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La Bande des Quatre.

Les combats d’aujourd’hui sont autant politiques que poétiques.

Contre ces blocs de langage qui tentent de nous étouffer, contre ces vents mauvais qui sifflent à nos oreilles, voila quatre échos de poètes-écrivains qui ont accompagné la colère et les espoirs de BiBi, piéton du 24 juin. Quatre extraits tirés de vieux carnets. Quatre idiomes marquant l’importance des mots, de l’écriture, de l’écriture adossée à la vie. Quatre pensées qui sortent de la langue commune pour la renouveler et la réinventer.

Ils ont refait surface et lui sont revenus en mémoire : preuves qu’ils n’ont jamais été oubliés, preuve que ces phrases dépliées en quatre furent décisives. Hommage donc à Michel Leiris, Charles Juliet, Jean Malaquais et Francis Ponge.

Michel LEIRIS :

«En disséquant les mots que nous aimons, sans nous soucier de suivre l’étymologie, ni la signification admise, nous découvrons leurs vertus les plus cachées et les ramifications secrètes qui se propagent à travers tout le langage, canalisées par les associations de sons, de formes et d’idées. Alors le langage, se transforme en oracle et nous avons là (si ténu soit-il) un fil pour nous guider, dans la Babel de notre esprit»

Charles  JULIET.

« Je dois dire que l’écriture pour moi c’est toujours un moment difficile. Il faut aborder quelque chose d’inconnu et d’immense. On voudrait pouvoir tout dire de ce qu’est l’être humain, de ce qu’est le drame d’exister, de ce que sont nos joies, nos avidités, nos déceptions, nos angoisses, nos instants de bonheur, nos « minutes heureuses » dont parle Baudelaire. Combien je me sens insuffisant face à cette immensité, face à tout ce qui existe et qui est toujours présent et bouche un peu l’horizon». Photo Daniel Batail.

Jean MALAQUAIS.

« Je ne puis écrire une ligne sans me surveiller : accoudé sur mon épaule, quelqu’un me lit et me censure. Dieu de la Littérature, épargnez-moi de donner dans la putasserie des littérateurs ! »

Francis PONGE.

«Le seul moyen d’agir et non d’être agi est justement celui que j’ai choisi, l’écriture… Une société, c’est un ensemble de langages dont le principal est la langue elle-même, j’entends la langue commune, celle qui se parle et qui s’écrit. Il s’agit de savoir si l’on accepte ce langage, si ce langage est de votre goût, au sens le plus absolu du terme, si votre goût ne le refuse pas, si vous pouvez employer ce langage. Eh bien, moi je dois dire que c’est par dégoût de ce langage que j’en suis venu à écrire. Il s’agira donc pour moi, pour pouvoir vivre, de modifier ce langage… mais vous savez, la Société, son et ses langages, ont mille moyens de se défendre, de se conserver».

L’Enigme d’Autrui.

Les réflexions de Paul Fustier, psychologue à l’Université Lyon 2, ont beaucoup influencé BiBi dans son métier d’éducateur spécialisé. BiBi se souvient de ses interventions en école de formation et de ses exposés en Conférence (sur le travail avec les familles par exemple). Humour et pensées en mouvement y faisaient bon ménage.

Paul Fustier s’est associé à Jean Cartry, éducateur spécialisé, collaborateur de la revue « Lien Social », pour écrire à deux voix un livre paru récemment aux Éditions Erès : «L’éduc et le Psy » (Lettre sur la clinique du soin éducatif). Jean Cartry a été au cœur de la création d’une famille thérapeutique qu’il a fondée avec son épouse il y a plus de trente ans.

Échanges et croisements d’hypothèses, relevés de détails (savoureux passage sur le «robinet de Paul »), inventaire de rituels socialisants dans les prises en charge d’enfants et d’ados au quotidien, éclairages sur les affects en jeu (ainsi celui qui met en jeu les mécanismes d’identification projective), réflexions sur le départ des jeunes protégés de la structure éducative etc. Tous ces chapitres sont construits autour d’une correspondance épistolaire entre les deux hommes dans une « conversation » sans concessions mais toujours amicale, avec un va-et-vient entre riches considérations générales et attention soutenue aux « petits riens » et à leur signification.

Dans l’interview que Jean Cartry a accordé à la revue « Lien Social », l’éducateur donne une part déterminante à l’engagement : « Engagement dans une relation éducative certes mais qui nous surprend, dépasse le champ strictement professionnel (payé) et déborde sur le privé (gratuit) dès lors que cette relation se développe dans un espace d’altérité véritable : qui est cet enfant pour moi ? Qui suis-je pour lui ? Nous sommes menés plus loin que prévu compte tenu de ce que l’autre (l’enfant ou l’ado) dépose en nous dès lors qu’il se sent important pour nous ».

Jean Cartry et Paul Fustier insisteront sur les paradoxes de nos positions éducatives (travailler la séparation sans la rupture ou la disparition par exemple). Paradoxes qu’il ne suffit pas d’énoncer de façon juste car la nécessité commande non seulement de tenter d’en comprendre le sens, de «mettre au travail psychique les incompatibilités apparentes qui les constituent », mais aussi de partager ces paradoxes et de les éprouver (ainsi celui autour des chaussons).

BiBi ne peut que rejoindre Jean Cartry lorsqu’il avance sa conclusion ouverte à propos de l’Autre, de cet Autrui difficile à saisir : «  En fin de compte – et quoiqu’il arrive, reste l’Enigme d’Autrui qui appelle notre humilité et notre prudence».

Un livre à mettre entre toutes les mains, de celles qui tendent la main.

Roman Polanski s’évade grâce à Milan Kundera.

BiBi a dévoré « L’Art du Roman » de Milan Kundera et a fréquenté avec passion et gourmandise plusieurs de ses grands textes. Même si BiBi lui préfère Bohumil Hrabal et son chef d’oeuvre (« Une trop bruyante solitude » ), il a toujours été attentif aux interventions du Romancier franco-tchèque. Le Monde lui a ouvert un espace dans le Décryptages Débats du 7 mai. Le billet de Kundera est intitulé : « La Prison de Roman Polanski ».

Tristesse-BiBi dès les premiers mots de Kundera. L’écrivain franco-tchèque avertit le lecteur du désintéressement absolu de sa démarche. « Je n’ai jamais rencontré Roman Polanski ». Façon de dire et de tenter de nous convaincre que son argumentation sera donc dénuée de toute arrière-pensée, qu’elle sera objective et non partisane.

Voyons ça de plus près : Kundera se transforme en Juge et revêt illico un habit de Justicier. Il ne veut pas «dire un seul mot sur l’aspect juridique» mais, dix lignes plus loin, il délivre sa sentence en petit Procureur : «Le procès prolongé à l’infini n’apportera rien à personne, à personne, à personne».

La victime ? Bah ! Quelle importance ? Ravalée à un fantôme, elle a pardonné à Polanski «depuis longtemps». Alors un procès en Justice : pfffttt…

Et Polanski ? Ô le Pauvre Polanski ! «L’accusation occupe entièrement sa tête (…), le prive de vie». Milan Kundera a manifestement la mémoire courte : «The Ghost Writer», dernier film de Polanski, est sorti sans encombres le 3 mars sur les écrans. «Entièrement sa tête» ? Dommage que le cinéaste n’ait pas eu une petite place pour la victime et pour d’éventuelles « excuses ». Mais peut-être que BiBi n’a pas parcouru toutes les déclarations du cinéaste ?

Le point de vue et la défense de Kundera en deviennent tarabiscotés. Pour excuser et gommer un abus sexuel sur mineure de 13 ans, voilà la conviction du Romancier : «C’est l’art européen, sa littérature, son théâtre qui nous ont appris à déchirer le rideau des règles juridiques, religieuses, idéologiques, et à voir l’existence humaine dans toute sa réalité concrète». BiBi peut applaudir à l’assertion mais se demande quel rapport peut-il y avoir avec le procès qui attend le cinéaste ? L’Art (l’Europe) au-dessus des lois ? L’Art, la Culture européenne comme arguments décisifs de sa Défense ? Euh… BiBi ne pige pas.

Autre refrain déjà entendu ailleurs : «Roman est persécuté pour un acte qui a eu lieu il y a trente-trois ans». Devrait-on le laisser en paix pour cela et ne passer en procès que les actes d’abuseurs datant de 33 jours, de 33 minutes ou de 33 secondes ?

Pour BiBi, Milan Kundera se cherche toujours une Famille (surtout artistique, surtout européenne, surtout unanime). Pas forcément l’Europe des Droits de l’Homme et du Citoyen qui sortit la France monarchique (et l’Europe) des injustices de Droit divin. Et BiBi de conclure sur cette interrogation : n’y a-t-il pas là un transfert inconscient de Kundera sur le cinéaste Polanski… au mépris de la Vérité et de la Justice ? Lorsque Kundera écrit que le Cinéaste est «toujours en prison», ne parle t-il pas de lui, de son exil et des ses propres années sombres d’après le Printemps de Prague, années où il fut lui-même… «persécuté et surveillé» ?

Stylo en jachère.

Pour la seconde fois, BiBi participe à l’opération Phototexte du Blog à 1000 mains.  Le Texte est libre à partir de la photo suivante :

LE PERSONNAGE.

« Mon Amour,

Depuis trois jours, j’ai  laissé mon stylo en jachère avec cette impression que l’Écriture me perd de vue. C’est sur la terrasse près des orangers que je suis resté une bonne partie de l’après-midi. Je n’ai pas bougé, j’ai tenté de rester concentré à l’extrême mais je n’ai pas pu aligner deux lignes.

Depuis notre rencontre, je n’écris plus rien. Trois jours sans un mot et voilà mes maux de têtes qui me reviennent. Peut-être ai-je peur – peur irraisonnée – de voir notre feu s’éteindre ? Peut-être que notre flamme ira s’étouffer dans la cendre des habitudes et des redites ? Sommes-nous armés pour dépasser ce qui risque de nous anéantir ? Serons-nous plus forts que tout ?

La peur de ne plus rien écrire. La peur. Tout tient désormais en ce seul mot. Je n’en étais pas là, il y a seulement deux mois. Rappelle-toi notre rencontre, rappelle-toi la réserve toute en murmures de nos débuts, la timidité à nos Commencements. Mais vivre avec un homme qui écrit, comment est-ce possible, comment est-ce que cela te sera possible ?

De ces quelques mots difficilement arrachés, de ces questions soudain advenues sur ma page, que dois-je conclure ? Je t’aime. Je t’aime déjà mais de cet amour, il me faut préciser. Est-ce que je t’écris parce que je t’aime ? Ou bien, plus douloureusement, ne serait-ce pas… que je t’aime… parce que je t’écris ? »

LE ROMANCIER.

Mon Amour,

Météo psychique au beau fixe aujourd’hui. Inspiration et respiration me sont revenues sous la tonnelle de la maison où il fait bon sentir le parfum des orangers. J’ai repris mon stylo et je t’envoie cette page, la première des dix pages de mon roman épistolaire. J’espère que ce début aiguisera ton désir de me lire.

Je sais désormais comment je vais m’y prendre avec mon héros, cet imbécile qui se croit écrivain et qui pense que la rencontre avec l’ amour l’empêchera d’écrire. Il ignore la chance qu’il a. Chance de sa vie. Chance de son écriture. Pas de pitié pour ce poltron, pour ce goujat qui se carapate derrière ses pauvres questions.

Reviens-moi vite. Je t’embrasse en toutes lettres… ( je pense là, bien sûr, à ton… Y).

Ces écrivains qui nous aident à vivre.

C’est important de prendre appui sur Ceux qui ont écrit des choses que vous ressentiez. Inestimable est le soutien silencieux et désintéressé de ces Ecrivants  qui mettent en mot ces courants qui vous traversent et ce, beaucoup mieux que vous ne l’auriez fait vous-même avec votre pauvre langage.

Il est des Ecrivants qui lisent en vous : ils n’ont guère besoin de vous suivre, de vous épier. Ils sont là, ils vous regardent tranquillement et tout, du premier à leur dernier mot, vous touche, vous berce, vous perce, vous renverse.

Octave MANONNI.

« Une expérience a été faite sans qu’il la comprenne, par De Quincey. Il raconte qu’à un moment donné, il fréquentait une église où se trouvaient seulement des Espagnols et où, par conséquent, on ne parlait qu’espagnol, langue qu’il ne connaissait pas. Il s’y rendait uniquement pour le plaisir d’entendre cette langue. Cela provoquait chez lui une émotion qu’il ne pouvait expliquer.

Je considère que des expériences de ce type rappellent un moment de la petite enfance ; en effet notre langue maternelle a été pendant une certaine période un pur jeu linguistique pourtant plein d’obscures promesses de sens.

C’est pour cette raison que certains lecteurs éprouvent de l’intérêt pour des poèmes qu’ils ne comprennent pas, comme ceux de Mallarmé, mais dans lesquels ils retrouvent continuellement cette promesse de sens qui, n’ayant jamais été complètement tenue, laisse goûter le jeu des signifiants, jeu comparable à celui de la musique certainement, pas à cause de sa sonorité mais à cause de ce qu’il présente comme combinaisons, rencontres, répétitions, rappels et oppositions ».

Georges HALDAS.

1. « Ce n’est pas ce qu’on écrit qui compte. Nos livres, en effet, avec le Temps – et même bien avant – deviennent poussière. Ce qui compte en revanche c’est tout ce qu’en les écrivant on découvre : de nous-mêmes, des autres, du Monde et surtout de la Vie. »

2. « Lire vite, quand il s’agit d’un texte inspiré, est une maladresse et une profanation. Maladresse, parce que la rapidité ne permet pas de s’en nourrir (comme pour un repas), ni de l’assimiler. Et profanation parce que cette même rapidité est une offense à celui qui a inspiré le texte. Et qu’on n’accueille pas comme il faudrait, avec l’attention et le respect qu’il faudrait. C’est en fait empêcher la Source de pénétrer en nous. »

Elias CANETTI.

« Il n’y a rien qu’on sache tout de suite ; quand on a l’impression de savoir quelque chose tout de suite, c’est qu’on l’avait appris longtemps auparavant. Ne vaut que le savoir qui a vécu en nous secrètement ».

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