Aujourd’hui, c’est #vendredilecture.

Ce matin, retour back home, après la manifestation d’hier. Et avant celles à venir. Lénine disait « Prends un livre, c’est une arme ». Il avait diablement raison. Aujourd’hui, c’est #vendredilecture.

Réveillé, je vais à droite, je vais à gauche. Je passe de l’étagère du haut à celle du bas, tire au hasard des livres déjà lus ou en instance de lecture. Tout se mêle : ce sont là les dépôts de mon grand Roman intime. Tout s’y bouscule. On ne se souvient même pas qu’un jour, sur le bord d’une plage ou dans le fond de son lit, on avait ouvert ces petits ou ces grands volumes. Une seule chose m’avait alors retenus : pas vraiment les mots ou quelques lignes ou encore quelques paragraphes, non.

M’est restée une seule chose dont on trouve encore trace dans mes chairs et dans ma mémoire soudainement redevenue à vif : la brûlure et sa cicatrice que chacun de ces ouvrages m’a laissé.

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Dans le numéro de Télérama du 4 au 9 décembre, extrait d’un entretien avec l’historienne Ludivine Brantigny :

« Je crois à l’objectivité des sciences sociales, pas à leur neutralité. L’objectivité réside dans la rigueur de la méthode : travailler sur les sources, les croiser avec un regard critique et la volonté de comprendre le point de vue des divers protagonistes. C’est ce qui permet de bien faire son métier, honnêtement, avec intégrité pour celles et ceux dont nous faisons l’histoire ».

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A l’heure du préfet Didier Lallement, un petit passage extrait du livre d’Annie Lacroix-Riz sur Maurice Papon, probablement idole de ce même Lallement :

« La tâche reste à accomplir mais les archives administratives et policières nous permettent d’ores et déjà de comprendre que Papon ait pu, sans jamais quitter « la Préfectorale » diriger après la Libération la répression anti-communiste et anti-algérienne comme il avait, à Bordeaux, pendant l’Occupation, organisé la chasse aux « terroristes » et aux juifs. Papon, contrairement à l’image qui règne en France, ne fut pas l’exception, mais la règle ».

Ce qui explique l’incroyable photo ci-dessous où l’on voit Simone Veil, déportée à Auschwitz, responsable de la Santé dans le gouvernement de Giscard, serrer la main à Maurice Papon himself, Ministre du Budget de l’époque… siègeant donc tous les deux dans un même gouvernement !

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Dans un petit livre d’entretien (1971) avec Francis Bacon :

Quel est votre rythme de travail, de création ? On a dit que vous avez eu de longues périodes au cours desquelles vous n’avez rien produit…

– J’ai eu de longues périodes où je ne pouvais pas travailler, alors je passais mon temps dans les bars ou dans les salles de jeu. Mais c’était simplement que je ne pouvais pas travailler.

Et, à présent, le travail vous absorbe ?

– Oui, quand on est près de la tombe, [Il décèdera en 1992] il faut accélerer le travail. Je suis peut-être ambitieux, mais j’ai toujours envie de faire quelque chose d’extraordinaire.

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Louis-René des Forêts chez Fata Morgana (« Voies et Détours de la fiction ») :

« Faute de pouvoir s’intégrer à aucune communauté, l’écrivain ou l’artiste est plus ou moins en porte-à-faux dans le monde ; qu’il le veuille ou non, son activité est asociale. Il est vrai que la littérature est souvent liée à la nostalgie de changer – plus que l’ordre des mots – l’ordre établi. Dans l’œuvre, qui est plus ou moins l’enjeu de nos contradictions, s’affirme le désir de pouvoir, sans rompre avec elles, entrer en communication avec le monde. Toutefois, s’il faut bien se garder de donner le même sens à l’épithète « révolutionnaire » selon qu’il s’applique à une œuvre ou à une action politique, on ne saurait nier qu’il définit dans les deux cas cette volonté qui les anime de transformer le monde et qu’elles tendent chacune à réaliser selon leurs moyens intrinsèques, en suivant des voies parallèles – l’une devançant parfois l’autre – mais toutes les deux toujours à leurs risques et périls ».

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Un petit livre retrouvé d’Henri Michaux chez L’Herne (« Poteaux d’Angle » 1971). Des aphorismes comme ceux-ci :

« C’est à un combat sans corps qu’il te faut préparer, tel que tu puisses faire front en tous cas, combat abstrait qui, au contraire des autres, s’apprend par rêverie ».

« Celui qui n’a pas été détesté, il lui manquera toujours quelque chose, infirmité courante chez les ecclésiastiques, les pasteurs et hommes de cette espèce, lesquels font songer à des veaux. Les anticorps manquent ».

« Il faut un obstacle nouveau pour un savoir nouveau. Veille périodiquement à te susciter des obstacles, obstacles pour lesquels tu vas devoir trouver une parade…. et une nouvelle intelligence ».

« Dis, le soc de charrue n’est pas fait pour le compromis ».

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Charles Juliet rapporte ce fait que, pendant la guerre, dans cet arrière-pays des Pyrénées-Orientales, Freunlich, peintre juif allemand, s’y était réfugié, loin, très loin, pensait-il de toute menace.

«  Mais dans ce village vivait le chef de la Milice qui opérait dans la région. Cet homme a dénoncé Freundlich qui, arrêté, déporté, a disparu dans un camp d’extermination ». Il y a quelques années, un ami peintre de Charles Juliet alla s’établir dans ce village où il avait passé toute son enfance. « Il y a mené une enquête, écrit Charles Juliet, pour savoir qui avait été le délateur. Il a fait alors cette découverte aussi inattendue que douloureuse : le salopard qui avait envoyé Otto Freundlich à la mort, n’était autre que son grand-père, un homme qu’il a bien connu et aimé » (p.361 Gratitude. Journal IX. 2004-2008).

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Et puis que serait une vie de lecteur sans quelques fulgurances mélancoliques de Fernando Pessoa (« Le Livre de l’Intranquillité« ) ?

« Je donnerais beaucoup pour un chemin conduisant d’un lieu d’où personne ne vient, vers un lieu où personne ne va »

« La beauté des ruines ? Celle de ne plus servir à rien ».

12 Responses to Aujourd’hui, c’est #vendredilecture.

  1. Robert Spire dit :

    Simone Veil et Papon, membres d’un même gouvernement. A ce moment là, Mme Veil ignorait le passé vichyste de Papon mais pas celui de préfet de police de Paris. Les différents gouvernements « centristes » de Giscard comprenaient diverses personnalités issues de l’extrème droite…
    L’historien Pierre Serna dans son dernier livre (L’extrème centre…) écrit sur l’histoire « …des bourgeois triomphants qui veulent tout en même temps paraître bons et philanthropes tout en étant de redoutables prédateurs dans leur profession. C’est l’essence même de cette classe telle que la définit Fernand Braudel dans son mode de domination depuis le XVIe siècle et dont l’historien Peter Gay a brossé un tableau sans concession. Emmanuel Macron n’est pas un mystère. Il s’inscrit dans une longue histoire de la reproduction sociale et de l’ambition de ceux qui, ayant du talent, désirent le transformer en capital social et économique. Ainsi va le monde libéral. Il n’y a aucune exception macronienne en ce sens. »
    Je ne connaissais pas Peter Gay , je me suis plongé dans son livre « La culture de la haine. Hypocrisies et fantasmes de la bourgeoisie de Victoria à Freud ». Passionnant.

  2. AgatheNRV dit :

    Le simple bonheur de lire, de te lire à ce moment d’horreur à l’évocation de cette poignée de main…

  3. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Je note le livre de Peter Gay. Oui S.Veil ignorait le passé collabo de Papon et ses exactions. Mais c’est justement ça qui montre à quel point il n’y a pas eu du tout « épuration » à la fin de la guerre. Ni dans la Police ni dans la magistrature. Quoiqu’en ait dit alors Radio-Londres qui clamait qu’il y aurait « Vengeance sur les Traitres ». Hé bien, pas du tout, du tout. C’est cette double tendance objective (une rescapée juive des camps se retrouvant dans un même gouvernement avec un sale type qui a tant de crimes sur sa conscience) qui fait l’ironie de l’histoire des Dominants.

  4. BiBi dit :

    @AgatheNRV
    Merci. Je rougis car – question lectures – tu es au Top ! 🙂

  5. Un partageux dit :

    La seule véritable épuration a été sauvage. Je songe à un nobliau monarchiste qui s’était rallié au nazisme durant la guerre. Une guerre fort lucrative pour le brasseur d’affaires qu’il était aussi. Dans les tout premiers jours de la Libération, si on peut nommer ainsi les jours qui ont suivi le Débarquement, des résistants normands l’ont suspendu à un arbre du parc de son château…

  6. Les personnes proches du centre sont les moins attachées aux pratiques et aux valeurs de la démocratie d’après D. Adler, un chercheur américain.

  7. […] « L’égalité, c’est pour les pauvres, pas pour les riches. » […]

  8. BiBi dit :

    @UnPartageux
    C’est vrai qu’on peut trouver des cas qui font forte impression. Mais non, dans l’ensemble ce n’est absolument pas la sauvagerie qui a primé dans l’épuration qui… n’a pas eu lieu. Annie Lacroix-Riz dans son livre « La Non épuration » (Armand Colin) démonte cette histoire de sauvagerie qui a pris pied avec l’épisode des femmes tondues dont les historiens dominants ont expliqué que c’était une honte pour ce qu’elles avaient fait (« coucher avec des allemands »). Or ce n’est pas pour cette raison du tout (autrement on aurait tondu les prostituées). Elles ont participé ACTIVEMENT à la dénonciation de maquisards, elles ont joué les espionnes au sein des maquisards, ont fait venir les miliciens et les gestapistes pour les fusiller.Enfin, on colporte beaucoup sur cette soi-disant « sauvagerie » qu’on met sur le dos des Communistes enragés. Encore un mensonge. Archives à l’appui, ALR montre qu’au contraire la population française a attendu (en vain) des procès pour les Collabos qui n’ont jamais eu lieu. Nombre de déportés revenants des camps ont constaté amèrement qu’on n’avait guère touché aux délateurs qui les avaient envoyés en camp. Enfin, les FTP – dont on ne cesse hélas de diminuer l’influence dans l’historiographie dominante – s’attaquaient non pas aux notaires, pharmaciens et aristocrates ( même si tu me fais part de cet exemple non exemplaire) mais s’attaquaient stratégiquement aux communications et voulaient faire peur aux allemands car la France était devenu – avec miliciens et gestapistes – à l’égal de la repression dans les contrées de l’Est. De cela aussi, on ne parle guère, les historiens dominants faisant croire que la Résistance intérieure n’avait été qu’un bonus pour les Américains qui avaient débarqué. Ce qui est faux. Voilà.Voilà.

  9. Robert Spire dit :

    Benoît Collombat (journaliste) qui a enquêté sur l’histoire de l’UIMM, nous a rappelé comment cette fédération patronale a réécrit sa propre histoire après guerre (livres et articles de journalistes et d’historiens complaisants). Et comment elle dut revoir son ambition à la baisse quand elle décida de publier un « Livre d’or des patrons résistants »…finalement abandonné car « l’UIMM n’avait alors trouvé qu’une centaine de patrons résistants …sur 15000 adhérents. »
    L’historienne Sonia Combe dans « Archives interdites: les peurs françaises face à l’histoire contemporaine » (1994), raconte ses difficultés pour accéder à certains fonds d’archives privées des grandes compagnies industrielles et bancaires. Toute demande est un parcours du combattant pour obtenir les dérogations entre censures et disparitions de documents.
    Une bonne partie des archives de l’UIMM a brûlée dans l’incendie criminel de hangars du Crédit Lyonnais au Havre en 1997.
    https://www.liberation.fr/societe/1999/01/09/credit-lyonnais-du-havre-l-incendie-etait-bien-criminel_263254

  10. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Oui on a beaucoup brûlé d’archives compromettantes. A Vichy, pendant deux jours. Oui c’est un parcours de combattant. Mais les archives d’avant 1939-1930 ont été enfin ouvertes. Voilà qui va nous montrer comment le grand patronat s’est appuyé sur les ligues en les finançant et comment il avait déjà le tandem Pétain-Laval dans ses projets.

  11. Robert Spire dit :

    Sur «La Non épuration», et avant Annie Lacroix-Riz, Robert O Paxton avait dressé un bilan détaillé et chiffré. Voir « La France de Vichy » (éd. de 1997), le chapitre 5 sur « L’héritage de Vichy ». 9000 morts mais « Une partie de l’élite est sortie indemne ». « Aucun homme d’affaire n’est passé en jugement pour collaboration aprés la guerre. »
    Bref résumé:
    – Cour des Comptes, 99% des ses membres en 1942 sont toujours en poste en 1948 et 1949.
    – Inspection des Finances: 97%
    – Conseil d’Etat: 80% des présidents et 70% des maîtres des requêtes.
    – La magistrature: 99%
    – Le corps diplomatique: 66%
    – Le corps préfectoral: 50%
    Parmi l’élite ce sont surtout les intellectuels et politiques résolument fascistes qui ont subi l’épuration. A l’assemblée nationale de 1949, seulement 14% de ses membres y siégeaient en 1938. Au Conseil de la République restaient 7% de parlementaires de 1938.
    L’amnistie de 1953 va « remettre en selle » pas mal de collabos dont certains deviendrons préfets, députés, ministres.

  12. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Oui le livre de Paxton a compté. Il est implacable car l’historien américain avait alors consulté les archives allemandes ( puisque en ce temps-là, les archives françaises – du Quai d’Orsay, archives policières etc) étaient non-accessibles. Annie Lacroix Riz explique comment le concept « épuration sauvage » est faux. Bien au contraire, la population attendait plutôt sagement que justice soit rendue après les méfaits, les assassinats des Collabos (économiques et collabo de plumes). Il faut le rappeler ( les archives et le croisement des sources le disent absolument) : l’après-Liberation a été très calme côté épuration. Les historiens dominants ont traduit cela dans l’inverse, s’emparant de l’épisode des « femmes tondues » pour faire croire à une sauvagerie qui, une fois encore, n’a pas existé. Les « femmes tondues » par exemple ne l’ont pas été parce qu’elles n’auraient fait que « coucher avec les allemands » – autrement pourquoi les prostituées n’ont pas été inquiétées ? Non, ces femmes-là ont été des espionnes, elles ont infiltré des réseaux de résistances et ensuite, elles ont amené gestapistes et miliciens pour tuer, fusiller des maquisards. Là était la sauvagerie. Prendre appui sur le « genre », crier au scandale des Rouges furieux et sanguinaires est une énième intimidation d’Historiens hélas encensés, acceuillis avec une incroyable bienveillance dans les radios et télés.

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