Scandales : en rester là ?

Une belle semaine. On a eu nos instants de jouissance avec la démission de François de Rugy – pourquoi pas ? Les ingrédients du homard et les Château d’Yqem remplissant les verres de cristal ont bien occupé nos derniers jours. Avec  notre dose de scandales de la dernière semaine, chacun a été bien servi et chacun de crier avec joie extrême (BiBi y compris) : « Qu’est-ce qu’ils prennent avec ces révélations ! ».

Avec De Rugy, Mediapart a réussi un joli coup. Bravo à eux. Que cela ne surprenne pas ceux et celles qui me suivent, je répète « Bravo à Mediapart». Je continuerai pourtant à me décaler de leurs travaux d’investigation même si je les juge profitables et nécessaires. Mais mon avis sur l’Officine de Plenel n’a pas changé. Extrait-bibi mars 2015.

Tentons d’analyser ce qui s’est passé avec Mediapart et De Rugy. Constat évident : le Mediapart de PLenel a trouvé aujourd’hui un poids suffisamment important dans l’espace mediatique pour que tous les autres Médias soient obligés de le suivre et de s’y référer. On devine d’ici les effets de jalousie, de ressentiment dans les différentes Rédactions d’avoir à dépendre d’eux.

Mais comparons l’affaire de Rugy/Mediapart (et le poids désormais du site de Plenel) avec cet autre scandale qui est celui soulevé par la lanceuse d’alerte Françoise Nicolas sur l’affaire du Bénin qui touche Nathalie Loiseau. Pas rien quand-même ce scandale ! Faisons l’inventaire des quelques supports dont dépend la popularisation de cette affaire pourtant connue depuis fort longtemps : les cris répétés de la lanceuse d’alerte, ses tweets dans les réseaux sociaux, ses interpellations aux différents Médias, de leurs non-réponses (Mediapart par exemple très au courant ne pipe mot, idem pour Liberation, Politis etc). Notons ici l’exception du MediaTV et le Live Special de Gabin, petit site indépendant). Poids donc quasiment nul.

Le poids des scandales dépend donc des supports. Selon que tu sois fort (1). Selon que tu sois faible. Logique concurrentielle en système libéral.

Sans que la responsabilité de Mediapart ne soit mise en cause, on peut faire ce constat que certains scandales recouvrent d’autres scandales (et pour moi, il est un, en cette semaine, un qui est beaucoup plus énorme que celui de l’utilisation de l’argent public de la part d’un Ministre.

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Voilà l’enquête (avec les preuves) du chemin de l’argent nourri par les publicités TV Radio Presse de cet oligarque.

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Il y a en effet quelque sidération à avoir quand on prend connaissance de l’Affaire de NextRadioTV et quelque ahurissement lorsqu’on se rend compte du silence quasi-général sur ce scandale qui touche Patrick Drahi, onzième plus grande fortune mondiale. Rappelons qu’il s’agit là d’un ami financier de Macron, qu’il est propriétaire de RMC, de Libération, de l’Express, de BFMTV, qu’il détient un empire-bis avec ses réseaux téléphoniques français (Altice France), portugais, israêliens, américains pour une part (Altice USA).

L’EMPIRE DRAHI.

Voir les grands de ce Monde (ici français avec DeRugy) tomber de leur piedestal est toujours un plaisir. Sarcasmes et jouissance. Pourquoi se priver ? Mais… mais encore ? C’est là que le bât blesse : que faire de tous ces scandales ? (2) Question politique d’extrême importance car – ne nous leurrons pas – pendant les Affaires, les affaires continuent. Aussi que faire de ces Affaires ? Croyons-nous vraiment que celles-ci mises au grand jour vont faire avancer ipso facto la conscience politique du pays ? De la nôtre ?

Je crois, avis-BiBi, que les homards de DeRugy nous éclairent autant qu’ils nous aveuglent. L’éclairage sur la déliquescence des institutions, sur les courroies pourries de la Démocratie qui vont du vote aux Assemblées, sur les profits illégaux d’hommes ou femmes politiques, est bienvenu. Mais, car il y a un mais, lorsque ces affaires en restent là (à la seule dénonciation, justifiée bien entendu, sur la Place publique) leurs révélations nous placent aussi en état d’impuissance. C’est que le Capitalisme français va perdurer sans le moindre problème et que d’autres affaires succèderont à d’autres affaires. Voyez l’abscence totale d’attaques sur le Grand Capitaine précité.

La multiplication des scandales brouillent notre regard d’analysant. Consommateurs de contestation que nous sommes, voir un ou deux Puissants vaciller, ça nous soulage et faute de mieux, on en reste là. Mais ce faute de mieux n’est pas inexorable.

Mais si les forces politiques ne s’emparent pas de ces scandales pour les porter au combat politique (une VIème République), si l’on reste dans cette focalisation sur les symptômes (et les homards en sont d’incroyables), on participe de fait au statu-quo. Et donc, on acquiesce – à notre corps défendant – à la dissimulation de scandales autrement plus importants (ici celui qui touche à l’Empire Drahi) (3). La consommation de scandales que nous faisons, notre joie et délectation (moi le premier) autant que nos écoeurements ne font pas de nous naturellement des Citoyens prêts à (essayer de) changer ce Monde-là. Ce climat de scandales perpétuels ne doit pas nous faire penser qu’automatiquement, nous mettrons en cause les paradis fiscaux, le blanchiment, l’évasion fiscale qui sont le cœur même de l’Economie du néo-libéralisme, du Capitalisme internationale.

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(1) Il ne s’agit pas de contester la montée en puissance de Mediapart qui a grandi en lectorat et en reconnaissance avec les Affaires Cahuzac, Sarkozy. Naissance et montée qui – rappelons-le – s’est aussi faite grace aux apports de Monsieur Niel.

(2) Ces derniers jours nous avons été servis : encore Benalla, Cambadélis, encore Sarkozy, Balkany en justice, rétro sur Tapie et le Crédit Lyonnais etc.

(3) Réfléchissons sur cette aberration objective : au moment où le MediaTV révèle ce scandale Drahi, Sophia Chikirou va entrer à BFMTV, propriété de ce même Drahi.

4 Responses to Scandales : en rester là ?

  1. Un partageux dit :

    Il y a aussi — mais être exhaustif serait être fort long — la question symbolique du forfait. Bâfrer du homard et boire des crus hors de prix quand tant se couchent sans manger, ce serait mal.

    Par contre frapper, éborgner, mutiler du populo de banlieue ou porteur de gilet jaune, on s’en branle, c’est du populo. Tuer une femme âgée, c’est une Zineb, on s’en branle. Faire disparaître un jeune qui fait la fête, c’est un Steve, on s’en branle.

    La différence symbolique entre grands crus et violences policières ne saute pas aux yeux et pourtant elle est là et pèse lourd.

  2. AgatheNRV dit :

    Plafonner les indemnités prudhommales pour favoriser les entreprises qui se gavent et licencient, abaisser les retraites pour appauvrir sauf celles des hauts fonctionnaires… Où est passé l’excédent des caisses de retraite, cet argent est où ? Le capitalisme se débarrasse toujours d’un de ses parasites pour apaiser le peuple avec l’aide de ses patrons de presse (toujours dévoués comme tu le soulignes). Les syndicats feront semblant et le pire sera atteint.

  3. Claudine CHAPUIS dit :

    Analyse pertinente, Bibi, ce homard est le crustacé qui cache le rocher!
    On aurait préféré voir François de Rugy mordre la poussière pour son vil opportunisme, pour avoir réduit l’écologie à son plan de carrière, pour sa morgue et son mépris, pour sa lâcheté (limogeage immédiat de sa directrice de cabinet). Mais il a trébuché pour l’histoire du laquais qui veut se faire aussi gros qu’un marquis.
    On peut regretter que l’opinion n’ait prise que sur ce qui fait scandale comme le luxe ostentatoire au détriment de l’argent public et pas sur le fond, sur l’immunité concernant des politiques de prédation. Rugy n’a rien à se reprocher du point de vue de la fonction qu’il a acceptée: vendre l’écologie pour, par exemple, mieux brosser les chasseurs dans le sens du gibier à poil (3 M de voix) pendant que Madame se dépensait en proses laudatives sur « la robe zippée de B Macron fascinante au G7 ». Combien de M de voix, les ménagères qui absorbent ces magazines spécialisés dans le léchage de Louboutin chez le coiffeur? Il doit bien exister un logiciel de simulation qui établit ces pourcentages.
    Rugy avait juste oublié que, n’étant pas du sérail, il serait débranché sans tarder. C’est son seul point commun avec Bérégovoy qui était,lui, je crois, un homme d’honneur.
    Mais pourquoi Rugy à ce moment-là quand on sait que ce système de privilères perdure depuis des années, que l’hôtel de Lassay et sa cave sont parmi les lieux les plus convoités de la « République »? Mais moins protégé que La lanterne, réquisitionée par l’Elysée depuis Sarkozy. Coût de fonctionnement faramineux, mobilisation policière exceptionnelle chaque week-end. Les « dîners informels » doivent s’y succéder , le train de vie monarchique également.
    Ce qui est véritablement nouveau, c’est cette alliance de l’ancien monde et les technologies du XXI ième (révisons l’affaire de « collier de la reine » qui a précipité la chute de la monarchie).
    C’est me semble-t-il en cessant de penser EM comme une formation politique mais en l’envisageant comme une grande entreprise dotée d’un PDG, d’un Conseil d’aministration et de publicitaires qu’on éclaire la stratégie à l’oeuvre pour adapter le pays à l’évolution du capitalisme productif en capitalisme spéculatif et boursier:vendre le pays à l’encan en maintenant une parodie de démocratie. Parodie entretenue par une armada de coutisans.
    Le travail de Médiapart est utile mais il ne doit pas effectivement détourner l’attention sur les méthodes en cours.Les municipales vont être un « beau » terrain d’observation. Faute d’implantation locale, EM mobilise les femmes en leur lançant un appel qui ressemble à la création d’un réseau de franchisées. L’argument du genre: Mesdames, vous n’avez pas les fonds pour ouvrir une boutique de prêt-à-porter, EM vous propose son réseau de prêt-à penser, sans apport personnel, on vous coache, vous avez juste à signer. Forte charge symbolique, dans toutes les guerres on prenait les villes et on forçait les femmes, c’est la version soft et moderne…
    Si je me suis éloignée du sujet, c’est sûrement que ça devient très violent, que nous sommes nombreux à être assaillis, en difficulté pour exprimer la colère, l’effroi, l’inquiétude tant ils deviennent quotidiens. Mais nous sidérer pour nous faire taire fait peut-être aussi partie du plan?

  4. BiBi dit :

    @CChapuis
    Merci pour tes reflexions. Oui on aurait aimé que De Rugy saute pour ce qu’il a fait et ce que le régime qu’il soutient n’a pas fait. Il dégage aussi parce que la Vox Populi, analysée par les sondeurs privés et la remontée des RG, est puissante pour signifier le rejet de la politique d’EM. Ce que je remarque en entendant les discours médiatiques entourant cette démission, c’est l’évitement du nom de notre Président. Il faut impérativement écarter les six lettres M-A-C-R-O-N pour ne pas charger les oreilles citoyennes qui pourraient alors faire T-I-L-T. Il faut se mettre dans la tête que, pour la première fois dans l’histoire du Politique en France, le vote a placé un type, énarque, directement lié aux Capitaines d’Industrie (et Médias) – pour ce, lire Crépuscule de Juan Branco et le livre d’Endeweld – et à la Banque. Ce type-là n’a pas comme Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande grimper dans les Appareils. Quant au gavage des députés avec l’argent public, c’est aussi aux niveaux inférieurs. Faut avoir vu comment se sont gavés députés, conseillers généraux pour des parties de chasse en Bavière ou Polgne, des séjours en Afrique du Sud et leurs hôtels mafieux… On n’est pas surpris mais toujours ulcéré que ça continue. Enfin, tant que la protestation majoritaire dans le pays avec un degré de haine incroyable contre Emmanuel Macron se réfugie dans l’abstention, on ne pourra temporairement souffler un peu.

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