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INSTANTANES PRESIDENTIELLES 2017.

Beaucoup d’entre vous le pensent et ils ont raison : nous traversons une période inédite faite d’espoirs, de colères, d’élans rageurs, d’interrogations, d’hésitations et/ou de grande confiance. Au cours de ces jours post-premier-tour, j’en ai entendu des choses : des vertes paroles et des pas mûres, des insultes, des gentillesses assassines et des conversations meurtrières qui vous secouent…

Mais le fil rouge basique demeure inchangé : indécrottable anti-libéral, je reste. Pour ce qui touche au match contre la fasciste, inutile de préciser aux Réveillés-de-la-Dernière-Heure, de redire à ces Plus-anti-fascistes-que-nous-il-n’y-aurait-pas-eu-avant, qu’ils n’ont pas le monopole du cœur combattant les Chemises Brunes.

Retour, donc, sur le tintamarre des derniers jours de cette campagne des Présidentielles. 

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Le Tour de ma Méditerranée.

 ulysse

Lors de mes derniers jours, de mes dernières nuits, je n’ai guère eu envie de suivre les péroraisons des Artistes suivistes qui ont donné leurs bénédictions à Bernard Arnault et à sa Fondation Vuitton. Guère envie non plus de convaincre quelques Blogueurs de Gauche s’extasiant devant la multitude des Opérations politiques de Com. Mes oreilles n’en peuvent plus.

Il y a crise. Crise de notre Monde ? Pas forcément. Plutôt crise dans la représentation que nous nous en faisons (moi compris). Crise qui fait fêlure dans nos habitus et face à l’Inconnu (demain nous mourrirons) ; nous qui avons été élevés dans le Progrès glorifié, dans le Savoir tout-terrain, dans la Réponse à Tout.

Ces derniers jours, ces dernières nuits, j’ai donc décidé de me changer les idées en faisant le Tour de ma Méditerranée.

Michel Butor, Garcia Lorca, Imre Kertész et quelques autres.

 Lectrice

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Tout m’est venu lorsque j’ai trouvé cette magnifique phrase de Michel Butor en dialogue avec  Madeleine Santschi :« Travailler sur le langage change la réalité par le seul fait que cela change la façon dont nous voyons la réalité ». La maxime de Butor fut aussitôt mise en tweet. Je fus heureux de voir qu’elle rencontra et toucha nombre de mes followers (et même au-delà). J’ai alors repris mes livres de Butor et quelques autres livres – lus autrefois – quelques auteurs jamais quittés. J’ai retrouvé quelques passages soulignés au stabylo, des textes en morceaux, des phrases éparses toujours aussi fortes, aussi intenses, aussi vibrantes. Phrases ensoleillées en ce début d’été pluvieux.

Trois ponctuations dominicales.

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L’Amitié malgré tout.

Deux hommes, deux amis. L’un se plaint à l’autre :
– J’ai de gros soucis. J’ai perdu mon boulot.
– Bah ! ça aurait pu être pire !
– Mon médecin a découvert aussi que j’avais un cancer…
– Oh mais ça aurait pu être pire !
– Ma femme m’a quittée et mes enfants ne veulent plus me voir…
– D’accord, d’accord mais ça aurait pu être…
– Écoute, ça suffit ! Pourquoi répètes-tu tout le temps que «ça aurait pu être pire…». Qu’est-ce qui pourrait être pire ?
– Ben, ce qui aurait pu être pire, c’est que tout ça arrive… à moi !

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Un Prisonnier en toute liberté.

« A la fin de sa vie, Rothko [peintre américain] a décoré une chapelle non confessionnelle. Je suis allé la voir. Je suis resté longtemps à l’intérieur car je voulais voir la façon dont le soir y venait. C’est éclairé par le sommet ; pendant la journée le soleil peut donner à plein, apporter une grande touche de lumière, puis le soir tout s’assombrit ; je voulais savoir ce qui pouvait en quelque sorte suinter de ces peintures. Je suis donc resté dans ce lieu environ deux heures.

Il y avait là un gardien, un noir américain, et ce devait être une des premières fois que quelqu’un restait si longtemps ainsi à l’intérieur de cet endroit. Tout à fait à la tombée de la nuit, juste avant la fermeture, il est venu me trouver et m’a dit : «Eh bien, Monsieur, est-ce que cette peinture vous intéresse ? – Oui, bien sûr. – Et qu’est-ce que vous dit cette peinture ?» J’ai essayé en quelques mots de lui expliquer ce que je vous dis là; il m’a répondu : «Je suis un ancien policier ; j’ai tué un homme et je n’ai jamais pu surmonter cette épreuve. A partir du moment où j’ai tué cet homme, je suis devenu un mauvais policier, alors on a essayé de m’utiliser d’une façon ou d’une autre. Ainsi je suis devenu gardien de cette espèce de chapelle. Depuis que je suis là, j’ai trouvé la paix et c’est le seul endroit où je peux passer la journée».
J’ai trouvé cela extraordinaire, et je me dis que le pauvre Rothko qui s’est suicidé peu après – ce qui montre bien la profondeur des problèmes qu’il essayait de résoudre – a pourtant gagné complètement. C’est une réponse prodigieuse à tout ce qu’il a fait, à tout ce qu’il a tenté de faire ». (Michel Butor. Entretien. Cahors 12 mars 1984).

Dans une autre vie, BiBi écrira du théâtre, des scenarii. Il n’aura pas besoin de chercher ailleurs le début de la pièce (du film).

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Aphorisme dominical.

BiBi ne sait plus où il a cueilli cet aphorisme mais il l’a adopté :
«Lorsque tu sens le danger, plaisante»

« Ecrire, c’est détruire les barrières » (Michel Butor)

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Le Monde est plein de surprises. Il n’ y a pas si longtemps, BiBi s’était souvenu de quelques passages d’un entretien de Madeleine Santschi avec l’écrivain Michel Butor. Et voici qu’au hasard du deuxième Salon du Livre d’artistes et de la Création éditoriale qui se tient ce week end à Lucinges (Haute-Savoie), BiBi vint écouter l’écrivain pour une table ronde sur ses «Livres de Dialogue».

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Les livres de dialogue de Michel Butor sont des ouvrages imprimés luxueusement (ou faits à la main). Ouvrages tirés en peu d’exemplaires, livres co-réalisés avec ses amis photographes, peintres, sculpteurs qui lui ont donné cet oxygène nécessaire au bonheur de son écriture.
Michel Butor a écrit une œuvre multiforme dans laquelle tout se mêle si étroitement que rien ne peut en être séparé. En 2002, il disait : «Travailler avec les peintres a été et reste un bain de jouvence. Je me sens un vieux romancier [Butor a eu 85 ans le 14 septembre] du siècle passé mais un jeune poète tout prêt à entrer dans le siècle nouveau».

Après le film «Sur le Vif/Rencontre avec Michel Butor» eut lieu la table ronde (voir Clip). Dans leur travail à deux, Bertrand Dorny insistera sur cette essentielle confiance à être, à échanger avec Butor. «Et si vous avez un doute – comme tout artiste qui crée – Michel vous sécurise». L’éditeur Emès Manuel de Matos parlera plus d’une «collaboration d’Amour» rajoutant malicieusement qu’il se pourrait bien qu’ «aimer l’Autre soit aussi de le dévorer»

Michel Butor rajoutera : «Je suis très respectueux de ce que font mes amis. Je fais ce que je peux pour les suivre. Il faut qu’il y ait une confiance extraordinaire pour qu’ils me permettent d’écrire sur leur peinture».

Sur le dialogue (inséparable d’une profonde Connivence), Michel Butor dit encore : «Je me pose toujours la question : pourquoi a-t-il fait ça ? Comment a-t-il fait ça ? Et j’ai souvent le trac lorsque je dois écrire sur la peinture même car je risque de tout foutre en l’air. Il faut faire attention car j’ai l’impression d’avoir leur regard qui me surplombe». «Je fais toujours des brouillons pour mes textes, des brouillons qui sont quelquefois très raturés, très repris puis ensuite j’essaye le texte dans un premier exemplaire».

Avec émotion, il évoquera «ces scribes du Moyen-Âge qui copiaient avec une telle régularité dont le travail et la virtuosité étaient extraordinaires».

Sur la photographie, il dira encore : «Il est possible que mes écrits aident le photographe qui n’a pas forcément vu ce qu’il voyait».

Et Emès de Matos de finir en voyant en Michel Butor un artiste «très vert», «disponible pour la provocation».