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Vivre avec les Citations (1).

Citation Tombe de Yeats

Pourquoi s’interdire de citer ? Une citation est beaucoup mieux qu’un plagiat puisque, très souvent, le plagiat, la reformulation sont moins décisifs. La citation : on relève celle-ci car elle nous a frappés par son extrême justesse et par son entière ouverture au Monde. Elle dit beaucoup mieux que ce qu’on aurait aimé dire. Elle emporte notre adhésion et nous met à l’épreuve jusque dans les coins d’ombre de notre personnalité. Nous ne savons pourquoi nous l’avons retenue, recopiée, lue et relue. Cousine de l’aphorisme, elle peut être mystérieuse, poétique, incompréhensible ou bien informative, très lisible. On note les citations, on les répertorie dans un carnet, dans un cahier, dans un dossier d’ordinateur. Par contre, on les retient peu par cœur, la difficulté venant que chaque mot compte.

Parfois, on ne comprend les citations que 20 ans après les avoir notées. Elles sont sur nos bas-côtés ou en plein cœur de nos nuits. Sur nos vagues à l’âme, elles sont nos phares, elles disent non le chemin mais l’existence d’un chemin. Elles se ferment comme un couperet mais avec la douceur d’une caresse. Elles sont vénéneuses sous des dehors de banalité. Elles nous hantent. Chacun d’entre nous a sa cartographie intime de citations et il les porte – même sans le savoir. Chacun est reconnaissant aux hommes et aux femmes qui ont su cultiver nos espaces mentaux et faire revivre nos jachères intérieures.
Aujourd’hui, BiBi a redécouvert celle-ci, de Gilles Deleuze. Où et quand l’a-t-il péchée ? Il ne sait plus mais elle est là, elle résiste et elle l’emporte mais son adhésion est paradoxale. « Qu’est-ce qu’une pensée qui ne fait de mal à personne, ni à celui qui pense ni aux autres ?». BiBi se dit alors qu’il lui faut se méfier de ses raisonnements hâtifs, de son imagination aussi car il a tout faux s’il confond le «mal» avec la «méchanceté». Ce Mal qui fait du bien, comme le chantait Léo Ferré.

La citation n’est pas non plus très éloignée du relevé. Celui-ci, péché dans le journal Le Monde de début septembre 2007. Le journal avait publié des chiffres sur la Délinquance des élites : «En 2005, sur 3,8 millions de condamnations pénales, il y en a eu environ 18000 en matière économique, soit 0,5% se répartissant à peu près pour moitié entre 1. infractions à la législation du travail et 2. délits économiques et financiers. En outre, 80% des peines infligées se réduisaient à un emprisonnement avec sursis ou à une simple amende».
Ou encore, tirée du livre de Denis Salas («La volonté de punir» Hachette) : «En haut, les élites disposent de moyens (avocats, experts du risque pénal), de stratégies de défense médiatique (fondées sur des réseaux d’amitié) et des ressources de la procédure pénale, ce qui place des boucliers procéduraux entre les juges et les puissants prévenus ; en bas, pour les délinquants ordinaires (sauf d’urgence), ni avocats (faute de moyens financiers), ni médias (sauf pour attiser le sentiment d’insécurité)».(…)

Vivre avec les Citations: florilège (2).

Citations 2

Bien présentes, les Citations sont comme un parterre de fleurs, étoiles d’une nuit d’été. Restons juste là, à les admirer, à les laisser entrer en nous. BiBi les a cueillies dans les strates de la poésie, dans les franges musicales, dans les friches de romans et de journaux intimes…

Les Arts, le théâtre, la Vie sociale.

Baudelaire et Cervantès

Que l’on soit acteur ou lecteur, écrivant ou spectateur, l’Art permet de s’esquiver des places prescrites. Avec un poème, une musique, un tableau, on trouve un peu de respiration, un peu de jeu dans ce monstrueux échiquier social. Esquive (boxe), démarquage (football), pas de côté (danse), tous les Arts cherchent à vous faire sortir d’un chemin tracé d’avance, à vous faire sortir d’une image qui était la plus apte à vous définir.
Les arts contribuent à faire de vous – toujours un peu plus – des acteurs de votre vie, de vous rendre un peu plus présent sur le Présent, d’écarter ce piège qui est de rester objet dans le Discours des autres.
L’Art c’est donc une rencontre et c’est à l’occasion de ces rencontres qu’une partie de votre vie bascule. La première fois que BiBi a vu cette orgie de tableaux de Van Gogh à Amsterdam, il sut que plus rien ne serait pareil. Il ne verrait plus les cyprès, les nuits étoilées, les plaines de blés et les visages comme auparavant. Et il dirait un peu les mêmes choses à propos des longs plans-séquences des films d’Abbas Kiarostami, à propos des photographies de Diane Arbus et des chansons de Léonard Cohen.
L’Art permet de trouver ce qu’on n’attendait pas. Et de cette vibration, nul ne peut dire où elle nous entraînera.
Mais méfiance : derrière les tableaux, les écrans, les murs des vestiaires, les pages et les couvertures des livres, il y a des forces qui vous interdisent (plus, moins) d’élaborer votre Singularité (de créateur, de spectateur, d’amateur).
On prive des tas de gens de cette capacité de symboliser, on coupe l’herbe sous le pied de l’Imaginaire, on coupe la tête de la Pensée vive et vivante. C’est ainsi qu’à toute une frange de la population, on tend des prothèses identitaires, de celles qui assurent de marcher droit, de celles aussi qui vous assurent d’être intégralement membre natif d’une bande, d’une ethnie, d’un Club, d’un territoire, d’une religion ou encore d’une Secte. Or l’Art nous dit autre chose : il s’adresse au Singulier et par corolaire, par étayage, il s’adresse à l’Individu-Citoyen, au Sujet de Droit, à cet ennemi premier de tous les totalitarismes et de tous les intégrismes.

A l’heure où Avignon nous emmène sous ses arches et sur son pont, il est bon de relire ce texte d’Antoine Vitez, homme de théâtre. Les mots datent de novembre 1976, de ce temps qui voyait Valéry Giscard D’Estaing tenir la barre.

« La situation du théâtre est aujourd’hui paradoxale. Rarement il y a eu en France un tel intérêt pour le théâtre, un tel désir d’en voir et d’en faire, et rarement aussi le théâtre fut autant maltraité par le pouvoir en place.
On nous fait honte, on veut nous humilier. Des jeunes gens, dans toute la France, veulent s’exercer au théâtre – fut-ce en amateurs -, et quels moyens va-t-on leur donner pour cela ? On leur dit que c’est leur névrose qui parle.
Et nous-mêmes qui sommes les gens de métier, il paraît que nous sommes trop nombreux, et que nous, si nous faisons cela, c’est que nous ne pouvons rien faire d’autre : snobisme ou fainéantise.
Le théâtre a l’habitude de ces insultes, mais voilà que les temps ont changé. La nécessité des arts est entrée dans la vie sociale ; nous ne nous laisserons pas intimider ; nous n’avons plus besoin de refaire pour la centième fois la preuve de l’importance que tient la création artistique dans notre pays.
Il y a urgence
».

Trois auteurs à la hauteur.

Trois auteurs à la hauteur.

Jane SAUTIERE : Avec le livre de Jane Sautière («Nullipare») chez Verticales et celui de Jean-Louis Fournier, c’est la question de l’Enfant ou encore celle de l’Enfant… en question qui est au centre des lectures présentes de BiBi.
BiBi avait assisté, en bibliothèque, à une présentation du premier livre de Jane Sautière par elle-même «Fragmentation d’un lieu commun» (la prison). Le second ouvrage est de la même trempe : des petits textes tissés, un canevas qui mêle instants présents, souvenirs enfouis chez une héroïne qui interroge cette fois-ci «l’ahurissant mystère de ne pas avoir d’enfant comme on interroge l’ahurissant mystère d’en avoir». Dans le vertige de ses déplacements (lac Léman, Bayonne, Venise, Beyrouth, le Cambodge, Paris), elle accroche, elle s’accroche à la moindre vibration du Dehors, ce Dehors qui la qualifie de «nullipare». C’est à Lyon qu’un radiologue indifférent lui jettera ce signifiant au visage et à son corps tout entier. C’est une Onde de choc, un raz-de-marée qui envahira les pages de sa vie. De cet état en devenir (quel devenir pour une Femme sans enfant ? mais on continue de vivre, d’écrire), il faudra dès lors trancher dans le vif du sujet («J’ai inventé ma vie, comme tous») et continuer de rêver malgré tout («Si je ne rêve plus, il m’arrive d’avoir des enfants imaginaires. Parfois cela bondit en moi de façon saugrenue»). Oui, continuer de rêver à ce rêve doublement increvable d’avoir été enfant et de porter – malgré tout – cet enfant imaginaire.
Dans un dernier  bond, voilà l.héroïne, ménopausée, qui s’allonge sur un banc de sable, là voilà en prise avec ce corps du dernier temps de son âge, qui est un mensonge et une vérité :

«Sous le ciel noir de l’orage et le soleil tout ensemble, devant l’océan et le ressac, les bleus et les verts, dans l’odeur organique de ce pétrissage, à côté des puces de mer que mes doigts déterrent, je suis avec tout cela dans un présent indépassable, non pas tous les temps, mais ce temps-là, celui d’un moment, un présent non pas éternel (pas de présent sans la conscience de la mort), mais le présent mortel de la vie».

Jean-Louis FOURNIER : A l’opposé, Jean-Louis Fournier («Où on va, papa ?»), père de deux handicapés, Mathieu et Thomas. Le père oscille entre l’humour et le désespoir, se raccrochant à ce seul diagnostic que ses enfants «ont de la paille dans la tête ». Le sens de l’humour n’est là, nécessaire et un peu vain, que pour dissimuler les terribles désillusions qui suivirent l’après-naissance ( Celle-ci, entre autres : «Quand Thomas a grandi et que, rapidement son handicap s’est révélé, il n’a plus jamais reçu de cadeau de son parrain»). On croule sur les anecdotes qui, accumulées, nous font éprouver une empathie paradoxale. BiBi, lecteur et père, croise les chemins de Jean-Louis Fournier, le suit dans ses chapitres jusqu’au point où il se détourne en bénissant le Ciel de n’avoir pas touché les mêmes lots à la «Loterie génétique».
«Thomas adore dessiner et peindre. Il est plutôt de tendance abstrait. Il produit beaucoup, il ne retouche jamais après ».
BiBi a aimé les doutes du bonhomme et l’humour qui sauve : «Quand je parle de mes enfants, je dis qu’ils ne sont «pas comme les autres», ça laisse planer un doute».
François Tosquelles, le psychiatre, disait que chaque homme se devait de jouer sa folie et de la réussir. Ceux qui échouent dans les hôpitaux ou les IMP ont, quelque part, rater leur folie. Ceux de Jean-Louis Fournier n’eurent même pas le choix.

Pierre LEGENDRE : En lecture croisée, tout en regardant les reportages insensés de l’enterrement de Mickaël Jackson, BiBi a repris ce petit opuscule de Pierre Legendre («La Fabrique de l’Homme Occidental»). Là aussi, il lui vient des picotements électriques : «Mais, qui nous assure que tout cela n’est pas fou ? Les arts, toujours premiers pour dire la vérité » et encore, tout en pensée à l’Enfant Jackson sans enfance, perdu dans ses peluches :

«Fabriquer l’homme, c’est lui dire la limite (…) Les fils sont destitués, l’enfant confondu avec l’adulte, l’inceste avec l’amour, le meurtre avec la séparation par les mots. Sophocle, Mozart et tous les autres, redites-nous la tragédie et l’infamie de nos oublis.
Enfants meurtriers, adolescents statufiés en déchets sociaux, jeunesse bafouée dans son droit de recevoir la limite, votre Solitude nue témoigne des sacrifices ultramodernes
».

Saintes écritures.

Saintes écritures.

1. «Mon seul conseil aux jeunes écrivains : s’il y a un menuisier dans votre quartier, passez le soir avant qu’il ferme et regardez par terre…»
Merci Antonio Tabucchi pour ce précieux conseil mais la Vie a haché menu les Menuisiers et il se peut même que les derniers de la Confrérie aient adopté hélas, eux aussi, une langue de bois.

2. Bernard-Marie Koltès (extrait de «Nickel Stuff») écrit à sa mère : «Ne t’inquiète pas de la tristesse qu’à juste titre tu as devinée chez moi, c’est le prix que je paie lorsque j’écris, obligé que l’on est de remuer des choses qui, le reste de la vie, restent soigneusement enfouies».
L’écriture : creuset qui te creuse.

3. Dans la revue «Le Matricule des Anges» (numéro de juin 2009), Michel Surya, éditeur des Nouvelles éditions Lignes et écrivain, rapporte : «Le Pouvoir en place, le régime, ses ministres, sa Police rendent aux livres (et à la Pensée), une puissance qu’il n’y avait plus personne à leur donner (…). La Police s’en inquiète maintenant qui cherche dans la bibliothèque. Elle dit : «C’est un danger ; les livres mettent l’Etat en danger ; on a tort de croire que le divertissement les avait tous emportés ; ils nuisent : à l’Ordre, au Bien, aux Familles, à la Paix, au Capital, à l’Argent ; c’est plein de vieux rêves avec lesquels on croyait en avoir fini ; dont on croyait s’être débarrassé ; qui sait ce qui peut s’éveiller d’un tel rêve ? La révolution ? L’Egalité ? Diable ! Surveillance…surveillance».

BiBi est cyclothymique : il va et vient entre la Tristesse-Koltès et une légendaire Rébellion (nécessaire et un peu vaine).