Légendes d’Hélène (3) : la Rupture.

 Au revoir l'Amour

Mon ami, l’écrivain public, m’a écrit à nouveau. Pour la troisième et dernière fois.

Hier fut pour lui une journée particulière : il avait reçu trois femmes, trois femmes au prénom similaire : Hélène. Il a écouté leurs histoires puis sous leurs trois dictées, il a écrit. Dernière rencontre : Hélène, une «nature».

*

   «S’est présentée Hélène, numéro trois. C’était en fin de journée, une demi-heure avant la fermeture. Elle est arrivée, elle s’est assise en silence. Le silence a duré, duré. Les premiers mots ont été lâchés en sourdine, balbutié. Je n’ai pas bien entendu. Madame, voulez-vous répéter ? Elle s’est élancée une seconde fois. «Cococomme comme vous vous le sasasavez…» Puis elle s’est tue. J’ai compris qu’elle bégayait. J’ai voulu m’excuser et puis, non, non, j’ai attendu. S’excuser de quoi ? Elle l’aurait peut-être mal pris. Non, elle n’était pas intimidée comme la jeune Turque du matin. Timide au rez-de-chaussée mais déterminée à tous les autres étages. Parce que ces yeux-là ne plaisantaient pas, oh oui, ils ne bégayaient pas, eux. Autrefois, on disait : «Une Nature».

   Devant ses hésitations à répétition, j’ai voulu la faire écrire, elle, afin qu’elle m’expose son problème mais je me suis souvenu que c’était moi l’écrivain public, qu’elle ne devait probablement pas savoir écrire et que c’était à cause de cette impossibilité-là qu’elle venait me rencontrer. Une trentenaire, en robe noire, aux cheveux blonds tirés à l’arrière. Une façon de s’asseoir très digne, un port de tête énergique, les yeux droits dans les yeux. «Je je je vou vou vou drais que que que vous vous vous vous éccccriviez que tttttout est fififini ennntre lui et et et moi». Une lettre de rupture. Oui. Comment s’appelle t-il ? «Louloulouis, il sasasa-sappelle». Louis ? Oui, oui.

   J’ai repensé alors à toi, Irène, j’avais été ton Louis, moi aussi.

Greta

   Je savais déjà quoi écrire, comment remplir la missive de cette Hélène, je savais qu’il ne resterait plus rien, rien, rien, rien de rien après leurs trois ans de vie commune, plus rien entre Hélène et son Louis, plus un mot, écran noir, le trou noir des Physiciens, les Nuits blanches du Poète, l’abîme, le Désastre, puits sans fonds, crevasses, gouffres jusqu’au Centre de la Terre, il y aurait le Silence céleste et définitif, l’infini de la Voie Lactée, il y aurait ces petits cris de bête apeurée, l’infinie détresse des délaissés, les grandes peurs informulées et ces maux de tête à répétition. Louis, tu vas déguster.

   J’ai pris les devants : Ne m’en dites pas plus, Madame, je comprends tout. Les hommes sont des lâches, elle hochait la tête, Les hommes sont tous des menteurs, Louis aussi, bien sûr, surtout lui, les hommes sont des baratineurs, elle continuait de hocher la tête.

   Et moi qui repensais à toi, Irène, au Louis que j’ai été.

Tremblé article

   Tu recevras cette lettre de rupture, tu t’évanouiras, elle ne gardera plus une seule trace de toi, elle t’a effacé, Louis. Louis, tu l’as perdue. Perdue. J’ai connu ça, perdu, tu seras perdu. Louis, moi aussi, avec Irène, j’avais tout tout tout tout perdu. «Mememessissieur le le le l’écricrivain, je je je je vous vous vous vous rerereremercie». Elle lut ma lettre une dernière fois puis, avant de sortir, elle me gratifia d’un généreux pourboire. Satisfaite. Mon Dieu, j’ai ricané en rangeant son billet de Cinquante, j’ai ricané. Salaire du Diable. Monnaie de Singe.

   Et j’ai repensé à toi, Irène, Irène, où es-tu Irène, rien ne cicatrise, entends-tu, rien, c’est à nouveau ma vie qui bégaye à ton souvenir, c’est ma, ma, ma vie, ma vie, ma vie, ma vie, c’est ma vie qui bébégaye».

*

Le texte de la photo en en-tête du billet est de Louis Casarin. (Lire le billet  «Textes sortis de l’Ombre» ici-même pour en savoir plus).

Pour suivre la chronologie des travaux de l’écrivain public : La jeune femme turque (1), La demande en Mariage (2).

One Response to Légendes d’Hélène (3) : la Rupture.

  1. Robert Spire dit :

    L’Amour comme la « Légende d’Hélène » commence à deux et fini à Troie ou dans une infinie tendresse.

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