« Cousin singe et Cousin ange ».

Cousin Ange, Cousin Singe

C’est dans les Aphorismes de Lichtenberg que j’ai trouvé cette double expression : «Cousin Singe et Cousin Ange». Une formule qui pourrait caractériser ce qu’il en est de Roman Polanski, artiste-cinéaste, marchant sur un chemin de vie tortueux. C’est sur les dernières pages d’un des magnifiques essais de la critique Marthe Robert («La Vérité littéraire») que BiBi s’est arrêté, méditant durant son après-midi dominical :

«Nous sommes gênés, écrivait-elle, par l’unité que nous conférons a priori à la personne active dans le domaine de l’esprit. En dépit de Freud et de ses découvertes touchant l’anachronisme profond de la Psyché humaine, nous sommes en effet toujours prêts à supposer que l’Individu constitue un entier, un bloc compact identifiable avec ses parties les plus avancées. Nous avons beau savoir théoriquement que la vie de l’Inconscient conserve, en chacun d’entre nous, une forte portion de préhistoire, nous n’en tenons aucun compte dans nos jugements, et nous sommes étonnés, déconcertés, scandalisés comme d’une incongruité, toutes les fois que l’expérience nous force à le rappeler. Sans doute nous voulons bien que le génie ait ses faiblesses, ses turpitudes, ses mesquineries, nous voulons bien qu’il soit égoïste, avare, jaloux, débauché – mais qu’en vertu d’une sauvagerie archaïque échappant à sa juridiction, il puisse aussi être frappé d’arriération, cela non, toute notre conception de la Personne et la philosophie de la Culture qui en dépend nous interdit pareille conclusion. Dans notre tradition intellectuelle et morale, le génie est regardé en soi comme facteur de progrès, aussi même ce qu’il a de négatif peut-il toujours être sauvé (…) »

Plus loin, analysant les arriérations de grands génies littéraires (Shakespeare antisémite alors qu’à la même époque Montaigne et Cervantès ne l’étaient pas, Wagner, Goethe itou, Groddeck, Voltaire racistes, Knut Hamsun pro-nazi, Drieu, Jouhandeau, collabos), Marthe Robert écrivait avec justesse :
« A l’opposé de ce que nous nous figurons, nous ne savons pas si la responsabilité de l’écrit est du ressort de l’éthique générale, de l’esthétique ou tout simplement de la morale politique – même sur ce point élémentaire, nous sommes et nous restons dans l’obscurité, en sorte que si nous étions tant soit peu conséquents, nous devrions, en attendant, nous abstenir de juger. Mais dans ce domaine précisément, nous ne pouvons ni ne devons vouloir l’abstention, car il y a réellement, dans bien des productions de l’esprit, des poisons subtils ou violents contre lesquels nous n’avons pas d’antidote qu’une pensée incessament en éveil. Il faut donc juger, tout en sachant que, jusqu’à nouvel ordre, nous ne le faisons sans connaissance de cause, en n’émettant jamais que des opinions qui, pour nécessaires qu’elles soient, sont encore loin de faire loi»…

Et, plus loin, elle rajoutait dans une sublime conclusion (que BiBi fait sienne) :
« Il faut juger dans la pleine conscience de ne rendre, la plupart du temps, que des verdicts approximatifs, hâtifs, légers, quand ils ne sont pas dictés directement par l’idéologie du moment ; mais il faut aussi juger dans l’espoir qu’à force de tourner et de retourner des questions jusque-là non posées, nous finirons, peut-être, par percer un peu mieux les rapports secrets de la littérature avec nos diables et nos bons dieux ».

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