Maud Mannoni, la femme qui épousa la révolte.

Ce matin, je me demande qui connaît encore aujourd’hui Maud Mannoni. Femme en révolte, psychanalyste aux marges, elle créa l’Ecole expérimentale de Bonneuil (pavillon avec jardin) où elle offrait aux enfants «fous» un autre destin. Nous étions dans les années 1970-80 et l’expérience Bonneuil eut un très fort retentissement  en milieu psychiatrique (et jusque… dans les écoles d’éducateurs – la mienne).

Bonneuil était un lieu de vie qui offrait aux enfants psychotiques une alternative face à la marginalisation médicale. Cette école accueillait des enfants de 4 à 18 ans, troublés du système scolaire, familial ou social.

«Personne ne se demande qui est fou, qui ne l’est pas. A Bonneuil, la fantaisie se donne libre cours. Pas d’imposition de la scolarité. L’enfant qui refuse l’école pourra travailler chez un artisan (restaurateur, maquettiste…) ou un paysan. Là, il situera son désir».

«Bonneuil n’est pas un lieu fermé. D’abord physiquement : il y a l’école avec son jardin mais aussi des lieux d’accueil de nuit ou, tout simplement, des appartements dans Bonneuil et Créteil. Ainsi les enfants qui viennent de Province ne sont pas cloîtrés ; ils viennent à l’école et vivent avec des éducateurs, dans les appartements ; ils participent aux travaux ménagers (marché, ménage…). Ceux qui vivent à Paris rentrent tous les soirs dans leurs familles. D’autre part, des séjours en Province sont organisés (en Bretagne, Dordogne, dans les Cévennes). Les enfants séjournent ainsi chez les paysans ou des artisans. Cette alternance de séjours entre Bonneuil et les lieux d’accueil en province a pour but de contrer la tentation d’un milieu clos-refuge où se répéterait l’inclusion-exclusion des enfants. Si vous voulez, l’institution est une mère abusive qui troque sa protection contre la perte de la personnalité, donc du désir. Le sujet ne peut s’en détacher sans être perdu. Une institution éclatée, quant à elle, prend l’éclatement à son compte et laisse à l’adolescent le droit de la quitter, de la vomir sans drame».

Et s’il prenait à d’autres l’envie de multiplier les Expériences-Bonneuil, Maud Mannoni répondait : «Surtout pas ! Surtout pas de modèle unique mais du nouveau, de la recherche !»

En 1982, elle fit paraître «D’un impossible à l’autre» au Seuil. Elle envoya paître les psys qui s’appuyaient sur l’éthologie et faisaient glisser l’analyse du côté des sciences du comportement (en usage dominant aujourd’hui dans les institutions françaises et objet de vives critiques). Elle marquait son profond désaccord par exemple sur cette expérience où l’on voit, derrière une vitre sans tain, évoluer des enfants «fous», purs objets d’expérience.

«Leur comportement est filmé, codé, traduit : et l’observateur, à privilégier la seule dimension «instinctuelle» demeure sourd aux effets de la parole et du champ de langage. Ces enfants-là, offerts au regard de l’autre sont soustraits à la véritable dynamique d’une «relation thérapeutique». Otage vivant d’une recherche de pointe, leur corps souffrant, seul objet d’investigation, demeure fixé tout comme l’image du fétiche se statufie. La vérité que le sujet – être de langage – crie dans son symptôme n’est pas entendue : elle échappe aux grilles mises en place aux fins d’accueillir des «données comportementales» qui font abstraction du discours dans lequel l’enfant se trouve pris, avant même de naître».

Dans ses combats, on ne saurait oublier qu’en 1960, elle fut signataire du Manifeste des 121Décédée le 14 mars 1998, amie de Fernand Deligny et de Françoise Dolto, lacanienne, elle épousa la révolte jusqu’au bout, écrivant encore :

«La femme, depuis un siècle, tente de s’arracher à l’administration de sa vie par les hommes. Sa vérité, elle la trouve soit en s’identifiant à l’homme, jusqu’à s’aliéner en son discours, soit en se cherchant au niveau de l’être, et en se réinventant avec l’autre. Elle se réalise dès lors de façon créative en épousant la révolte plutôt que la chose établie».

Ce matin, toutes mes pensées-BiBi vont vers elle et son «enseignement».

4 Responses to Maud Mannoni, la femme qui épousa la révolte.

  1. Francis Royo dit :

    Et vois passer le nom de Fernand Deligny dont les œuvres complètes parues chez l’Arachnéen en 2007 sont toujours chez moi à portée de mains et d’esprit.

  2. Rodrigue dit :

    Les sociologues influencés par la pensée unique et ses implications commerciales, à force d’enquètes, sondages, et surtout formations du type « maitrisez vos émotions » « gérer votre stress » « faites votre travail de deuil » et j’en passe ont réussi un humain d’une médiocrité invraisemblable: une sorte de mammifère humain qui n’est que le plus petit commun multiple du précédent. On a coupé tout ce qui dépassait, ou renvoyé à une marge totalement létale

  3. czottele dit :

    drôle de retrouver ce nom ici qui (honte à moi m’était sorti de l’esprit) il y a longtemps a ouvert ma conscience d’adolescente mal dégrossie (je parle de la conscience!) aux alternatives à l’enseignement traditionnel. Impossible de me rappeler le titre de l’ouvrage qui me l’a fait connaître: me souviens plus de A.S. Neill (« Libres enfants de Summerhill ») sur lequel j’avais fait un exposé en 2nde grâce à une prof d’histoire géniale et qui m’a évité le redoublement! je vais chercher le titre sur le net pour Maud Mannoni et reviens…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *