HIER J’AI VU «ADIEU AU LANGAGE» de J-L GODARD.

ADIEU+AU+LANGAGE+-3D

Pas souvent dans nos contrées provinciales qu’on peut voir du Godard en grand écran, avec son dolby et ô surprise en lunettes 3 D. De Godard, on ne garde bien souvent que des clichés. On dit «il fait du Godard» comme qui dirait «il fait du Picasso». On écrit God Art ou Picassette. On fait son malin en parlant des différentes époques, des Godard première période, de l’époque bleue de Picasso etc. On a tout ça en tête, nom de l’artiste au firmament, glorification (vaine) mais qui, au fond, ne sert qu’à cacher la forêt du boulot.

Et de la forêt dans ce film Adieu au Langage, il y en a. C’est d’ailleurs là que se balade son Chien dénommé… Roxy Miéville.

*

Double hommage avec cette nomination rigolote…

  • – à l’animal (animal princeps car le Chien «aime l’homme plus que l’homme») et
  • – à sa (la-les) femme(s) (Anne-Marie Miéville, sa compagne).

Double 1 bis.

GODARD

C’est vrai qu’un peu avant de me rendre à la projection, j’avais en tête la phrase godardienne (qui a du faire écho à celle de… Picasso : «J’ai lu le livre d’Einstein, je n’ai rien compris mais j’ai compris autre chose»).

Godard avait repris ainsi : «On pense bien à quelque chose quand on pense à autre chose». On retiendra.

*

Double 2.

Une chose et une autre. Ce sera donc mon fil rouge pour hisser à niveau mon regard latent.

Côté séquences manifestes, il y a des sautes d’humeur et d’humour, des phrases inachevées, laissées volontairement à l’abandon, des morceaux musicaux qui font refrain, des sons de rues, d’essuie-glaces, de défécations, des citations dont (justement) il ne sera rien dit sur leurs auteurs. On attendra le générique, à égalité avec le nom des techniciens, pour savoir qu’il y avait là, pêle-mêle, du Dolto, du Dostoievski, du Blanchot, du Artaud etc.

Par la nature - heureux comme avec une femme

Double 3.

Il y a du Double, il y a deux contraires qu’on frotte et qui font étincelle. Deux pierres de silex pour mon grand plaisir. Pour avoir une chance de compréhension (à toi Lecteur-bibi de saisir singulièrement ta chance, voilà la mienne), c’est simple : tu es sur «la télévision est née en 1933» et tu crois qu’avec ce qui va suivre, il sera question de Télé, de Médias etc. Mais aussitôt dit, aussitôt y un saut : Godard te rappelle que 1933, ben oui, c’est juste l’avènement d’Hitler. Et puis hop, hop, on ne s’appesantit pas. A toi, Spectateur hollywoodien, de quitter ton siège habituel, de changer illico tes habitudes de Cinéphile, toi l’amateur de fictions consolantes. Car ici, soit tu t’aventures, soit tu t’évanouis. Soit tu suis soit tu quittes la salle.

On s’aventure donc. On est dans la forêt – comme le-la chien(ne) Roxy – on se doit de flairer par ci, par là, d’aller, de venir car, hé quoi, on a 50% du film à faire, hein, oui, en spectateur qui piste, qui renifle, oui, on a du boulot. On a le devoir de faire son travail de vision, de rêve, de révision.

*

Du double partout.

GODARD positif

Peausitif / Négatif.

Y a du 2D et du 3D. Tu vas de l’un à l’autre et de l’autre à l’un.

Tu ouvres les yeux et parfois, les images t’obligent à les fermer.

Tu écoutes une phrase de Monet mais tu te dis, pourquoi il cause celui-là puisque il était peintre. Et un peintre, ça fait drôle qu’il cause du pourquoi il peint.

T’es sur un prénom et hop hop y en a un autre. Ivich, Josette, Marcus, Gédéon.

Tu vois arriver le bateau du Lac Léman (couleur) et hop il est – plus en avant dans le film – en noir et blanc.

T’es sur la terre ferme et hop t’es soudainement sous l’eau de pluie.

T’es la couverture d’un livre sur le peintre Nicolas de Staël et hop – plus tard dans le film – t’as Godard qui mélange les couleurs de son image jusqu’à faire du, mais oui, du De Staël (tous deux se mélangent les pinceaux).

T’es sur les lumières colorées des phares d’une voiture et hop en correspondance décalée, t’as – de façon quasi-similaire – une image de feuilles mortes piétinées, à mêmes coloris, dans la forêt.

T’es sur un mot : Caméra. Tu penses Caméra de Cinéma. Et il est dit qu’en russe, Caméra, ça veut dire prison.

Tu t’interroges sur les Européens. «Et alors les Russes peuvent être dans l’Europe ?» «Oui mais ils cesseront d’être russes».

Tu montres le livre de Soljenitsyne (L’Archipel du Goulag). Tu t’attends à un pamphlet politico-gaucho-Mao. Non, Godard te rappelle que le sous-titre du livre est «Essai d’investigation littéraire».

*

Continuons de bien vouloir penser à quelque chose. 

Pour ça, il faut penser à autre chose.

Jean Luc Godard B

Finalement, qui sait si Godard, avec son Adieu Au Langage, n’avait pas voulu – de son côté – faire un «essai d’investigation cinématographique» ? Comme le chercheur qu’il est. Ne dit-il pas souvent lire des Traités Scientifiques ? Ne dit-il pas que son cinéma pencherait plutôt vers la découverte scientifique ?

Et me rappelant alors le titre du film, je reste scotché à la figure trouble du Double. On dit Adieu mais on est toujours là pour le dire et pour être entendu. Présence/Absence. C’est comme lorsque le Maître d’Ecole gueule un tonitruant «Silence !» : cet ordre est tout sauf… silencieux.

Car l’humain, c’est du langage. Et Roxy, le-la chien(ne), lui, elle, émet non pas des signes mais des signaux, signaux intraduisibles pour nous mais clairement compris de lui (d’elle).

Et puis, en écho final, avant la tombée du rideau, on entend à gauche le cri d’un bébé se superposant – à droite – aux jappements de Roxy. Alors ce(tte) chien(ne), aimant l’homme au-delà de l’Amour, serait-il (elle) l’égal(e) du BéBé-Sa-Majesté qui chercherait son premier mot, son premier Bonjour au Langage ?

Jean-Luc GODARD

Tous comptes faits, avec ce film De Godard, on n’a pas compris grand-chose mais on a appris beaucoup. Résonnent alors les paroles qui touchent là encore au à-toi-à-moi (à moi-cinéaste, à toi-spectateur). Aux trois-quart du film, il y a ce bel élan (que Godard redoublera), bel élan écrit par je-ne-sais-pas-qui. Une voix dit :

«C’est facile de penser à ce que pense l’autre. Plus difficile est de savoir ce que je pense».

5 Responses to HIER J’AI VU «ADIEU AU LANGAGE» de J-L GODARD.

  1. Robert Spire dit :

    Peindre c’est dire adieu au langage. Mais le peintre qui parle de la peinture m’intéresse plus que sa peinture.

  2. Robert Spire dit :

    Il y a cette expression: « La main au secours de l’esprit »…Comme définition de la création ou de la masturbation?

  3. Robert Spire dit :

    Avec Godard, « Nous luttons sur deux fronts, contre l’idéologie bourgeoise et contre les aberrations staliniennes. Mais ce double front n’est pas seulement politique, il est esthétique », écrivait en 1967 Alain Jouffroy (critique d’art et poète) qui a rédigé les dossiers de presse des premiers film de Godard.
    Esthétique subversive car en lutte contre les canons idéologiques de l’art; Jouffroy s’en expliqua dans un texte écrit en août 1968: »Que faire de l’art » dédicacé justement à JL Godard et P Faye. Textes emblématiques de l’avant et l’aprés « Mai 68 ».

  4. BiBi dit :

    @Jacques Bolo.
    J’aurais bien aimé vous suivre mais bof sur votre commentaire.
    Vous ne parlez guère du film sauf pour dire qu’il est « bavard« , que c’est une « longue séance diapo« , une « série interminable de plans de coupe » (elle peut plaire à d’autres que vous qui y voient des correspondances d’images à images plutôt excitantes), que c’est une « bande-annonce« , un « name dropping » ( euh qu’est-ce que c’est ?) puis vous rappelez que « Godard finit par se contenter de filmer son chien » (hélas, vous ne dites rien sur ce qu’il est dit de/sur l’animal – en écho à ce chien filmé – dans une très belle envolée littéraire).

    Au final, pour ne pas paraître ridicule, vous voulez mettre les aficionados godardiens de votre côté en taxant Godard de « le plus révolutionnaire de tous« .
    Et pour cette recherche de conciliation entre pro- et anti-, pour ces compliments in-fine, pour cette tentative de rallier tout le monde à votre panache blanc bof, bof.
    Bof.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *