Elle me disait… (15)

noell oszvald  bibi

« Je ne sais plus ce que je dis ». C’est par ces mots déposés que notre quinzième rencontre a débutée. Non qu’Elle s’en vantait pour faire l’intéressante. Non qu’Elle commençait lucidement à délirer… Ce n’était pas non plus un constat froid, distancié. «Je ne sais plus ce que je dis» ajouta t-elle une seconde fois.

Et tout advint ensuite. Tout, entrecoupé de silences, de sourires (qui n’en étaient surement pas) : phrases lâchées dans les brumes, en plein soleil, sur les bords des grands fleuves ou en enjambant les ruisseaux des montagnes (ce jour-là, nous étions remontés aux sources). Il était naturellement hors de question d’en prendre note sur le vif. Je m’y étais résigné.

C’est donc sur des souvenirs brouillardeux que je les ai reconstruites et les ai retranscrites ici. Parfois, il me semble même que j’ai usurpé sa place d’énonciatrice. Honteux, je suis presque persuadé – à mon corps défendant – que tout cela vient de moi. Je pèse longuement le pour, longuement le contre. L’a-t-elle dit ? L’ai-je ainsi écoutée ? Je ne sais plus.

J’avoue alors que très souvent, trop souvent, fébrile à mon tour, je me surprends à murmurer, à me répéter : «Je ne sais plus, je ne sais plus ce que j’écris».

Au final, restent ces vingt fois. Les voici donc…

Elle disait : «Ce que nous disons, que nous entendons. Ce que nous croyons dire, que nous croyons entendre. Et l’essentiel : ce qui ne sera jamais dit».

Elle me disait : «Sept milliards. Des millions. Et des mille. Cent. Cinquante. Dix. Quatre. Trois. Deux. Et Un : Toi, le seul sur qui compter».

Elle disait : «L’apesanteur de la Vie rêvée. La pesanteur d’une Vie sans rêve».

Elle disait : «Il faut des lecteurs incisifs pour faire face aux morsures du texte».

Elle me disait : «Un livre aux plis impeccables, les textes de trop bonne coupe finissent par me froisser».

Elle me disait : «Après lecture de grands textes, ne pas succomber, ne pas s’évanouir. Survivre».

pessoa BB

Elle disait : «Combien de fois il m’a rêvée en cerf-volant descendu du ciel. Pour au final, préférer nos conversations terre-à-terre».

Elle disait : «Il suffit que l’ombre d’un doute m’effleure pour que tout s’éclaire».

Elle me disait : «Chaussures solides pour les Voyages au Dedans. Pensées légères pour les Voyages au Dehors».

Elle disait : «Ce Monde n’est peut-être pas plus fou hier qu’aujourd’hui. Ce sont plutôt nos représentations qui s’affolent».

Elle disait : «Partout, toujours, l’unanimité moins un».

Elle me disait : «Hier, prisonnier, on se heurtait aux barreaux. Aujourd’hui, toujours prisonnier, on se cogne aux nuages, aux écrans de fumée».

Me disait 15

Elle me disait : «Allez, on cesse de tourner autour du pot et de se monter le bourrichon : on écrit pour être aimé».

Elle me disait : «Plus co-sensuelle que consensuelle».

Elle disait : «Digérer les choses présentes ? Oui. Se nourrir des choses futures? Mouais».

Elle me disait : «Drôle ce paysagiste qui raconte à qui veut l’entendre que ses pensées jardinent avec la mort».

Elle me disait : «J’aime les gens équilibrés. Funambules, les seuls qui le sont».

Elle disait : «On me dit «entière». Bien sur, je pars au quart de tour mais on oublie que je parle à demi-mots».

Elle disait : «Ceux qui crient /Non, non, ce n’est plus possible/Et que la Nuit définitivement enveloppe/Tandis que peu/ si peu/ atteignent le petit matin».

Elle disait : «Une trêve musicale Un rêve sur la pointe des pieds. Des soupirs à longue portée C’est juste la Nuit, Sound of silence».

La nuit tombe

Pour de plus anciennes conversations

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2 Responses to Elle me disait… (15)

  1. jostretto dit :

    «Ce que nous disons, que nous entendons. Ce que nous croyons dire, que nous croyons entendre. Et l’essentiel : ce qui ne sera jamais dit».
    Jamais dit,ni entendu….mais est-ce nécessaire ?

  2. BiBi dit :

    @jostretto
    Pas nécessaire de vouloir savoir « ce qui ne sera jamais dit ».
    Puisque de toute manière, l’Essentiel échappe(ra) toujours à l’Humain.
    Mais d’être porté par cette recherche insensée, de vouloir – contre toute raison – chercher ce qui ne sera jamais dit, voilà ce qui reste humain, profondément humain 🙂

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