Abstention et surplace du Front de Gauche.

Surplace

Hier, sur Twitter, après mon insistance sur l’énorme pourcentage d’abstentions (60% !) dans cette circonscription du Doubs, un Twitternaute vint me demander pourquoi ces Silencieux du Vote ne penchaient pas finalement pour le Front de Gauche (aux résultats décevants à 3,9%). Il y a quelques mois, toujours sur Twitter, j’avais croisé le fer avec une groupie à 200% de Mélenchon qui se lamentait de la non-adhésion du populo aux thèses du FdG. Réflexions en vrac.

@pensezbibi

bibi-twitter

J’avais relevé deux de ses tweets qui méritaient une plus longue discussion qu’en 140 caractères. La Twitternaute avait écrit :

  1. «Tous les responsables FDG ont été patients à tout vous expliquer de long en large… C’est VOUS les fautifs qui ne faites pas l’effort» et
  1. « «Réfléchir» chose que le peuple ne fait pas ! Le FDG a beau expliquer encore et encore, le peuple ne veut pas comprendre»

Cette analyse est souvent répétée jusque dans les rangs de cette Gauche (dont je partage généralement les principes et particulièrement les convictions). Elle laisse entendre quelque chose que les Sciences Sociales ne cessent de combattre à savoir que l’adhésion de ces «fautifs» ne relèverait que d’un accord conscient au «Système» (au PS, à la Droite, au FN). Ceux qui refusent le bulletin FDG seraient «fautifs», coupables de ne pas voir la Vérité révolutionnaire et de ne pas entendre raison.

Cette analyse est fondée sur une vision erronée du consentement. Cette militante s’appuie sur le postulat qui est de ramener le fonctionnement du corps social à des interactions délibérées entre agents. Elle pense que ces derniers prennent des décisions réfléchies et qu’il n’y aurait qu’à écouter «les responsables du FDG» qui sont très «patients à nous/vous expliquer de long en large» pour sortir de l’ornière des 6,7%. (Dans le Doubs ce dimanche, à 3,9%). Elle conclut alors naïvement que le «peuple» devrait écouter la bonne parole (si bonne d’ailleurs soit-elle) mais qu’hélas, pauvre de nous, ce peuple «ne veut pas comprendre».

days & night

Il ne resterait alors qu’à sortir les mouchoirs ?

*

Non si l’on pouvait (partiellement) se dégager de cette vision subjectiviste. En écartant cette dernière, on ne s’attarderait alors pas (trop) sur ces moments de la vie politique qu’on croit décisifs, on ne se laisserait pas submerger et étouffer par ces campagnes électorales qui durent 5 ans (avec, au final, le vote, qui reste le paradigme de la conscience politique).

Je sais que pour certains de mes lecteurs (lectrices) les discours des sciences sociales (pour dire vite Bourdieu- Accardo (1)- Boltanski) paraissent souvent obscurs, difficiles et complexes. Je sais les rudes chemins qu’il faut emprunter pour tenter de comprendre (un peu) le monde. (Billet sur la trajectoire d’un autodidacte). Autodidacte moi-même, slalomant encore aujourd’hui entre la clarté aveuglante et le noir complet, j’ai gardé envers moi quelques bouées éclairantes auxquelles je me raccroche.

Un «conseil» qui me vient alors : à chacun, à chacune de s’acharner, de voir, d’aller y voir, off side et… inside.

Capital

 *

Du coup, on pourrait aller beaucoup plus loin en avançant que la critique du système capitaliste ne peut pas seulement tenir avec des méthodes qui ne mettraient en cause que les structures objectives du Capitalisme (en exemples, citons : le marché délirant et la circulation folle des capitaux financiers, le laminage des politiques publiques et des acquis sociaux, le caractère technocratique de la construction de l’Europe etc). L’analyse est insuffisante si on ne met pas en cause, en même temps, la part que nous prenons personnellement, singulièrement, à la «bonne marche» du Système.

Nous voilà alors pris en tenaille dans cet ensemble double, inconfortable, qui fait peur, qui mine le moral, qui vous rend insomniaque. C’est qu’il ne suffit pas d’avoir un œil sur le Forum (l’espace public), encore faut-il avoir l’autre œil sur le For Intérieur, là où règne notre Subjectivité perso. Et là, dans l’«intime», c’est une autre affaire – surtout lorsque débarrassé de nos corvées diurnes – s’avance la Nuit (2). Et là, comme le disait Gilles Deleuze (3), penser ça fait mal, ça traverse nos chairs, tristesse, ça nous explose en dedans, ça nous remue de fond en comble, mélancolie, ça nous déchire, ça demande du feu, de la rage, des pleurs, bref ça demande, sous toutes les coutures, de la révolution.

*

Et pour terminer (provisoirement) faudrait-il faire effort collectif et individuel pour se pencher et analyser plus justement ces «trois ateliers de production (et de violence) symbolique» que sont :

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  1. le système scolaire et universitaire
  2. le système médiatique d’information-communication et
  3. le système politique de la démocratie représentative.

Car c’est au cœur de ces sous-ensembles énormes et complexes que beaucoup de choses se jouent. En effet, comme le précise Alain Accardo, le travail de ces trois systèmes s’adressent à «l’entendement rationnel et à la sensibilité conscientes de leurs publics» mais ils ont pour «effet principal de structurer solidement notre inconscient social».

Alors, à bibientôt pour d’autres aventures.

*

  • (1). Sur cette connivence non intentionnelle, je renverrais cette militante vers les travaux plus approfondis de Pierre Bourdieu (sur le Sens Pratique, sur l’Habitus) et vers les livres d’Alain Accardo.
  • « La soumission au système relève, très généralement, moins d’une démarche volontaire que d’un ajustement pratique spontané et socialement conditionné, dont les mécanismes sont hors du champ de la conscience immédiate et ne peuvent s’appréhender clairement que par une socioanalyse – c’est-à-dire une analyse en profondeur des effets des déterminants sociaux en chacun de nous – de nature à nous faire comprendre la façon dont le dehors s’installe aussi dedans et dont le dedans s’extériorise en retour dans notre rapport personnel au monde». Extrait de De notre servitude involontaire. Editions Agone. 8 euros.
  • (2). «Pendant le jour, il n’y a rien de plus facile que de jouer au type qui s’en fout, mais la nuit c’est une autre affaire». (Ernest Hemingway).
  • (3). «Qu’est-ce qu’une pensée qui ne ferait aucunement mal ?» (Gilles Deleuze).

Il m’est apparu nécessaire de remettre ce billet – déjà paru en juin 2014 – en tête de gondole. A ces difficultés du Front de Gauche (vers qui je penche et qui a mes préférences) on se doit de trouver (théoriser) explications et clarifications. Les résultats des dernières élections partielles doivent être sérieusement analysées et donner lieu à un large débat.

6 Responses to Abstention et surplace du Front de Gauche.

  1. bobcestmoi dit :

    c’est très simple

    y a ka ……… changer de peuple

  2. Un partageux dit :

    Se soucier par exemple de laïcité — que quasi personne ne met en cause dans une société où les religions ne représentent que peu de gens — occulte les difficultés matérielles d’un nombre toujours plus grand de nos concitoyens dont nos « responsables du FdG » ne parlent que trop peu ou trop mal. On pourrait fort bien retourner le compliment de ta touiteuse et écrire que nos « responsables FdG » persistent à ne pas vouloir comprendre malgré les nombreuses leçons / tannées, pas seulement électorales, administrées avec constance par un peuple diablement obstiné à faire preuve de pédagogie auprès d’eux… Ce sont les « responsables » qui sont fautifs et « ne font pas l’effort » de se mettre dans la peau du gars qui misère avec 430 euros par mois, dans la peau de la mère seule qui galère entre boulot mal payé à horaires explosés et les gosses. Et qui souffrent aussi de toute la détresse symbolique qui se marie si bien avec les manques matériels.

    En raison de ma conformation personnelle du poignet j’insiste sur d’autres points qui me semblent aussi très importants. Mais ça ne m’empêche pas d’applaudir tes propres arguments même si je les écrirais fort différemment. Tes trois systèmes mériteraient chacun de longs développements… ;o)

  3. Je souscris entièrement à ton analyse.

    Dans une analyse du premier tour de la législative partielle du Doubs, Corbière (http://www.alexis-corbiere.com/index.php/post/2015/02/02/Une-gr%C3%A8ve-civique%E2%80%A6-qui-pour-l%E2%80%99instant-fait-le-jeu-du-FN) montre que les gros scores du FN tiennent plus à la mobilisation de son électorat qu’à sa progression en termes de voix. Le PS lui perd plus de 60 % des voix. Le FDG stagne.

    Tant que le FDG ne changera pas de discours – sur la forme – ni ses pratiques, ni son militantisme, ni ceux qui le représentent, et par conséquent sa nature même, il ne pourra pas espérer convaincre et mobiliser. Maintenant, pour avoir abandonné le militantisme, je me sens un peu donneur de leçons alors que je devrais essayer de mettre en pratique. Peut-être que le renouvellement des têtes, des pratiques et l’émergence d’une mouvement nouveau viendra d’une lutte sur une ZAD ?

    Par ailleurs, on devrait regarder ce qui se passe en Espagne, et le décalage entre Podemos, force nouvelle, et Izquierda Unita, coalition traditionnelle de la gauche de la gauche genre FDG : deux trajectoires différentes et de pratiques différentes pour deux forces qui portent pourtant quasiment les mêmes idées. Je crois que c’est une leçon pour le FDG. Les accords de partis peu représentatifs au sommet, la guerre des chef lassent sont d’un autre temps.

    J’ai lu, dernièrement, la misère du monde. Une étude datée, mais toujours valable, du populo et de sa relégation par cette société capitaliste, tertiaire, médiatisée, et du loisir qui s’approprie les mots de ses adversaires pour mieux les vider de leur sens.

  4. BiBi dit :

    @despasperdus
    Tu n’es nullement donneur de leçons. Toute contribution est positive. Autrefois, proche du PCF, et amoureux d’une communiste qui venait d’un milieu grand-bourgeois, on nous taxait tous les deux d' »aristocrates égarés » 🙂 Hier l’ouvriérisme. Aujourd’hui, cette crainte – moins forte, je le reconnais – des mouvements spontanés des masses, traduits aussitôt en raisonnements petit-bourgeois !
    Alors que la dégradation de vie s’accélère, il y a une fatigue audio-visuelle. Dans « notre » gauche, on surestime les passages télé et radio par exemple. On n’a pas assez analysé cette puissance-là ( on la décrie mais on y participe et on alimente son côté people). Quand j’écoute Bourdieu et Deleuze sur la télé, je me dis que nos reflexions sur cet Appareil sont au niveau zéro.A t-on oublié que TOUS les Médias pendant la campagne européenne étaient pour l’Europe libérale ?
    Mais il y a à espérer : Podemos, Syriza même si ils sont aussi porteurs d’illusions, de manques.
    Les masses sont inventives, imprévisibles et dotées de vive intelligence. Par exemple en s’abstenant massivement pour protester.
    Tant de chose à dire aussi sur les trois « ateliers de production idéologique » que je re-cite ici :
    1. le système scolaire et universitaire
    2. le système médiatique d’information-communication et
    3. le système politique de la démocratie représentative.

    Bibien à toi.

  5. BiBi dit :

    @Un partageux
    Oui, la misère.
    Dans mon boulot, elle t’explose à la gueule tous les jours. Jeunes en déshérence sur qui tu n’as guère de prise ( No future) sauf l’acharnement à déplacer un peu leurs représentations du Monde en proposant, « innovant », construisant de misérables projets. En faisant découvrir textes et poésie etc.
    Et puis hors-champ professionnel, toujours cette misère, ces impossibles fins de mois, ces pleurs, cette rage contenue et explosive. Des témoignages de 2011 mis en billet ici, toujours d’actu. Plus que jamais.
    http://bit.ly/1dhph2t

  6. Ton billet m’a incité à contribuer au débat.

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