Mediapart et Jean-Luc Mélenchon : faut-il s’étonner ?

Tempête 3

 «Étonnants» journalistes de Mediapart ?

Fabrice Arfi et François Pernaud de Mediapart ont poussé une violente charge contre Jean-Luc Mélenchon. Et l’attaque tout azimut a été de taille : qualificatifs ahurissants, phrases tronquées… Toutes choses qui en laissa plus d’un sur son séant.

Mais à la réflexion, est-ce si étonnant que ça ?

Je donnerais ici quelques pistes personnelles d’analyse.

  1. Et de rappeler d’abord qu’Edwy Plenel, le grand Chef de Mediapart, le supérieur hiérarchique de Fabrice Arfi, avait tenté avec hargne de dégommer et de disqualifier un certain Denis Robert (Lire mon billet de 2010).
  1. Et d’émettre des hypothèses complémentaires : il faut revenir à l’analyse du champ médiatique, champ concurrentiel comme tout champ et insister sur ce nouvel entrant qu’est Mediapart dans ce paysage (faire sa place – combat constant)

Depuis le début de sa jeune histoire, Mediapart a misé sur l’enquête et l’investigation très poussées. Nous avons eu droit à quelques affaires retentissantes (Bravo. Mille fois bravo !). Des affaires mises à jour qui concernaient l’Extrême-Droite (les banques russes et le FN), la Droite (Sarkozy, Balkany & Co) et la Gauche socialiste (Cahuzac) mais… pas d’affaire à se mettre sous la dent avec la Gauche (radicale).

Du coup, Mediapart peut apparaître comme une Officine mélenchonniste auprès du lecteur-lambda. Au démarrage du site, il est fort probable que les premiers abonnés ont été plutôt des gens de sensibilité Gauche-Très Gauche. Mais leur nombre ne suffit cependant pas aujourd’hui à entrevoir comme certain l’Avenir proche et lointain du site.

mediapart-1

Pour gagner un indispensable et plus large lectorat, il a nécessité pour Mediapart de se dégager de cette étiquette trop Gauche radicale.  Ce supposé positionnement empêche l’abonnement et l’arrivée d’un lectorat plus «conservateur». Quoi de mieux alors que d’envoyer missiles et Scud sur Mélenchon à propos de la mort de Nemtsov ? Quoi de mieux que de crier haut et fort son indépendance et son impartialité avec en ligne de mire une concentration des tirs sur Poutine, unanimement considéré comme un Terrible Despote Russe ?

  1. Ne pas se méprendre : on croirait à me lire que Fabrice Arfi (dont j’ai lu les livres avec très grand intérêt) est un suppôt du Capitalisme, un Conspirateur, un Traître, que sais-je encore. Non, bien sûr que non : pour comprendre l’arrivée de cette torpille injustifiée, il suffit de se servir du concept opérant d’habitus, d’habitus spécifique (qui ne se traduit pas par une rigoureuse identité de vue mais qui, par affinités, partage une relative cohésion qui fait de MediapartMediapart). Je laisserais Alain Accardo le dire bien mieux que moi :

Accardo 1.

Par exemple : je suis toujours étonné par cette qualification – comme allant de soi – d’extrême-gauche pour désigner la Gauche non-socialiste, représentée par le Front de Gauche. Fabrice Arfi, dans son livre, critique sans sourciller la Droite et la Gauche (y incluant de façon indéterminée les socialistes et les non socialistes) (1).

Incontestablement, les journalistes de Mediapart ont développé une résistance dans le système mais ils ne vont pas plus loin. Ils confondent et continueront de confondre cette résistance avec une lutte contre le système. Aussi Mediapart restera t-il dans une continuelle démarche inachevée, ambiguë, dans une protestation/contestation/dénonciation nécessaire mais insuffisante.

Accardo 2

Cette catégorisation Droite / Gauche ne va pas de soi mais n’est guère interrogée et mise en débat par la plupart des journalistes. Ce renvoi dos à dos de la Droite et de la «Gauche» est à la base des raisonnements et des positions de Fabrice Arfi.

Air connu et recyclé tous les jours que celui de l’indépendance, de l’impartialité : cela permet au probe Média(part) d’apparaître tels. Et tout ceci n’est pas inutile lorsqu’il faut gagner un lectorat sur sa droite (celui de la petite-bourgeoisie, lectorat de Libé sur qui rogner par exemple) et de se débarrasser d’une étiquette (trop gauchiste).

Capitalisme

Revenons à notre mouton rouge : Jean-Luc Mélenchon.

Alors ? Alors ? Et avec Patrick Buisson, hein ?

Ce qui reste curieux dans le (débat) politique, c’est cette propension à le réduire à des personnes (personnalités). Avec cette affaire Buisson-Mélenchon, c’est toujours un même point de vue sur le champ politique, perçu comme champ de bataille entre têtes d’affiches/ têtes à claques/têtes bien faites/têtes de gondoles etc.

Front de Gauche

Alors ? Buisson-Mélenchon… Faut-il que je réponde ? Oui, il le faut. Trois points :

  1. La lucidité politique n’est pas une donnée naturelle. Elle connaît toujours des circonvolutions. La trajectoire mélenchonniste n’est pas exempte d’erreurs (il s’est leurré sur les socialistes, a cru – comme Gérard Filoche aujourd’hui- pouvoir infléchir le Parti de l’intérieur, il a déjeuné avec Buisson en 1994 etc). Ce rapport – qu’il soit étroit ou distancié – avec ce facho est infiniment regrettable. Et puis ?

Et bien, cela n’entame pas pour moi le crédit donné au Front De Gauche et à ses engagements. Dans le paysage politique français, le Front de Gauche reste le seul espace anticapitaliste novateur, ouvert et offensif (même si les départementales ne lui donnent pas majoritairement raison, même si persistent des positions très discutables – donc justement à discuter). Lire mon billet 1400 ici 

  1. Sur les rendez-vous de Mélenchon avec l’Image, voir mes réticences et mes regrets quant à une insuffisante réflexion sur la présence médiatique de ceux et celles qui veulent changer les choses (2).
  1. Que faut-il en tirer comme conclusion ? Qu’il faut penser bibi, c’est-à-dire penser singulièrement, s’armer de concepts rigoureux et souples, tenter de s’y tenir, de les ouvrir à l’autre, d’échanger sans complaisance, de se tenir à l’écart de l’idolâtrie, de porter, d’essayer de porter haut et fort ce «savoir engagé» «qui milite inséparablement pour l’établissement de la justice dans le monde social en militant pour celui de la vérité sur ce monde social». (Alain Accardo)

2012-03-15messi-melenchon

Mélenchon sur tous les terrains ?

*

(1). Pages 28/29, 57/58 in Le Sens des Affaires édité chez Calmann-Lévy). Enfin, on ne saurait conseiller le débat Henri Mahler- Fabrice Arfi sur le site Acrimed où les avis étaient très différents sur le sens à donner aux Affaires.

(2) Extrait de mon billet : «Le leader du Front de Gauche s’insurge contre le bateleur libéral Patrick Cohen et son émission «Les Matinales de France-Inter». Mais il se montre curieusement bien obéissant avec ses camarades de lutte : «J’y vais parce que mes camarades me disent «il faut y aller parce que ça fait longtemps que tu y as pas été» mais moi j’ai aucun plaisir à y aller, j’ai aucune émulation intellectuelle, je sais que je vais dans un traquenard». Bon, Jean-Luc sait qu’il va à un traquenard mais il y va quand-même. Qu’attend t-il pour ouvrir ce sérieux débat à propos de ce sérieux désaccord avec ses camarades ? Curieux oubli et très dommageable, non ? Voir mon billet en entier ici 

7 Responses to Mediapart et Jean-Luc Mélenchon : faut-il s’étonner ?

  1. Un partageux dit :

    Eh bien voici un très bon billet ! (Et c’est vraiment un compliment appuyé venant d’un qui n’a pas la conformation du poignet requise pour passer la brosse à reluire.) Bonne analyse toute en finesse. Ça nous change de la serpe et de la hache que l’on croise trop souvent…

  2. Bien d’accord avec ton analyse qui rejoins celle de Sapir sur ce sujet. http://russeurope.hypotheses.org/3647

  3. Zap Pow dit :

    C’est vrai qu’il est très bon, ce billet ! En ce qui concerne les médias, Mélenchon me donne l’impression d’être souvent écouté, mais rarement entendu. On l’écoute pour saisir le mot, le bout de phrase dont on fera son beurre, souvent en l’interprétant à volonté.

  4. BiBi dit :

    @Zap Pow
    Ce problème de réception, je l’avais déjà remarqué du vivant de Georges Marchais (qui pensait être populaire parce qu’il faisait de bons « shows » dans les émissions du petit écran).
    Dommageable la personnalisation : peu de gens connaissent (et a-fortiori reconnaissent) d’autres têtes pensantes du PG, du FDG.
    Et enfin je le répète : en 2005, le Traité Constitutionnel sur l’Europe était défendu à 95% par les Medias et le Non l’a emporté.
    Voilà qui devrait faire réfléchir, non ?

  5. Tietie007 dit :

    Il faut dire que Mélenchon n’en rate pas une …dire que Poutine serait la victime de l’assassinat de Nemtsov …

  6. Zap Pow dit :

    @ Tietie007

    Parfaite illustration de mon propos. Voici ce que Mélenchon a écrit : « Pourtant, après ce mort et sa malheureuse famille, la première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine. Car il a été aussitôt traîné dans la boue par toute la presse « libre, éthique et indépendante » du monde entier, dénonciatrice ardente sur ordre des armes de destruction massive de Saddam Hussein, de l’Iran et de tous les autres articles de propagande pré-mâchée des USA. »
    Est-ce faux ?

  7. Louis31 dit :

    Si je m’étais abonné à Médiapart c’était parce que je le croyais honnête, non pas qu’il fût de droite ou de gauche mais qu’il nous informe le plus loyalement possible. Et dans cet article, où même Fabrice Arfi qui me paraissait être un journaliste de confiance, truque l’info (même pour les bonnes raisons que vous évoquez) ne me donne plus confiance. Comment voulez vous lire un article si on est obligé de contrôler toutes les infos pour s’assurer de leurs véracités?

    Il ne manque pas d’articles ou de vidéos ou Mélenchon peut être critiqué mais faire un faux d’une telle bassesse me paraît inconcevable.
    Donc mon abonnement est résilié à partir du 2 avril. Et je regrette qu’il n’y ai pas une grande part d’abonnés qui est fait comme moi, quitte à se réabonné dans 2 ou 3 mois pour signaler à Mediapart que nous sommes ses clients pas des moutons et qu’il ne peut à l’envi nous pondre des articles complètement bidons, juste pour étendre son lectorat.

    Louis

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