Écrire, se vendre, se laisser traire.

BiBi ne se souvenait plus du Livre du Rire et de l’Oubli de Milan Kundera. Au hasard de ses cahiers griffonnés, il a retrouvé le relevé d’un des passages de cet essai. La réflexion de l’écrivain tchèque portait sur la posture énigmatique de l’écrivant et sur sa fierté (dérisoire). Il y avouait son double désir, sa double casquette : être à la fois un homme sans particularités et être le meilleur des camelots du Marché.

« Aucune raison d’être fasciné par notre propre petite personne. Il ne sera jamais question d’entamer ici une quelconque autobiographie puis d’en extraire des bribes comme le paysan pourrait le faire en soutirant le lait des mamelles de sa vache passée à la traite.

Je ne veux pas nourrir le Monde.

Pour le dire encore plus net, vous  ne saurez rien de moi hormis les caprices impersonnels du Désir qui me traversent. Ceux-là évidemment n’ont pas de prix, ils ne peuvent ni être livrés à l’achat, ni être destinés à la vente. C’est qu’avec ces désirs increvables de Bonheur, il n’est pas de marché possible, pas d’étals et pas d’étalages revendiqués. Ceci est affaire privée et d’abord privée de Lecteurs.

Mais comme nous le savons tous, l’Humain est retors : il ne dit jamais tout à fait ce qu’il fait. Il dit oui pour faire non. Ainsi, à force de dénégations,  voilà le même qui insiste : «Non, non et non, vous ne saurez rien de moi !» mais derrière lui, on entend les échos en escalier : « Venez donc à moi, accourez, venez voir le petit veau qui va naître. Il sera plus beau encore, plus fort encore, plus original encore.»

Irez-vous apercevoir l’Aurore ? Non, juste ses reflets. Ou entendre le Tumulte ? Non, juste ses échos. Irez-vous découvrir des Mondes nouveaux ? Non vous ne verrez passer qu’une minuscule comète.

Reste quand-même une petite fascination pour notre toute petite personne. On est fier de faire le fier. Pour se distinguer avec profit, on fait le camelot dans un coin du marché. On exhibe ses fruits. On cherche à intéresser coûte que coûte un lecteur venu faire un marché : troquer avec lui un livre contre une livre. Gage pour pouvoir recommencer demain.

Recommencer à quoi ? A écrire. A se vendre. A se laisser traire ».

2 Responses to Écrire, se vendre, se laisser traire.

  1. tilly dit :

    Merci Bibi, je vais lire-relire-et-rerelire ce texte terrible et magnifique avant d’aller jouer à la marchande vendredi prochain, où tu sais 😉

  2. BiBi dit :

    @Tilly
    Je tâcherai d’être à l’heure… pour l’heure de la traite ! 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *