Vers un fascisme « ordinaire » ?

 Heartfield 2

Tout se passe comme si les leçons sur les plus terribles moments de l’Histoire humaine n’avaient pas été tirées. Résumons pourtant les arguments des Partis d’Extrême-Droite ici et ailleurs : La Démocratie ? C’est «Ferme ta gueule et marche droit». Le seul objectif ? Le «Lager». Les paroles si douces de leur Chef & Cheftaine ? Des rodomontades qui te mettent le couteau sous la gorge et te traînent jusque dans les wagons et les trains.

Je viens de finir le livre de Hans Fallada («Seul dans Berlin»). Si tu veux savoir, lecteur et lectrice, comment l’Allemagne (et Berlin) de 1933 à 1945 vivait à l’époque des Loups, tu cours acheter le livre de Hans Fallada en Folio.

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 Hans Fallada a fini d’écrire son livre en 1947. Il nous conte l’histoire des occupants d’un immeuble du 55 Rue Jablonski à Berlin au moment où l’armée allemande de 1940 triomphe en France. Dans cet immeuble où vit la petite populace, on croise une juive qu’on tentera de voler et qu’«on» poussera au suicide, une famille dans laquelle le fils aîné grimpe dans la hiérarchie gestapiste et toute une pléiade de personnages qui tentent de vivre au quotidien. C’est plus particulièrement un couple (Otto et Anna Quangel) que l’auteur va suivre pas à pas dans leur volonté de résister. Tous deux écrivent des cartes postales avec libellé anti-nazi au dos et ils organisent leur temps de façon à les déposer au hasard, dans les immeubles de Berlin, rêvant ainsi à une mobilisation générale. Mais l’ogre nazi et ses sbires veillent : la Gestapo est à l’affût du moindre mot, du moindre geste.

Hans Fallada

Rien de plus convaincants que ces passages que j’ai sélectionnés dans ma lecture :

 Le père annonce à sa femme ce que fait son bon fiston Karlemann sur le front russe : «Sur une photo, on voit ton Kalermann tenant par une jambe un petit juif de trois ou quatre ans et lui brisant la tête sur le pare-chocs d’une voiture».

La peur, la suspicion, le danger permanent. Frau Kluge a démissionné du Parti : «Elle devait pourtant bien savoir qu’une démission du Parti, dans ces conditions, pouvait lui coûter sa situation à la Poste ?… Bien plus, en voulant quitter le Parti tout en refusant de donner les motifs de sa décision, elle deviendrait politiquement douteuse, catégorie pour laquelle on avait créé les camps de concentration».

Ah l’ambiance à Berlin ! «Ce vendredi-là, l’Elysée, le grand dancing de Berlin-Nord, offrait un aspect qui devait réjouir le cœur de tout allemand normalement constitué : un vrai parterre d’uniformes. La Wehrmacht était là (…), chemises brunes des S.A., chemises plus claires de la Jeunesse Hitlérienne, Organisation Todt et Service du Travail, dirigeants politiques appelés «faisans dorés» en jaune d’or (…) Il y avait là de nombreuses jeunes filles avec la Fédération des Jeunes Filles allemandes (BDM), le Service du Travail, l’Organisation Todt (…)Quelques civils étaient complètement noyés dans cette foule chamarrée. Ici comme partout dans les rues et dans les usines, les civils ne signifiaient pas grand-chose ; le Parti était tout, le peuple n’était rien».

Faut-il commenter ? «En 1940, le brave Harteisen  [acteur naïf, bientôt en disgrâce auprès de Goebbels]  n’avait pas encore compris que chaque nazi était toujours prêt à enlever non seulement la joie de vivre, mais encore la vie tout court, à tout Allemand qui avait une opinion différente de lui».

  Les résistances basiques (de la pensée), la résistance nécessaire mais impuissante dans ce dialogue : 

  – Ils ont tous peur, trancha l’homme à la chemise brune avec mépris. Et pourquoi ? Ils ont pourtant beau jeu : ils n’ont qu’à faire ce que nous leur disons.
– C’est parce que les gens ne peuvent pas s’abstenir de réfléchir. Ils croient toujours être plus avancés en réfléchissant
 ».

  On touche au plus fondamental : nul droit à avoir un espace de retrait personnel. Ainsi de Trudel et Karl qui s’aiment : «C’est ainsi qu’ils se réfugiaient de plus en plus dans   le bonheur d’aimer. Ils n’avaient pas encore compris que cette Allemagne en guerre ne tolérait plus la moindre vie privée».

  A l’usine, le langage est surveillé. Répression sans états d’âme. «Bavarder était devenu très dangereux. Onze ouvriers, parmi lesquels deux hommes qui avaient plus de vingt ans      de présence dans l’usine, avaient disparu tour à tour sans laisser de traces. Jamais on n’apprenait ce qu’ils étaient devenus; c’était une preuve de plus qu’ils avaient un jour prononcé un  mot de trop, qui les avait conduits en camp de concentration».

  Le SS Laub, commissaire, archétype de la SSaloperie politique : «Il agissait selon le principe de l’époque : tout le monde avait quelque chose sur la conscience; il suffisait de    chercher assez longtemps pour obtenir un résultat».

  Les dégâts vont si loin dans les familles que des parents se désolidarisent de leur fille : «Deux vieilles gens croient en cet homme [Hitler] au moment où il remet leur fille au bourreau. Nul dote ne peut glisser en leur cœur, c’est leur fille qui est mauvaise plutôt que le Fürher».

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Extreme

 Aujourd’hui, il paraît que le Front National a changé et que, pour le combattre efficacement, il faut le dédiaboliser et dialoguer avec lui. Il paraît qu’il faut donner la parole à ces pauvres choux en chemises brunes qui se lamentent d’être hors système. Il faudrait en plus écouter attentivement leurs arguments de «vérité», leur laisser toute la place qu’ils méritent. Il faut aussi – à l’instar de Thierry Ardisson dans son émission «Salut les Terriens» – inviter leur Cheftaine à papoter et sous vos applaudissements s’il vous plaît.

Bilan : près de 70 ans après l’extermination systématique, on assiste à un dialogue courtois entre une sommité télévisuelle et une femme politique parfumée à l’odeur des Camps. Nice isn’t it ?

3 Responses to Vers un fascisme « ordinaire » ?

  1. Robert Spire dit :

    C’est toujours le peuple qui paie les erreurs des industriels et des banquiers. Ces derniers ont voulu Hitler contre la volonté du peuple allemand dont les 2/3 des électeurs avaient voté contre les nazis en 1932. Tu as raison Bibi, légitimer le FN, c’est autoriser toutes les aides qui amènerons ce parti au pouvoir.

  2. lediazec dit :

    Là, je note. Je vais le lire, ce bouquin. Bien que, par époque de crise et par effet de miroir, par les infos qui nous parviennent, nous sachions qu’on nous fait prendre des vessies pour des lanternes. Le bourgeois, le politicard basique, le trichard de toujours, cachant leur indigence ou leur complicité avec la haute finance, dont ils sont les débiteurs, laissent volontairement (ce qui est ignoble) pourrir le tout, qui pour sauver une élection, qui un fonctionnariat…, ne font que perpétuer la chaîne des saloperies étatiques.
    Dans 50 ans, en ouvrant les archives, nous sauront ce qui s’est magouillé aujourd’hui !…

  3. Assurément un grand roman. Sur le quotidien en Allemagne, j’ai retrouvé cette ambiance dans la LTI de Victor Klemperer.
    Nous vivons une époque de relativisme historique et de crise organisée du système capitalisme où prospère l’extrême droite.

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