Coucou, revoilà les Ouvriers !

Re v’là les Ouvriers ! Bien sûr, la question des fermetures d’usines, du chômage qui perdure etc ont braqué les projecteurs sur cette frange de la population active. Mais faisons ce rappel : selon les chiffres de l’INSEE de 2008, les ouvriers forment encore près du quart de la population active et un homme sur trois ayant un emploi est ouvrier.

Le fait marquant de cette campagne, c’est que les ouvriers sont devenus présents médiatiquement – même s’ils continuent d’être parlés plus qu’ils ne parlent eux-mêmes. Chacun a pu remarquer que chaque candidat les chasse prioritairement pour les rallier à sa cause.

LES OUVRIERS SONT PARLES.

Ils sont parlés par les Médiocrates (journalistes et journaleux, experts qui pondent des rapports fumeux, artistes humanistes, intellectuels médiatiques, experts de Sciences-Po etc). Tous en sont pourtant très éloignés du fait de leurs propriétés sociales (origines familiales, profession exercée, niveau de diplôme) et aussi de par cette impossibilité sociale à les fréquenter.

MUTATIONS, TRANSFORMATIONS.

BiBi avait déjà relevé que la violence (symbolique) qui s’exerçait sur l’ouvrier était passé aussi par la domination linguistique : on le qualifiait désormais d’Opérateur et, ce, dès les années 90 où il apparaissait sous ce vocable plus «moderne» dans le langage des Managers. Mais surtout, ce qui a été déterminant a été la transformation et les mutations de la condition ouvrière : précarisation de l’emploi ouvrier, apparition durable du chômage de masse, restructurations dans les grandes concentrations industrielles, mise en concurrence entre statuts, intimidations patronales etc.

Il faut y insister : on a alors «assisté non à une disparition mais à une dispersion des classes populaires. Une dispersion du travail, avec la casse des grandes entreprises mais aussi une dispersion géographique» (Patrick Lehingue). La transmission d’une culture de classe a ainsi été fragilisée. Résultats ? La solidarité ouvrière et la conscience d’appartenance au même groupe se soient émoussées ces dernières années.

*

OUVRIERS ET FORCES EN PRÉSENCE.

Bien entendu, là on croise plusieurs questions : la puissance puis la désaffection ouvrière vis-à-vis des partis (dits) ouvriers et la question décisive des Porte-paroles (leçons d’hier, interrogation d’aujourd’hui, incertitude demain).

 *LE PARTI SOCIALISTE.

Sur le Parti Socialiste, je renverrai les lecteurs à mon billet qui régla le problème de cette désaffection ouvrière. La démonstration de Rémi Lefebvre, professeur d’Université de Reims, est irréfutable.

*PHILIPPE POUTOU.

On rappellera que dans les Assemblées parlementaires, les ouvriers sont quasi-inexistants. Aussi faut-il se pencher sur la question : «Qui parle pour eux ? Qui parle d’eux ?»

Dans la campagne électorale, remarquons que Philippe Poutou du NPA est le seul ouvrier parmi l’ensemble des candidats. Il est mécanicien, militant CGT à l’usine Ford de Blanquefort (Gironde). Non seulement sa voix est peu audible mais il subit des outrages et un mépris de classe absolument ahurissant (voir les «dialogues» avec Aphatie, avec Ruquier etc). Comme derrière lui, le NPA, peu structuré, ne peut compter que sur des catégories sociales diplômées (pour parler vite : d’une prise de parole réduite à une petite bourgeoisie culturelle) Poutou en est réduit à la portion congrue.

 *MARINE LE PEN ET LES OUVRIERS.

En ce qui concerne Marine Le Pen, que voyons-nous ? Madame reste devant la porte des usines, elle n’y entre pas, faute de relais structurés. Répétons à ces imbéciles qui voient de l’Ouvrier frontiste partout qu’à chaque scrutin, le FN peine à trouver des candidats à présenter dans les régions ouvrières – même lorsqu’il y recueille de nombreux suffrages. Il n’y a pas de réseaux du FN en milieu industriel, ni d’écoles qui formeraient une élite militante issue du monde ouvrier.

Le FN n’a donc pas pris la place qu’avait auparavant le PCF dans les territoires ouvriers. Enfin répétons une fois encore : les ouvriers – qui constituent une réserve de voix importante – se sont surtout réfugiés dans le vote blanc et l’abstention lors des dernières compétitions électorales.

 *LE PARTI DE LA CLASSE OUVRIÈRE.

Restent la Gauche et les partis qui se revendiquent de la Classe Ouvrière. Julien Mishi fait un retour concis et précis sur l’histoire du parti communiste français (PCF). Il n’oublie pas qu’une bonne frange de la classe ouvrière avait penché pour Sarkozy en 2007 et trouvé en lui le porte-parole de la France qui travaille et qui se lève tôt. Il fait une analyse sans concession sur le fait que le «parti de la classe ouvrière» fut loin de représenter la diversité des mondes populaires (le PCF de Robert Hue puis de MG Buffet était tombé à 2% !). Prédominait dans ce Parti la figure de l’ouvrier masculin, français, très qualifié, issu du monde urbain de la grande entreprise. Au sein même du PCF, on pouvait percevoir «un relatif éloignement des dirigeants nationaux à l’égard des groupes populaires au nom desquels ils prenaient la parole». Tout cela sur le fond déterminant du contexte de «fragmentation sociale des ouvriers» au tournant des années 75-80.

*MELENCHON, OUI. ET APRES ?

Le Front de Gauche a pilonné à juste titre le parti de Marine pour s’imposer comme la première force populaire et ouvrière. Mais il faut compter avec la faiblesse syndicale (taux de syndicalisation : 6%. Dans le privé, pour 2/3 des entreprises, c’est le néant) et la faiblesse organisationnelle du parti ? Qu’adviendra t-il après l’euphorie probable du premier tour ? Car parions que Mélenchon avoisinera un beau score, de 15 à 17% mais, comme l’écrit Patrick Lehingue, «pour l’instant, Mélenchon a gardé une partie des milieux populaires les plus politisés, et il ne retrouve pas les autres – qui sont de loin les plus nombreux».

A vérifier : on semble glisser du vote Le Pen («je me sens méprisé, donc je vote pour l’homme – ou la femme – politique qu’on présente comme le plus méprisable») au vote Mélenchon («Je me sens méprisé mais je retrouve ma fierté d’appartenance de groupe jusqu’alors méprisé et je vote donc pour l’homme politique qui me l’a rendue»).

*UN ARTICLE DE FAKIR.

Dans l’article « Mélenchon, et après ? », le Comité Central Fakirien s’interroge très justement :

«Jean-Luc Mélenchon a su rassembler le plus large autour de sa candidature. Maintenant, bien des incertitudes demeurent : que va devenir le Front de Gauche dès le 22 avril au soir ? Va-t-il s’écrouler, comme un château de cartes ? Ou bien, cette force encore bien faible saura t-elle se préserver, intacte, pour être un porte-voix efficace des luttes sociales à venir ? Toutes ces questions, nous ne les oublions pas. Nous les poserons, mais plus tard. Ce n’est pas au milieu de la bataille qu’on chipote. Je veux dire que le mec, là, Mélenchon, il doit se farcir les médias, les meetings, les déplacements, une vie de dingo, c’est pas le moment qu’on l’emmerde avec nos critiques et gnagnagni et ragnagna. On discutera mais après la bagarre».

 En complément du RDV pris, le sociologue Julien Mishi a donc raison de poser ces 2 questions essentielles pour l’avenir (quel que soit le résultat de cette Présidentielle) : «Les classes populaires ne sont-elles qu’un soutien électoral ? Ou ont-elles, auront-elles la possibilité de se représenter elles-mêmes ?»

*

 Ce billet a pu être écrit grâce

6 Responses to Coucou, revoilà les Ouvriers !

  1. Bibi se réveille,
    il parle des ouvriers,
    comme Bibi le dit lui-même: Ils sont parlés par les Médiocrates…
    Bibi qui ne parle que d’industrie et de produits culturels qu’il aime tant, immisce les, accrochez-vous, artistes humanistes dans la série médiocrate…
    Mais Bibi, sortez des eaux calmes du léman, il est temps!
    Cela fait des années que beaucoup d’artistes, humanistes ou non, diplômés ou autodidactes côtoient ces ouvriers que vous redécouvrez! Loin des cassandres de l’éducation populaire façon gauche caviarde et exclusive que vous aimez tant.
    Et pourquoi les fréquentes-t-ils ces ouvriers?
    Surement pas pour faire de l’éducation populiste, mais tout simplement pour auto-financer leur art Mister Bibi, parce que pour eux, il est plus agréable de toucher la vie, plus facile de se lever tôt, plus intègre enfin d’assumer leur Art, sa radicalité de cette manière plutôt que de courber l’échine à ces vulgaires dossiers A4 de subvention chargés de Tag évoluant aux grès des saisons électorales dans vos Drac, CR, et CG. Dans leurs programmes culturels, l’art n’a plus sa place. En 1995, je (pour l’exemple) pesais 700 000 frs en sub, aujourd’hui le millième ne me serait pas accordé, mais sachez que de toute façon, je n’en ferai même pas la demande, Monsieur Bibi.
    Ah Bon? Et pourquoi donc?
    Si il y a bien une chose que je me refuse dans cette fRANCE Vychiste, c’est de savoir que mon éventuelle sub Drac ne passera qu’avec l’accord de Monsieur le Prefet.
    Comme la déportation de ma Grand-mère juive ne dépendait que de Monsieur le Prefet! Alors, Monsieur Bibi, je préfère, continuer à fréquenter comme je le fais depuis 15 ans ces ouvriers que vous semblez redécouvrir plutôt que de m’affairer à toutes ces sauteries culturheureuses festives et industrielles que vous citez dans vos autres pages.
    Cherchez bien Monsieur Bibi, il s’en passe des choses loin des programmes suaves en quadrichromie glacée et officiels, loin de vos TV, festifestifestivaulx, loin de votre ennui, cherchez!
    Cet art est élitiste, dans la pure pensée de Howard Barker, il s’adresse aux curieux! Il ne se manifeste pas où vous l’attendez. L’art, ce n’est pas un transport en commun d’idée ou de propagande, l’art ne s’attend pas à un arrêt de bus, vous ne prenez pas l’art comme vous prendriez votre métro. C’est à l’art de vous saisir, sans compostage, sans précaution, sans retenue, sans dogme, sans assistance, comme un accident, au moment où vous vous y attendiez le moins. La manifestation de l’art recèle les pires accidents de la vie, des plus grossiers aux plus tragiques.
    Et quelles sont les conditions pour bien préparer une manifestation de la vie Monsieur Bibi?
    Fréquenter LA VIE là où elle se trouve.
    Bon réveil Bibi,
    Bon réveil, fRANCE!

  2. BiBi dit :

    @Not Found 1789

    Il y a méprise : les eaux du Léman ne sont pas toujours calmes. Je vous garantis que lorsqu’il y a un coup de Jorant, faut vite regagner pénates.

    C’est vrai qu’à « artistes humanistes » (couplage qui semble vous avoir blessé), j’aurais dû mettre des guillemets et – apparemment – c’est de là que naît votre colère personnalisée contre BiBi bien compliquée à comprendre.

    Mais si j’ai bien compris, vous êtes donc artiste et vous ne voulez pas passer par les circuits officiels, quémander par exemple, la moindre subvention de la DRAC. Soit. Je n’ai pas d’opinion là-dessus, n’étant pas artiste.
    Il y a beaucoup de gens qui s’ennuient. Sachez que moi, jamais.
    Il y a beaucoup de gens qui ne s’intéressent à rien. Sachez que je m’intéresse à tout ( à tout ce que je rencontre et à -presque- tous ceux que je rencontre et croise).

    Et c’est vrai : je m’intéresse aux « programmes suaves en quadrichromie glacée et officiels, aux TV,aux festifestifestivaulx« .

    Je m’intéresse à « toutes ces sauteries culturheureuses festives et industrielles« .

    Je m’intéresse à « l’éducation populaire façon gauche caviarde et exclusive« .
    Mais pas que.

    Pour que je puisse les critiquer, il me faut savoir de quoi je parle, donc les connaître pour les démonter. Donc, vous voyez, je ne mets pas sur cet « intérêt » le sens que vous me prêtez.

    Que l’inattendu, l’inédit soient parties intégrantes de tout art et que leur recherche guide les artistes, bien entendu. Quant à ma connaissance pratique des ouvriers, sachez qu’elle n’est… ni inédite, ni inattendue. Je ne vous en dirais pas plus sur moi : vous êtes trop curieux.

    Aujourd’hui, je suis tombé sur une phrase du poète russe Ossip Mandelstam. Je vous l’offre :
    « Je n’ai pas envie de parler de moi, écrivait-il, mais de tendre l’oreille pour écouter la germination et le bruit du temps« .

  3. Not Found 1789 dit :

    Trop curieux, surement,
    merci de votre réponse et pour Mandelstam aussi.
    D’une toute autre manière, « Paysage avec Argonautes » de Heiner Müller
    je pense vous conviendra dans le questionnement du parler de moi.
    De mémoire, le début:
    « Voulez-vous que je parle de moi
    moi je moi
    moi qui
    de qui est il question lorsqu’il est question de moi
    sous l’averse de fiente
    dans la peau de calcaire…

    Au plaisir

  4. La dernière question est fondamentale. Vivement la VIème République…

  5. Wam dit :

    Je me posais cette question : faut-il appartenir à une caste pour la défendre ? La réponse, que vous situez comme si évidente, ne l’est pourtant jamais en pratique et Dieu merci, sinon le monde ne se réduirait qu’à une lutte de castes permanente et insupportable.

    C’est la vision hyper-communautaire comme on peut la voir aux Etats-Unis. Les noirs entre noirs et blancs entre blancs. Mais pas tous : les noirs ouvriers avec les noirs ouvriers, noirs notables entre eux.

    Je prétends que chacun, même les ouvriers qui, au risque de vous étonner, réfléchissent et sont capables de décider de leur destin, peut défendre n’importe qui s’il en a les compétences, la volonté et (accessoirement, lors d’une élection) les voix du peuple.

    Y’en a marre de ce communautarisme post soixante-huitard bobo, qui se veut plein de bons sentiments, mais qui est une machine à produire des castes.

  6. BiBi dit :

    @Wam

    Tiens, coucou ! Revoilà Wam 🙂

    Essayez de réviser vos catégories de pensée et vos ressentiments contre 68, les bobos post-soixante-huitards etc…, vous verrez, vous ne vous en porterez que mieux, beaucoup mieux.

    Je vous signale que le Monde des intellectuels dominants (monde dominé vis-à-vis du Pouvoir économique) n’arrête pas de fabriquer des « castes » en catégorisant, censurant, rejetant les ringards, s’en moquant etc.
    Il suffit d’entendre JM Aphatie se gausser des « petits » candidats etc…

    Pour avoir une vision juste de la Société, la lire, la combattre, il faut avoir et pouvoir acquérir un capital culturel et politique suffisant. Pour toutes sortes de raisons, le PCF promouvait en son sein (grâce aux Ecoles internes) des intellectuels organiques qui – en jonction et alliance avec des intellectuels petit-bourgeois – apportaient un éclairage révolutionnaire et citoyen dans les points de vue.

    Hélas, la pensée est passée en second et le primat de l’action a primé. A gauche, fort heureusement, cette fausse alternative commence à être mise en pièces.

    Bien entendu, les ouvriers sont non seulement capables de réfléchir mais ils réfléchissent. Mais pour des autodidactes, pour des ouvriers hors aristocratie ouvrière, c’est un chemin de croix. Je vous renvoie à l’itinéraire de Raphaël Desanti dont j’ai parlé ici-même dans ce blog. http://bit.ly/zGxLS8

    Sinon votre phrase « sinon le monde ne se réduirait qu’à une lutte de castes permanente et insupportable » m’a bien fait sourire. Je crains que vous n’en veniez pas à bout et que dans ces prochaines années cette « lutte » ne continue à vous être « permanente et insupportable« .

    Merci de me lire.

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