BiBi fait son cinéma.

La Maman et la Putain  Si BiBi doit répondre à la Question « Et le cinéma aujourd’hui ? » Il lui vient à la bouche cette boutade un peu désolée, un tantinet godardienne «  Films faibles. Coffres forts ». Maintenant, je ne suivrais pas certains cinéphiles qui pensent que le Cinéma est mort avec Pasolini assassiné sur cette plage d’Ostie, juste derrière les fourrés d’un terrain vague qui fut aussi vague terrain de football.
La preuve ?
Il me suffit de mettre le film «  Journal Intime  »  de Nanni Moretti sur mon lecteur-vidéo pour convaincre quiconque qu’il y a encore du bon temps à prendre dans le Cinoche d’aujourd’hui et de demain.
Il y eut cinq chocs cinématographiques dans mon itinéraire de Ciné-fils :
– Les films noirs américains avec ces figures héroïques que furent Richard Widmark ( je pleure à son décès), Kirk Douglas ( je pleurerai à son décès), Robert Mitchum (il reste vivant) James Stewart ( il restera notre avocat pour défendre la Vie menacée).
– « La Chaine » de Stanley Kramer qui fut une énigme pour l’enfant que je fus. Sydney Poitier et Tony Curtis furent longtemps mes amis improbables.
– La bascule qui me scotcha un jour de juin 1972 à mon siège à l’Entrepôt à Paris lorsque je vis les premières images noir et blanc et son direct de « La Maman et la Putain » de Jean Eustache.
– La découverte de la Beauté cinématographique dans tous les films d’Abbas Kiarostami que j’ai pu voir (avec ce passage sur la route entre l’embaumeur et le héros dans « Le Goût de la Cerise » ou ce film magnifique sur l’Enfance qu’est « Mais où est la maison de mon Ami ? ») BiBi a réussi à dégoter de lui « Le Passager» et en dira deux mots plus tard.
– Les écrits de Serge Daney – via la série des cinq émissions d’Océaniques sur FR3. Un chef-d’œuvre de pensées au travail (in vivo).

Et faut-il le dire ?
On ne regarde pas les films avec seulement ses yeux mais aussi avec 10.000 années d’Histoire humaine et 113 ans de mémoire cinématographique derrière nous.
Ce qui est beau au cinéma (quelque soit le film) c’est qu’il y a deux niveaux : une part de vous est déjà en route sur le fil(m) imaginaire de vos souvenirs… ceux-ci rappliquent en plein écran à tout berzingue dans ce moment-même où l’autre part de vous suit le film réel. Cette collision des deux niveaux qui tiennent ensemble la vision du film et la division de vous-même fait tout le charme du film (de n’importe quel film). Un peu comme lorsqu’on tient le volant de sa voiture sur une longue distance : il y a un étourdissement durable qui nous projette sur une rêverie pendant que notre regard, lui, reste accroché au ruban de la route, commande aux pieds de freiner, d’accélérer, de s’arrêter aux feux.
Entre état de rêve (là, le demi-sommeil peut engendrer des rêveries qui nous conduisent loin !) et concentration visuelle sur l’écran (sur la route) circule en nous un intense flux fantasmatique. Ainsi se construit notre capacité insolite, surprenante et fantaisiste de Fiction.
Capacité de Fiction à l’œuvre dans tout film puisque tout film (même le plus mauvais) active ou réactive le Roman de nos Origines.

Interview imaginaire de l’Acteur.

– On vous a présenté comme faisant partie de cette nouvelle génération d’acteurs, de ce courant…
– Je ne m’y reconnais pas volontiers. Il y a chez moi un aspect désuet, vieux meuble, bateau avarié mais détrompez-vous, j’appelle la conquête, jamais la mendicité.
– Vous parlez de conquête pour un acteur pour un artisan, un sculpteur, un ébéniste, je peux évaluer le résultat mais pour vous, c’est déjà différent un petit peu plus trouble non ?
– Oui il y a conquête… conquête sur soi pour combattre les lâchetés qui vous poussent aux clichés, pour lutter contre le désabusement, la soumission complice et vous battre contre cette propension à donner son accord au Monde tel qu’il est.
– Ce sont les conditions indispensables pour votre jeu ?
– Oui, pour le jeu, pour la liberté de jouer mais…la liberté est dangereuse, contraignante, vous savez. C’est aussi une forme de déclaration de guerre, d’une guerre imminente qui vous oblige à un déplacement rapide de vous-même.
– Alors, dans la lumière des projos, ni sérénité, ni sagesse ?
– La conquête relance l’acteur et l’absence de butin le trouble. Si victoire il y a, l’acteur n’en saura rien et, parfois, la violence qu’il a déchaînée se retournera contre lui. Vous savez…si j’avais commencé enfant devant la caméra, j’aurais probablement fait ce boulot comme il fallait. Exactement. Sans écart… mais il est déjà tard à mon âge. Le désir du jeu – et l’inquiétude qui va avec – est venu occuper tout le terrain ! Impossible désormais d’expédier les affaires courantes ! Le désir a enflé, a tout enflé.
– Vous construisez sur du sable ?
– Au fond, on ne sait jamais ce qui va arriver.
– Vous ne parlez pas du spectateur…
– Le spectateur est une figure. Anonyme. Le moteur, la contrainte de notre jeu. Lorsqu’on joue, on sent cette figure rôder tout autour. De quelque côté qu’on se tourne, de quelque côté qu’on tourne, on est prisonnier de ses rets, alpagué par ce regard. Le spectateur est loin de s’imaginer qu’il est dans le film. Il y est bien avant son entrée en salle.
– Parlez-moi de ce spectateur bien réel, de celui qui paie son billet.
– Je crois qu’il n’est guère possible de penser complètement son rapport à l’écran. Je suppose que ce spectateur ne se doute de rien. Il descend, descend dans la salle et ne sait pas qu’il est déjà trop tard.


 

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