Jean Genet, ce « cul-de-Paris ».

J’ai décidé de parler de la Racaille à nettoyer au karcher, de tête brûlée, de Blouson noir, de Graine de Crapule. Jean Genet, le poète-écrivain, fut de ceux-là. Je fis un détour par Larache (Maroc) pour découvrir sa tombe tellement ses textes m’avaient impressionnés dans mes débuts de tout jeune lecteur. Genet avait été enterré non loin du cimetière espagnol. Une simple pierre avec deux gros cailloux sur le côté. Une tombe face à l’Océan. Un habitant de Larache me raconta qu’il avait connu l’écrivain (très humble) et qu’il le rencontrait souvent au Café… Cervantès (!) sur la Place centrale qui ressemble un peu au centre-ville des villages mexicains.

Un jour, un ami de Jean Genet avait emmené l’écrivain du côté de Fès pour enterrer une tante proche et très âgée. Jean Genet avait été fasciné par la pierre tombale faite de terre de remblais et de deux grosses pierres informes. Cela avait tellement ému Jean Genet qu’il s’était tourné vers son ami et lui avait fait promettre de faire la même chose pour sa pierre tombale. Hasard de cette histoire : le cimetière de Larache où fut enterré Genet selon ses désirs était ceint d’une ancienne prison et d’un bordel aujourd’hui fermé.

Lisant le numéro du Journal des Jeunes de janvier 2012, je suis tombé sur l’intervention de Pierre Verdier retraçant l’historique des enfants (dé)placés (1). L’avocat des mineurs y parlait des terribles déplacements de Jean Genet en reprenant le témoignage de l’écrivain, extrait du Journal du Voleur (2) (écrit en 1945). Ce livre ne sera pas publié chez son fidèle éditeur lyonnais Marc Barbezat (celui-ci n’avait pas assez d’argent) mais sa parution se fera sans nom d’éditeur, en livre de luxe – Skira en 1946.

Marc Barbezat soulignera la puissance exceptionnelle de création de Genet entre 32 et 36 ans (1942-1946). En si peu de temps, Genet écrivit 5 grands romans (Notre-Dame-des-Fleurs, Miracle de la Rose, Pompes Funèbres, Querelle de Brest et… Journal du voleur ). Ce dernier texte reste un témoignage autobiographique très fort :

«Je suis né à Paris le 19 décembre 1910. Pupille de l’Assistance Publique, il me fut impossible de connaître autre chose que mon état-civil. Quand j’eus 21 ans, j’obtins mon acte de naissance. Ma mère s’appelait Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. J’étais venu au monde au 22 de la rue d’Assas. (…) Je saurais donc quelques renseignements sur mon origine, (…) et je me rendis rue d’Assas. Le 22 était occupé par la maternité. On refusa de me renseigner».

Armé du seul matricule 192102, Genet fut coupé de tout lien avec sa mère et sa famille. L’Etat recevait «des droits de puissance paternelle dans toute leur plénitude». Jean Genet sera alors confié à une famille nourricière dans le Morvan dont il ne se plaindra pas directement. Il écrira pourtant :

«Être un enfant de l’Assistance Publique, ce que c’était, personne ne pourra vous le dire. Les autres ne se rendent pas compte. Ils croient qu’on était tous élevés de la même façon, mais ce n’était pas vrai. Nous étions à part. Sauf en classe peut-être, entre camarades… Mais dans le village, ce n’était pas la même chose. Nous n’étions pas habillés comme les autres enfants. Quand ils parlaient de nous, les gens ne disaient pas du tout les « pupilles » ou «les petits-Paris» ( je n’ai jamais entendu cela). Ils disaient les «culs-de-Paris». c’était le nom courant. On disait : «ce petit, c’est un cul-de-Paris».

«Dès qu’il y avait quelque chose dans le pays, nous étions accusés tout de suite. S’il y avait un feu, par exemple, – et c’était fréquent -, c’était tout de suite de notre faute. On nous appelait, en patois du Morvan, les «metteux-de-feu»(…). Même pour les enfants de chœur, il y avait deux classes : la première était composée des fils de famille qui accompagnent les mariages et les enterrements des gens importants. Et la deuxième regroupait les «culs-de-Paris» qu’on appelait lorsqu’il s’agissait de gens pauvres ou de quelqu’un qui était mort pendant la nuit. Et nous autres, personne ne nous donnait de petites pièces, sauf parfois le curé».

A son départ du Morvan, Genet fut envoyé dans un centre d’apprentissage de l’Assistance Publique : l’école d’Alembert à Montévrain en Seine et Marne. Il devait y apprendre la typographie. Mais 15 jours après son arrivée, Genet s’enfuit. Après un passage à l’hospice près de Nice, puis à l’Hospice des Enfants assistés, rue Denfert-Rochereau à Paris, il sera confié quelques mois à un musicien qui l’accusa de vol. Puis, après quelques séjours en patronage, à la prison de la Petite Roquette, à la clinique neuropsychiatrique du Docteur Heuyer, il sera confié à la colonie agricole de Mettray.

A l’origine, en 1840, Mettray accueillait 600 détenus. Quand Genet y arriva en 1926 (il a 16 ans), il n’y en avait plus que 300. C’était un lieu à la discipline sévère et parfois sadique avec un système qui tournait autour de caïds. L’idée était que le contact avec la nature remédierait à la dépravation, réputée citadine. On ne pourra qu’être révolté à la lecture des descriptions de Jean Genet. Les colons de Mettray étaient formés pour devenir de bons colons en Afrique du Nord. On ne leur enseignait que les rudiments de la lecture et de l’écriture et on les faisait bosser 13 heures par jour dans les champs. Ces bagnes d’enfants furent supprimés en 1946. Plus tard, Genet fut arrêté pour vol (1943) et envoyé à la prison de la Santé puis à la Caserne des Tourelles. C’est grâce à Jean Cocteau et à Marc Barbezat (3) qu’il réussira à (s’) en sortir. L’éditeur lyonnais publia alors Notre-Dame-des-Fleurs dans le numéro huit de l’Arbalète, numéro qui lança la «carrière» de Genet.

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Sources :

  • (1)  Dossier «L’enfant (dé)placé». Pierre Verdier. Journal du Droit des Jeunes (Pages 35-43).
  • (2)  Jean Genet. Journal du Voleur. Folio.
  • (3) Jean Genet. Lettres à Olga et Marc Barbezat. L’Arbalète.

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