Le Cinéma ? Une Maison à deux portes.

Godard et Eustache

Dans les années 75-80, certains intellectuels avaient décrété que le Cinéma était mort. Ils avaient fait démarrer le cortège mortuaire à la date du «décès» du cinéaste Pier Paolo Pasolini (novembre 75). Mais comme dans toutes choses, la Vie se charge de dire le contraire : décréter la fin du Cinéma, haranguer la foule – populace ou élite – pour faire passer ce Message de Mort n’aura évidemment pas suffi. Le Cinéma n’est pas mort même si BiBi fait souvent une tête d’enterrement à la sortie des cinémas (et des films).

Ce désir-Bibi est né dans les années 60 au  Ciné-Club de la ville du Rif marocain (Ouezzane). Ce désir forcené de Cinéma, d’aller au cinéma (associé à la nuit), cette maladie d’enfant-spectateur, on n’en guérit jamais complètement.

Souvenir : «Mon père avait un peu de temps pour s’occuper du Ciné-Club, partagé entre cinéma arabe du souk et westerns US. Je me souviens de «La Chaine» avec Sidney Poitier et Tony Curtis, de deux, trois phrases sur la solitude là-dedans. J’étais fasciné par Steve Mac Queen, James Stewart et fus longtemps effrayé par les yeux et le menton de Kirk Douglas, par aussi les ricanements de Richard Widmark».

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Au détour d’une lecture de journaux suisses, voilà le vieux briscard de Jean-Luc Godard qui (se) manifeste. Toujours vivifiante sa lecture du monde.

A la question «La France va-t-elle si mal ?», Jean-Luc Godard répond : «La France garde une aura. Car sa littérature et son rapport «son/images/mots» sont plus riches que ceux des Américains ou des Allemands, par exemple. En termes de puissance, la France équivaut désormais à, disons, le Guatemala. Mais sa littérature et sa poésie font que la France est plus intéressante».

Il rajoutera : «On assiste à une grande détérioration aussi du point de vue culturel: on ne filme plus pour découvrir, mais pour affirmer quelque chose».

Dans les années 70, le cinéaste avait ces mots sur sa propre situation dans le Territoire-Cinéma : «Si vous voulez, je croyais qu’il fallait prendre d’assaut une citadelle qui s’appelait le cinéma traditionnel français. Je m’aperçois que je l’ai effectivement prise d’assaut et que je suis à l’intérieur de cette citadelle, toujours en prison».

Dans l’année 1998, interrogé par Libération, Jean-Luc Godard se fendit d’une petite histoire :

«Il y avait un roman de Ramuz qui racontait qu’un jour, un colporteur arriva dans un village et qu’il devint ami avec tout le monde parce qu’il savait raconter mille et une histoires. Et voilà qu’un orage éclate et dure des jours et des jours, et alors le colporteur raconte que c’est la fin du monde. Mais le soleil revient enfin et les habitants du village chassent le pauvre colporteur. Ce colporteur, c’était le cinéma».

Dans ce même interview, il revint sur – peut-être  🙂 – ce qui fut sa scène primitive : «J’ai rompu avec ma famille après l’avoir exploitée le plus tard possible, jusqu’à ce qu’ils me mettent à l’asile puisque je volais. On me disait : «Mais c’est honteux. Tu ne voles même pas les autres, mais nous». Godard, voleur d’images ?

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Autre cas : Jean Eustache (Interview au Monde le 24 décembre 1974).

« A vingt ans, j’ai réfléchi pendant à peu près deux heures. Je me suis demandé : que va être ma vie ? J’ai deux enfants, je gagne 30.000 francs par mois, des francs anciens, je travaille cinquante heures par mois dans une usine, j’habite une HLM. J’ai très peur que ma vie soit triste, qu’elle ressemble aux caricatures de vies pauvres dont j’ai l’exemple autour de moi. J’ai éprouvé une peur panique de ressembler à ces caricatures. Je ne peux être ni écrivain, ni peintre, ni musicien. Il reste le plus facile, le cinéma. J’ai, en deux heures dans une ville, pris la décision de me laisser dévorer par une passion»

affiche_Sale_Histoire_Racontee_par_Jean_Noel_Picq_1977_1« Au fond la vraie question est de savoir si les cinéastes sont des penseurs ou des gens de spectacle, comme des gens de cirque. Je ne suis plus du tout certain, comme je l’étais en tournant mes premiers films, que le cinéaste soit du côté de la pensée. A mon sens, il n’y a aucun mode de pensée, ni d’éthique dans le cinéma. Tout juste une sorte d’idée abstraite qui guide pour le scénario, et qu’on oublie».

 Jean-Noël Picq, comédien dans le film «Une Sale Histoire», a cette réplique sortie tout droit de son réalisateur : «Je ne raconte jamais mes histoires personnelles. Ou alors, quand je le fais, c’est que je suis persuadé qu’elles ne le sont pas, et que tout le monde comprendra».

Ailleurs, le même Jean-Noël Picq parle à nouveau de Jean Eustache : «Parfois un peu mégalomane, il espérait qu’une «Sale Histoire» provoquerait dans la salle des débats qui iraient jusqu’au conflit, à l’exacerbation du contentieux conjugal, au divorce et aux coups et blessures».

Des propos qui trouvent un écho dans un article intitulé : «Les deux jambes de Serge Daney», article qui retrace l’itinéraire de ce merveilleux critique de Cinéma.

Serge Daney

«Par chance, il se trouve que le cinéma était né dès le début sur deux jambes : une jambe absolument populaire, basique, triviale, imaginaire et une jambe cultivée, compliquée, philosophique, élitaire, et qui appelait la critique… Et que choisir le cinéma, c’était sans s’en rendre compte, d’un point de vue intellectuel et théorique, choisir une maison avec deux portes : une porte que tout le monde prend – et qu’il faut prendre, sinon on ne comprend rien au cinéma – et une porte dérobée dans laquelle les gens, dès le début, ont demandé au cinéma des choses absolument extravagantes».

Livrer, offrir des choses extravagantes : c’est peut-être là le meilleur de ce que peut le Cinéma.

One Response to Le Cinéma ? Une Maison à deux portes.

  1. lediazec dit :

    Magnifique ! Tain, ça change un pacson du délire Depardieu.
    De l’air ! Tiens, pourquoi pas le Guatemala !

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