemple l’acteur François Cluzet en extase au dîner de Carlos Ghosn au Château de Versailles. En contrechamp, me revient l’image du Tout-puissant mafieux Robert De Niro dans les Incorruptibles règlant ses comptes à coups de battes de base-ball à table, avant de servir l’apéritif. Une constante plus ou moins violente dans les mafias de tous ordres. Directement politique ou non pour que tout cela entre bien dans vos têtes ! Compris, hein ?

Déjeuner, dîner avec les Dominants, c’est un honneur, une jouissance inégalable, un profit de distinction qui classe son bonhomme médiatique et sa petite dame aux dents longues. N’oublions pas aussi que lorsque le dîner se fait rare, il y a la liaison… téléphonique. Là, vous avez Macron prenant illico des nouvelles de Zemmour soi-disant « agressé dans la rue » par téléphone. Il y a aussi Pascal Praud, ordure zélée, présentateur de CNews, qui a régulièrement au bigophone une certaine première dame.

A propos de celle-ci, rappelons que c’est elle qui présenta son petit Emmanuel autour de la table de Bernard Arnault. Xavier Niel, patron du Monde et compagnon de Delphine Arnault était aussi de la partie. Sarkozy, lui, en recherche désespérément d’une première dame, avait raté Laurence Ferrari dans sa visite discrète à son papa mais il se rattrapa in-extremis autour d’une table. C’est là qu’on lui présenta Carla lors d’un repas en présence de journaleux triés sur le volet et autres crétins moutonniers (Jacques Séguéla). A France 2 tv, nous avons non seulement Nathalie Saint Cricq mais aussi Anne Sophie Lapix dont on loue les rebellions devant le Chef de l’Etat (défense de rire). C’est Challenges qui nous a appris qu’avec son mari (Arthur Sadoun numéro 1 de Publicis) ils dînaient très régulièrement at home avec des patrons du CAC 40. Quant à Hollande, lui, il baffrait à l’Elysée avec les Lagardère boys (Elkabbach en tête).

Et voilà qu’aujourd’hui, nous apprenons sans surprise que les dîners et déjeuners existent aussi sous l’ère de Macron II. Dans le plus grand secret (mais éventré) s’est déroulé un déjeuner où se sont agenouillés et retrouvés les journaleux appartenant à la fine fleur de la Mediacratie. Au menu : « Comment faire pour retourner l’opinion sur cette réforme des retraites qu’il s’agit de faire passer coûte que coûte ? »

Citons les invité(e)s : l’inénarrable Dominique Seux de France Inter (une radio que l’extrême-droite nous présente comme d’extrême-gauche), Nathalie Saint Cricq de France2 tv qui hurle sa haine sur Mélenchon à chacune de ses apparitions TV, Benjamin Duhamel son fiston-à-pistons qui officie dans cette calamiteuse chaîne BFMTV (chaîne reine de l’évasion fiscale) , Guillaume Tabard du Figaro (inutile d’insister sur ce vaurien) et – attention la classe – voilà la représentante du Monde dont on nous serine depuis tant d’années le sérieux et la neutralité : Françoise Fressoz invitée très très régulière de nos TV publiques. En aparté, citons le premier journaliste non-invité qui répercuta allègrement les éléments de langage présidentiel : Yael Goosz de… Libération, évidemment pas en reste.!

HOLLANDE AUSSI.

Tout ce petit monde doit être cité car ce déjeuner – dont tous leurs collègues taisent l’ampleur, les effets, les raisons, le sens – est le prélude à une campagne médiatique sans précédent. Cette solidarité de classe ressoudée ne vient pas à n’importe quel moment. Ce repas est organisé pour resserrer les rangs, pour marcher d’un seul pas contre le populo qui se lève (et pas qu’un peu) contre cette réforme des retraites qui risque de faire basculer le pays dans une horreur jamais vue et subie. Ces enragé(e)s du PAF ont beau plastronner et minimiser l’ampleur de la Révolte contre cette réforme des retraites, ils ne sont pas si naïfs que ça sur le rapport des forces du jour. Les Renseignements Généraux eux ne mentent pas dans leurs remontées à Beauvau et donnent vraiment le pouls du pays à leurs maîtres.

Cette bataille risque de mettre en danger jusqu’à Macron. C’est que plus le pouvoir des Dominants est contesté, plus la lutte s’exacerbe, plus le Pouvoir vis(s)e haut dans les médias et plus il s’organise et fait (va faire) preuve violence dans la rue.

Ce Déjeuner que Macron a essayé de tenir secret est une opération pour appuyer, marteler, pilonner les éléments de langage indispensables pour justifier sa réforme liberticide. C’est aussi via cette violence symbolique que pourra continuer de s’exercer sa domination. Pour la violence physique, Macron est déjà servi : il a déjà passé commande à son serviteur n°1 : Darmanin.

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PS : Aux dernières nouvelles, les convives étaient au nombre de dix. Il en manquerait donc 4 à l’appel. Il serait d’ailleurs plus interessant de savoir pour qui ils travaillent, de savoir quels sont ces médias présents qui veulent tenir leur présence au secret. Bien inutile d’interpeller, bien entendu, ceux et celles ci-dessus invités déjà nommés : même pas penauds, ils passeraient devant vous la tête haute.

2023. Année de luttes, de respirations, d’amour.

En mars 2023, mon blog fêtera ses 15 années.

Je me suis bien rendu compte qu’en cette année 2022, mes écritures sur le blog ne m’occupent plus autant que les années précédentes. En me retournant, scribe-escargot ou scribe-lévrier, je suis toujours un peu effaré par le nombre de mes billets écrits (1715 !) effrayé aussi d’avoir revêtu si longtemps la panoplie du stakhanoviste. Parfois, je me dis que tout ce remue-ménage, toute cette folie obsessionnelle sont bien inutiles, que je suis resté bien trop longtemps « le concierge de l’événement ».

Mais bien sûr, je me leurre, je l’ai voulu, j’ai persisté, encore et encore. Et je continuerai d’écrire.

Par pulsion. Par rage. Par poussées de fièvre.

C’est que lorsque je regarde l’obscénité du Réel, impossible de ne pas continuer. Pas de désertion possible. Restera toujours ce chemin de l’écriture, cet éternel sentier solitaire. Georges Perros écrivait justement : « L’écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n’existons plus pour personne ». Derrière nos pseudos, nos incises facebookesques, nos fariboles twittesques, existons-nous ? Si oui, alors de quelle existence ? Je vous laisse méditer.

Bien entendu, je continuerai d’écrire.

Ailleurs. aIlleurs. aiLleurs. ailLeurs. aillEurs. ailleUrs. ailleuRs. ailleurS.

Bifurcations nécessaires. Un livre. Des Carnets. De la prose en boîte. Des mots à l’air libre.

Tristement bercé par Pessoa et Léonard Cohen, enjoué par les guitares manouches ou les furies des Stooges, je continuerai de dessiner, de creuser, de concasser, de multiplier les entailles (dites) poétiques, et, aussi, de me reposer, haltes en prose ou encore, temps de pêche au bord des rives romanesques. (Pour les aphorismes, j’ai déjà donné).

Ce dernier billet 2022 ne sera pas celui de la Confession, de l’Intimité. Toujours, il y faut de la réserve, de la retenue. Tout se dit, tout s’écrit en murmures, en fausses pistes qui se révèlent plus vraies que nature, en jeu de cache-cache, en approximations chargées de ruses, en très sérieuses arabesques, en terrains d’aventures, en terrains vagues, là où précisément se disent et s’écrivent les idées les plus précieuses.

Aussi tournons ensemble la page 2022 et ne nous éternisons pas : à toutes, à tous, fidèles lectrices et lecteurs assidus, nouvelles venues, lecteurs occasionnels, à nous tous, souhaitons-nous une bienheureuse et bienveillante année 2023. Une année de luttes, de respirations, de promenades sur la grève, d’ascensions aux pics les plus improbables, une année de rencontres et d’échanges.

Et pourquoi ne pas l’écrire plus crûment ?

Une année d’amour.

Fatigué mais entêté.

« Savoir consume des forces, mais ne pas savoir les épuise »

(Maurice Blanchot. « Le pas au-delà »)

Ne nous voilons pas la face : la période est à la fatigue.

* Fatigue de devoir rappeler que nous sommes dix ans après le début des persécutions contre le toujours emprisonné Julian Assange, fondateur de Wikileaks. Fatigue mais entêtement à le rappeler surtout à toute cette journaille qui regarde ailleurs.

* Fatigue de voir toutes ces commémorations.

Celle du 11 novembre par exemple qui voit tous nos politiques pleurnichant les morts de cette boucherie 1914-1918 en taisant la responsabilité des Etats impérialistes d’alors. A ceux que la fatigue n’a pas submergé, lire et relire le petit opuscule de Lénine («L’impérialisme, stade suprême du Capitalisme»).

* Fatigue sur le silence de ces anniversaires non célébrés par nos si éminents Européens. Ainsi des funestes Accords de Munich (28-29 septembre 1938) qui virent les gouvernements anglais et français baisser leur froc devant le pacifiste Hitler. Oui, fatigue.

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*Fatigue, écoeurement (mais sans étonnement) de voir les crevures racistes tenant le haut du panier médiatique déverser quotidiennement leur haine du prochain.

*Fatigue à voir surtout les genuflexions ou les silences des Courtisans. Je pense ici aux troupeaux de moutons, de ceux qui plastronnent sur les écrans des milliardaires, qui ont des mots très durs sur le monde d’aujourd’hui mais oublient les mots «Macron, fascisme, Meloni, Darmanin, RN, Hanouna, Bolloré» dans leurs logorrhées.

Hanouna et ses soutiens.

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*Fatigue de devoir rappeler que, le 15 janvier 2022, Mediapart publiait un article sur les violences sexistes à Radio France, parlant d’un «constat accablant». Sa directrice sarko-macroniste compatible, Sibyle Veil s’engageait à mener une enquête tout azimuth. Pour l’instant, silence dans les rangs radiophoniques. De Léa Salamé à Sophia Aram, de Renaud Dely à Bruno Duvic, de Fabienne Sintès à Marc Fauvelle qui ont pignon sur rue médiatiques.

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*Fatigue mais entêtement à rappeler les conflits d’intérêts dans le scandale qui touche Agnès Runacher-Pannier, Ministre de la Transition écologique qui a violenté ses enfants en leur ouvrant des comptes dans les paradis fiscaux.

*Fatigue à rappeler ce que font les fils et filles de. Prenons Bolloré. Il a préparé notre présent et notre avenir et surtout celui des Africains depuis longtemps. Voyez les destins de ses deux rejetons Yannick et Chloé. Voyez, pas loin, le coquelet Antoine Arnault et la petite Delphine, copine de Brigitte. Bourdieu parlait déjà de ça dans les Héritiers. Trente ans après, le mécanisme de la reproduction sociale est de plus en plus perfectionné jusqu’à nous épuiser.

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L’accumulation de scandales, d’exhibitions de pourritures sur nos écrans (quand on les ouvre) sont là, non seulement pour nous éreinter mais pour nous démobiliser et nous pousser à faire les autruchons. En quatre jours de Macronie, on a eu : les obscénités d’un De Fournas, la Ministre Runacher Pannier, le larbin Hanouna et le sinistre de l’Intérieur Darmanin revêtant la panoplie de l’antifasciste et du protecteur de migrants. Où trouver les antidotes contre cette fatigue qu’ils nous inoculent ?

Me souviens de ce vieux bonhomme fatigué sur lequel j’avais fait mon premier clip-vidéo.

« Hier en Italie, à l’âge de 93 ans, est mort un homme qui vivait depuis vingt ans dans les chemins de fer. Il ne cessait d’aller d’un train à l’autre, n’ayant pas d’autre domicile. Ancien député, il disposait de billets gratuits. Sa grande fortune ayant disparu, il ne lui restait plus que ces billets. Il mourut dans la gare principale de Turin, alors qu’il s’apprêtait à changer de train. »

*Fatigue, soupir : chacun sa façon singulière de descendre au Terminus.

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*Fatigués, bien sûr. Comment ne le serions-nous pas ? Heureusement, d’autres l’étaient et nous ont rapporté leur expérience singulière de résistance.

Imre Kertesz, rescapé d’Auschwitz et de Buchenwald, rapportait ce mot allemand «Weltvertrauen» qu’il avait emprunté à Jean Améry, autre survivant, mot qu’on pourrait traduire par «la confiance accordée au monde». C’est de cette confiance basique, indestructible qui nous préserve du pire, qui nous fait tenir debout malgré nos corps endoloris, malgré le poids de confusion dans nos pensées.

Et c’est encore Jim Thomson («1275 âmes», n° 1000 en Série Noire) qui, du fond de son agitation intérieure, nous en parlait le mieux.

«Je m’appelle Nick Corey. Je suis le shérif d’un patelin habité par des saoulauds, des fornicateurs, des incestueux, des feignasses et des saloupiauds de tout acabit. Mon épouse me hait, ma maîtresse m’épuise et la seule femme que j’aime me snobe. Enfin j’ai une vague idée que tous les coups de pied qui se distribuent dans ce bas monde, c’est mon postère qui les reçoit. Eh bien, les gars, ça va cesser. Je ne sais pas comment, mais cet enfer va cesser». 

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Bien entendu, cette fatigue infernale ne cessera pas mais, comme tout se termine en musique, on pourra s’arrêter sur cet instrumental qui nous persuadera provisoirement que la Vie l’emportera.

Le courage de Céline.

Peu de gens parlent de son courage

… du courage qu’il lui faut pour se taire devant TOUS (puisque désormais sa parole, consignée en main-courante, est devenue publique).

… du courage qu’il lui a fallu pour faire ces deux cent mètres entre la maison et le Commissariat du quartier.

Du courage, il lui en faudra encore et encore pour tenir bon devant le déferlement médiatico-politique, pour affronter ami(e)s et ennemi(e)s, pour subir probablement les réserves, les sous-entendus dans sa propre famille, les inimitiés dans sa belle famille qui parlera – elle en est sûre – d’un geste impardonnable.

Elle commence à percevoir que, du courage, il lui en faudra pour être tout simplement Céline, femme parmi les femmes, pour repousser l’image à vie d’avoir été celle qui a détruit son mari, celle qui a stoppé la carrière d’un politique prometteur. Et ce cirque autour d’elle n’est pas prêt de s’arrêter. Elle a déjà essuyé toutes sortes d’insultes publiques, un panel incroyable, des insultes avec doigt vengeur, elle a vu ces désapprobations silencieuses, tous ces regards, tous ces murmures, toute cette méchanceté inimaginable, surtout aux sorties d’école et – paraît-il – aussi sur les réseaux sociaux. Elle a déjà entendu Sorcière, Mégère, Souillasse, Balance, Salope, déjà entendu que, merde, il fallait régler ça en privé, et que, bordel, qu’avait-elle besoin d’aller voir les flics pour si peu.

Ils ne savent pas.

Ils ignorent le prix à payer en silence, ils sont dans cet autre monde où tout est nié de cette souffrance qui vous mine et qui vous consume intérieurement. Quoi ? Une gifle serait un simple mouvement d’humeur ? Toute cette histoire, ce serait trois-fois-rien ? Mais que savent-ils du poids d’une gifle balancée par un être qu’on aime, qu’on a aimé et à qui, en toute confiance, on a dit oui pour une vie commune ? Savent-ils seulement que ce cataclysme est pire qu’un coup de grisou, pire qu’un tsunami, qu’un tremblement de terre. Non, ils ne savent pas. Ils résument cette gifle reçue à une douleur physique, à une marque temporaire laissée sur le visage. Et puis, ce genre de choses, ça passe, ca s’oublie vite. Ils n’ont pas idée du poids indicible que pèse ce geste, d’un poids si profond qu’il pénètre dans les chairs, dans les fibres – à l’insu ou non. Ils ignorent que cette main lancée, elle la voit partout, tous les jours, en faisant son lit, en passant l’aspirateur, dans les rayons de Carrefour, aux premières pages du livre qu’elle vient d’ouvrir.

Lors de ses passages télévisés, elle regardait ses mains, elle n’écoutait plus ce qu’il disait, ce qu’il répondait avec ce calme impressionnant qui fait l’admiration de chacun – même hors de leur camp politique. Elle devinait ses mains à plat (celle de droite) sur le pupitre, elle pouvait presque admirer ses justes réparties, sa finesse politique (qu’elle partage) mais pour le reste, en ce qui la concerne, personne ne peut imaginer quelle force il lui a fallu pour repousser la fatigue qui la mortifiait, quelle énergie il a fallu engager pour continuer à jouer son rôle dans la Comédie sociale. Ah cette obligation de paraître digne et parfaite en tous points ! Il n’y a pas que chez les riches qu’on est astreint à tenir son rang. Tenir son rang ? Céline a compris ce que cela veut dire : se taire, se terrer, ne rien laisser paraître. Il y a une semaine encore, accompagnant X à l’école, son amie Josie s’est exclamé « Tu as une mine superbe » alors que son cœur faisait naufrage. L’épouse doit rester à la place assignée de tous temps, de toutes les sociétés, à cette place du retrait, du visage apaisé ou de l’invisibilité.

De plus, il lui a été impossible de trouver une porte ouverte pour s’épancher, se plaindre, dire sa peine, la déposer en toute confiance, impossible de trouver un interstice vivable pour se délester un peu de son effroi, pour partager la dévastation qui a suivi la gifle… geste dont elle ne l’aurait jamais cru capable. Quelle instance pour accueillir sa parole ? Qui dans le Mouvement d’Insoumission pour accepter qu’elle fasse valoir la vérité de cette violence ? Qui pour lui venir en aide ? Où trouver cet espace-là ? Depuis la gifle, personne ne le sait plus qu’elle : tout a changé, absolument tout. C’est que depuis, il est devenu l’homme politique en pleine ascension, le premier et le préféré dans la filiation politique. Se plaindre. Dire la vérité : sacrilège.

Que deviendra le Mouvement ? Elle n’en sait rien mais elle ne regrette rien. Ses amis qui lui tournent le dos, elle s’en désole, elle en pleure mais elle reprend pied et ses insomnies ont quasiment disparu. Elle ne regrette rien. La brèche ouverte dans les têtes et le cœur des gens de Gauche ? Elle est là, elle ira s’élargissant mais, aux épreuves de la vie politique, de la vie tout court, le Futur (proche ou lointain) offrira toujours des solutions. Les espoirs déçus, les fuites en avant, les désertions, les réponses désolantes au plus haut point hiérarchique, les faveurs prioritaires au fils préféré et à la filiation 2027, ce n’est pas de son fait. Que chacun se débrouille avec ! Que chacune s’en arrange ou non !

Et… que la Police ait divulgué le contenu de ses propos, qu’elle les ait vendus au Canard Enchaîné, qu’il se soit agi d’un honteux secret professionnel bafoué… tout cela n’est pas sa priorité, n’est plus vraiment sa question. Il y a des citoyens et des citoyennes pour s’en emparer. Ses fibres à elle restent définitivement, tranquillement ancrées à Gauche. C’est son socle.

Elle a relevé la tête. Le soir, elle pleure toujours un peu avant de trouver le sommeil.

Mais les matins, elle ne joue plus le même rôle dans la Comédie sociale généralisée. Elle relève les manches, elle n’attend rien. Elle plie mais ne rompt pas.

Et elle marche. Elle s’arrête puis repart.

Elle tient, elle tiendra bon.