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Maurice Blanchot & René Char.

BiBi a lu attentivement l’article du JDD (dimanche 20 décembre) qui traitait des « nouveaux intellectuels ». BiBi est retourné feuilleter le petit livre « Les Intellectuels en question » de Maurice Blanchot et s’est souvenu du combat de René Char. BiBi adresse un grand salut à Mômo et René là où ils sont, là où ils ont été.

Ces deux Intellectuels ont marqué le paysage culturel français. Ils ont fait ce qu’ils devaient faire en des temps désastreux, temps pas si lointains que ça (Guerre 39-45, Guerre d’Algérie).

Du petit livre de Maurice Blanchot «Les Intellectuels en question» (Ebauche d’une réflexion aux Editions Fourbis), BiBi en a tiré deux belles phrases sur les Intellectuels.

Une historique : « De l’Affaire Dreyfus à Hitler et à Auschwitz, il s’est confirmé que c’est l’antisémitisme (avec le racisme et la xénophobie) qui a révélé le plus fortement l’intellectuel à lui-même : autrement dit, c’est sous cette forme que le souci des autres lui a imposé (ou non) de sortir de sa solitude créatrice ».

Et l’autre, plus pragmatique : Un intellectuel serait «un citoyen qui ne se contente pas de voter selon ses besoins et ses idées mais qui, ayant voté, s’intéresse à ce qui résulte de cet acte unique et, tout en gardant la distance vis-à-vis de l’action nécessaire, réfléchit sur le sens de cette action et, tour à tour, parle et se tait».

En écho à Maurice Blanchot, instigateur du Manifeste des 121 pendant la Guerre d’Algérie, le poète René Char, résistant de la première heure, écrivait en 1943 un billet à Francis Curiel :

« Je veux n’oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir – pour combien de temps ? – un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les Chiens de l’Enfer. Les rafles d’israélites, les séances de scalp dans les commissariats, les raids terroristes des polices hitlériennes sur des villages ahuris me soulèvent de terre, plaquent sur les gerçures de mon visage une gifle de fonte rouge ».

Hier les Chiens de l’Enfer. Aujourd’hui, les Toutous de Lagardère et les Chiens de garde de la Niche à Chouchou.

Ouvrir l’œil, tendre l’oreille.

Arlette Farge

Lecture croisée de BiBi pris entre l’homme de théâtre Valère Novarina et l’historienne Arlette Farge. Drôle de tumulte à leur lecture…

BiBi avait à peine fini le dernier livre de l’historienne Arlette Farge («Essai pour une histoire des Voix au 18ième siècle» chez Bayard) qu’il a tiré de ses étagères le Dictionnaire du Chablaisien du Docteur André Depraz. Celui-ci y a repris les mots qui courent dans les montagnes hautes savoyardes (en 30 chapitres).

Ce dictionnaire s’ouvre par une étincelante préface de Valère Novarina : «Nous avons le même mot entendre pour désigner à la fois ce qui est de l’ouïe et ce qui est de l’intelligence ; cela signifie bien que la pensée écoute et qu’elle va toujours au plus près de la chair des mots ; c’est ce qui la distingue de l’idée, de l’opinion : l’opinion suit une idée, elle est toujours univoque, plate, machinale et sans volume, sans paradoxe et sans croisée – et c’est ainsi, aux normes, commode à emballer et propre à la pasteurisation qu’elle s’exprime, se monnaie, se répète et se vend ; alors que la pensée respire, entend, va creuser avec les mots, court dans la langue même, va jusqu’à se perdre et invite au voyage ».

Avec Arlette Farge – à qui, en des temps plus anciens, BiBi avait écrit au sujet des Possédées de Morzine – on part en voyage avec un guide exceptionnel. On traverse le 18ième dans le tumulte. Ici, des murmures et grondements critiques, là des propos dits blasphématoires (contre Dieu, contre le Roi), ailleurs toujours ce bruit persistant des voix populaires, l’éloge de la conversation, les cris des possédés de Bicêtre, les babils des enfants, les cris publics non confondus avec la clameur publique, la reprise des rapports -tout en voix – entre hommes et femmes «agacées».

On reste en arrêt sur les magnifiques pages du chapitre 4 qui font passer le «souffle des passions souffrantes» (voix des plus faibles, des prisonniers, des aliénés). Arlette Farge creuse là en profondeur et donne à entendre… grâce à un travail magistral sur archives (y sont rappelées au passage les infinies mais vivantes précautions méthodologiques).

Il y a là, en condensé, toutes les difficultés de la recherche historique et tout le courage d’Arlette Farge. Jamais impuissante face aux preuves bien ténues, Arlette Farge veut «dire le malheur» pour lui faire rendre gorge. Elle met sa voix d’historienne singulière au service des Sans Voix. Pas seule pourtant, puisqu’elle se retrouve dans le sillage de Geneviève Bollème (BiBi avait lu de celle-ci une captivante étude sur Flaubert), de Michel Foucault et de Roger Chartier.

Une fois de plus, Arlette Farge a émerveillé BiBi, du Goût de l’Archive à ce petit livre sur Watteau ( Magistral «Fatigues de la Guerre»), du Cordonnier de Tel-Aviv à la Fracture sociale. BiBi ne saurait terminer ses propos laudateurs sans rappeler la magnifique intervention de l’historienne dans un article mis en ligne (« Les plus pauvres portent des écrits sur eux »)»

Camus Albert, de Lourmarin.

Camus Albert de Lourmarin

Le Panthéon est l’obsession un peu infantile de Chouchou. BiBi avait déjà parlé du lapsus de Chouchou au cours de cet été. Chouchou avait confondu le patronyme de la Responsable des Verts(Cécile Duflot) avec Madame… Soufflot. A Paris, BiBi s’était souvenu que la rue Soufflot rejoignait la Place des Grands Hommes qui n’est autre que la Place du Panthéon. BiBi avait rajouté malicieusement : « Cher Chouchou, c’est là qu’il faut des cendres« .

Et bien entendu, cette obsession se double d’un calcul politique. Voilà donc notre Président qui remet ça avec les cendres de Camus, espérant qu’un peu de gloire par ci retombe un peu par là (c’est-à-dire sur lui). BiBi se souvient aussi de cette autre histoire drôle qui circulait entre Paris et New York. Chochotte parlait avec le Président Bush et lui demandait s’il connaissait Camus. L’ancien Président des Etats Unis fait une moue interrogative et reste un peu perplexe devant la question. Intervient alors Chouchou qui d’un joli accent américanisé apostrophe Bush : « Yeah ! Camus ! Camus !… Cognac Camus! »

Enfin, c’est un BiBi en bonne forme qui avait laissé tomber sur un gazouillis de Twitter : « Nicolas Sarkozy n’a jamais pu lire un livre de Camus. Et pour cause, il a chargé Besson de reconduire tous les exemplaires de l’Etranger aux frontières« .

Chouchou – qui est loin d’être l’agité que d’aucuns croient – est un Penseur malin. Avec son pool elyséen, il n’a de cesse de se pencher sur le rapport de forces qui traverse notre Pays. Le monde des Intellectuels a ses faveurs personnelles : il désire éblouir la galerie et il veut trouver un grand Homme pour asseoir une légitimité inexistante. Il désire aussi être à la hauteur de sa femme légitime qui, elle, rebelle raffinée ou Dame Patronesse distinguée, lit Proust, Nietszche dans le texte, connait par coeur Ferré ou admire Pasolini etc, tous inconnus jusqu’en 2008 de notre Président Bling-bling.

C’est vrai que lorsqu’on se moque de la Princesse (de Clèves, pas de Monaco), lorsqu’on débarque avec pour tout capital culturel les Oeuvres complètes de Didier Barbelivien, les refrains d’un Chanteur jauni, les prouesses de Gilbert Montagné, l’humour de Guy Carlier et de Jean Marie Bigard, on a pris beaucoup de retard pour rattrapper les Intellos de CM1 et de CM2. Et ce n’est pas la photo d’un Sarkozy très affairé, découvrant innocemment un exemplaire de Gérard de Nerval sous son bras, qui suffira à être de la Fête !

Rajoutons encore que ses amis de l’UMP versent, eux aussi, dans l’anti-intellectualisme. Prenez l’ami Eric Raoult : difficile de croire l’amour de Chouchou pour Albert Camus lorsqu’on veut mettre au pas et au Devoir de réserve les écrivains.

Aujourd’hui, BiBi apprend que le fils Camus refuse le transfert des cendres de l’écrivain au Panthéon. BiBi se souvient de cette Montagne du Chenoua qu’il escalada et de la beauté de Tipasa, un exemplaire de l’Exil et du Royaume en main. Il se rappelle son ahurissement à la lecture de l’Etranger ( les soixante premières pages). Il se rappelle l’amicale correspondance entre Camus et René Char, tous deux à une distance sidérale de tout devoir de réserve.

Jean Camus parle de « contresens » et refuse l’Opération manipulatrice de Chouchou. Si BiBi repasse à Lourmarin, il lui payera un verre.

« Cousin singe et Cousin ange ».

Cousin Ange, Cousin Singe

Marie N’Diaye aux Inrocks.

Marie N'Diaye

C’est entendu, une phrase joliment tournée dans une interview ne fait pas le bon écrivain. BiBi n’a pas lu le livre de Marie N’Diaye («Trois femmes puissantes» chez Gallimard) mais il a retenu sa réflexion rapportée de la rencontre de l’écrivaine avec l’équipe des Inrocks.

(Extrait) Les Inrocks : Vous sentez-vous bien dans la France de Sarkozy ?

Marie N’Diaye : Je trouve cette France monstrueuse. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité. Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je me souviens d’une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j’aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : « La Droite, c’est la Mort ».

BiBi, lui, la reprend à son compte. La Mort, oui.