Arnaque à la petite semaine (Cuba 3).

Les cubains doivent faire avec une double monnaie : la moneda national  (peso) et la monnaie convertible (peso convertible ou CUC, réservé au touriste). La valeur du CUC est évidemment supérieure à celle du peso cubain (1 CUC vaut 25 pesos cubains). Bien entendu, on demande à tout touriste de payer en CUC (1 CUC vaut 0,80 euro). Enfin, pour comprendre les problèmes qui vont se poser à l’étranger qui arrive et qui fait ses calculs de change, les proportions sont les suivantes : le salaire mensuel moyen d’un cubain se situe entre 250 à 500 pesos cubanos (soit un peu plus de… 15 euros).

Du coup, les denrées rares comme le savon valent extrêmement cher pour le cubain (0,55 CUC soit 12 pesos). Un détergent coûte 1 CUC, un dentifrice 1,50 CUC etc. Pour une entrée en boite chic, le cubain doit débourser 5 CUC (Autant dire qu’il n’ira pas, préférant se rendre dans les Casas de la Cultura pour danser et chanter). Par chance pour les cubains (et moi), dans ce mois d’Octobre, il y a le Jour de la Fête de la Culture et de la Musique (21 octobre), équivalent de notre Fête de la Musique.

*

Apollo (appelons-le ainsi) est assis sur un banc de la Rampa, sur cette Place de Vedado (quartier de la Havane), en face du Cinéma Yara. Il m’accoste au banc voisin, un roman français sous le bras. Il a 28 ans, me montre sa carte d’identité, dit qu’il étudie à l’Alliance Française, me parle d’un vieux professeur qui y dispense des cours à 5 CUC le mois. Il est auditeur libre. Il ne s’étend pas sur son «métier» mais il aime, il travaille à parfaire la langue française. Il me montre le roman qu’il est en train de lire, parle le français avec des fautes mais c’est correct dans l’ensemble. Il veut/va aller au Canada (faire cocinero), y emmener sa future fiancée de Camaguey (elle va finir cette année sa licence de psychologie). Il ne s’étend pas sur ses finances (mais la vie est dure etc). Il se propose de me faire la visite de l’Université toute proche. Pourquoi pas ?

On déambule dans la grande Université de Vedado, on s’arrête dans le département Maths puis dans celui de Philosophie. On se croirait sur un campus américain avec bâtiments à colonnades (photo). Il est midi, c’est mon avant-dernier jour, j’ai mes derniers CUC à dépenser. Je l’invite à boire un coup. Il m’emmène, réjoui, dans le Café Universitaire où, me dit-il, les prix sont moneda national.

Deux Cuba libre puis deux plats de viande de porc avec riz sont commandés par oral car la serveuse ne me présente pas la carte du menu. Apollo a commencé à me vendre son laïus dans un français beaucoup plus approximatif. Il me raconte qu’il est babalao (prêtre de la SantaRia), me montre sur son portable chic (cadeau d’un ami marseillais) les versets de sa religion quand la serveuse – en fin de repas –  vient enfin nous (me) donner la cuenta. Elle est nerveuse, veut vite encaisser. Mais je veux prendre mon temps avant de payer.

Cette arnaque me rappelle celle dont j’avais été victime dans les années 80 à Prague. J’avais lié sympathie avec un trentenaire qui m’avait demandé de le suivre dans un café underground pour boire de la pivö, meilleure que la bière officielle, plus alcoolisée. Au moment de payer les nombreux verres, je m’étais rendu compte – trop tard – que la somme (pas astronomique pour moi) valait un petit trésor pour lui et sa copine… serveuse du bar. Bah, j’avais payé, ne réalisant que le matin suivant.

La serveuse cubaine s’impatientait toujours à côté de moi pour encaisser, ayant manifestement peur que je sois horrifié par la note à la hausse (24 CUC soit l’équivalent de 2 salaires mensuels ou à peine 30 pesos cubanos pour un étudiant) qu’elle m’avait présentée.

Apollo était lui aussi subitement tendu. Je lui demandais de se rapprocher de moi. Je regardais la serveuse en m’adressant à Apollo en espagnol : «Ton amoureuse est très jolie et je sais que tu vas partager le bénéfice de ce repas avec elle mais je dois encore te dire deux/trois petites choses : 1. L’Alliance Française a deux sièges à La Havane et tu m’as donné une mauvaise adresse. 2. Au Canada, on parle un français particulier et pour un gars qui veut aller travailler au Québec, il faudrait quand même que tu le saches et puis 3. Si tu veux, Apollo, parfaire ton arnaque et continuer à duper les touristes français avec ton roman sous le bras, il faudra impérativement parfaire et bosser beaucoup plus ton français. Tu n’es ni prêt pour le Canada ni prêt pour cette arnaque».

Sur ce, je lui ai demandé de gentiment dégager, j’ai appelé la serveuse et lui ai laissé les 24 CUC. J’ai repris un Cuba libre et je l’ai bu, seul. Et évidemment, je n’ai pas laissé un CUC de plus pour le service.

3 Responses to Arnaque à la petite semaine (Cuba 3).

  1. Beau billet. Par contre j’ai pas compris 24 cuc c’est combien d’euros?

  2. En gros 18 euros en fait

  3. BiBi dit :

    @Romain Blachier
    Content que tu viennes me lire malgré nos divergences 🙂
    Au change, un CUC vaut 0,8 euros. Ce qui fait 19 euros pour 24 CUC.
    Rappel : un salaire mensuel moyen à Cuba est à 15 euros, soit 16-17 CUC.

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