Et la Vie continue… (avec et sans Abbas Kiarostami).

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La tristesse aujourd’hui. La tristesse à venir demain, après-demain.

Oui, je suis triste. Abbas Kiarostami ne fera plus de films. Oh je peux continuer de voir, de revoir ces fictions toujours vives, vivifiantes, vivantes. De visionnages en visionnages, elles m’apporte(ro)nt toujours du nouveau. En ce moment de saudade, je me demande encore ce qui m’a poussé un jour à cette contigüité, à la fréquentation assidue de ses films.

Ici, pas besoin de justifier ses travaux cinématographiques, d’exhorter le spectateur à se précipiter sur ses films. Je laisse tout ça de côté, cherchant plutôt à dire qu’il y a eu d’emblée un lien très étrange à la découverte des premières images de ce cinéaste unique…

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C’est ce tout de suite, de cette instantanéité, coup au coeur dont je me souviens. Ce fut tout de suite, instantanément qu’il y a eu brûlure. On ne peut pas se tromper : l’art de Kiarostami est reconnaissable dès l’entame de ses films. Comme on ne peut confondre Hendrix dès ses intros, Van Gogh ou Picasso. Impossible confusion.

En scène primitive, ce sont peut-être d’abord les routes qu’il a filmées qui m’ont abasourdies. «La route est existence, la route est l’essence de l’homme». Admiration devant ces routes qui font sillon et incise sur les collines désertiques de Téhéran ou du nord de l’Iran, routes si proches de celles que j’ai connues enfant dans les montagnes du Rif marocain. Les cailloux. La caillasse. La poussière que soulevait les gros camions de terrassement.

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Sur les voitures et sa façon de s’y installer : «La voiture est tout simplement une belle idée. Ce n’est pas simplement un moyen de locomotion pour aller d’un endroit à un autre. Cela représente aussi une petite maison, un habitacle intime avec une grande fenêtre dont la vue change à tout moment».

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Kiarostami prenait son temps pour filmer. Ce critique écrivait très justement : «L’art de Kiarostami n’est pas non plus réductible à un cinéma de contemplation, il est plutôt un cinéma qui regarde et nous invite à contempler ce qu’il voit, avec lenteur et patience. Preuve en est cette maîtrise fascinante que le cinéaste peut démontrer dans la durée de ses plans et leurs découpements dans l’espace. Il sait toujours donner ce 15 secondes de plus à un plan, qui lui donnera une autre valeur, un sens global plus profond, sans pour autant être la posture de style des auteurs imbus d’eux-mêmes».

Et il y aurait tant à dire. Et tant d’autres choses qui se bousculent. Des images bien sur mais aussi des sons. Ecoutons cette langue persanne qui garde cette gravité, ce ton rocailleux qui semble comme venue du fond du cœur. Dans le Goût de la Cerise, le vieux personnage raconte une histoire au héros qui conduit. Il lui reparle de son envie de se suicider, de cette expérience au cours de laquelle il a découvert les merveilles de la Vie dans une mûre si sucrée et si délicieuse. Tout ceci est si bien racontée en langue persanne qu’on n’oubliera jamais la voix du conteur d’histoire, le grain de sa voix, les sonorités de sa langue qu’on adoptera sans recul.

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Triste, on l’est car Kiarostami nous ramène au sentiment d’enfance qui perdure en nous. Son travail avec ses jeunes acteurs non-professionnels est bien éloigné des mises en avant d’enfants hollywoodiens. Kiarostami est un cinéaste de l’enfance. Avec «Mes petites Amoureuses» de Jean Eustache, «La Nuit du Chasseur» de Laughton, il n’existe pas de plus belle fiction cinématographique dans mon Panthéon. L’enfance : ce monde perdu, magnifiquement retrouvé par le cinéaste dans l’histoire intitulée «Où est passé la maison de mon ami?».

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Voici ce qu’un critique disait sur son approche de l’enfance et de ses influences :

«Kiarostami parle de l’influence de Chaplin sur son travail, des rapports entre Le Kid (qu’il a découvert vers 14 ans et qu’il voit maintenant différemment) et son propre cinéma (dans Et la vie continue, par exemple, le père et le fils changent de place comme le kid et Charlot dans la scène des crêpes). Il admire la façon dont Chaplin sait raconter des histoires».

Plus tard, j’apprendrais que le cinéaste débuta par la photographie et qu’il continua de photographier jusqu’à la fin de sa vie. Peut-être même en fit-il son occupation préférée ?

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«Il n’y a que la photographie qui puisse nous offrir ce luxe d’enregistrer pour l’éternité les moments uniques qui ne durent qu’un instant».

«La différence entre photographie et cinéma vient de ce que le photographe, contrairement au cinéaste, n’est pas obligé de raconter une histoire. C’est pour cela que j’aime la photographie».

Et si on veut voir en lui un révolutionnaire, un absolu novateur de forme, il faudra peut-être en passer par accepter ceci :

 «Je ne supporte pas le cinéma narratif. Je quitte la salle. Plus il raconte une histoire et mieux il le fait, plus grande devient ma résistance. Le seul moyen d’envisager un nouveau cinéma, c’est de considérer d’avantage le rôle du spectateur».

Jusque dans ses réflexions, jusque dans ses interviews, il a donné à penser. Sans complaisance. Avec ce sérieux et cette attention à l’autre qui faisait qu’on l’aimait : «Quand le cinéma prend un accent un peu sentencieux, un peu amer, c’est qu’il n’arrive pas à s’exprimer simplement. Or, c’est seulement quand on s’exprime simplement qu’on s’exprime effectivement. Si un enfant ne peut nous comprendre, c’est que nous avons un point faible, c’est que nous n’arrivons pas à produire une pensée simple. Imaginer un cinéma qu’il serait toujours possible de montrer à des enfants serait une très bonne façon de vérifier si l’on parvient vraiment à faire passer ses idées. J’ai entendu dire qu’Albert Einstein considérait, à propos de ses formules mathématiques, qu’elles devaient être comprises par le premier passant».

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Et alors, maintenant ?

Un de ses titres de films l’a dit beaucoup mieux que moi :

«Et la vie continue».

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Pour mes autres billets sur Kiarostami :

One Response to Et la Vie continue… (avec et sans Abbas Kiarostami).

  1. Robert Spire dit :

    Ses films contrastent l’énorme production du cinéma « hobbésien ».

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