Elle me disait… (épisode 13).

Elle 13

*

J’aimais la voir marcher sur le sable fin de notre plage. Elle s’arrêtait devant moi, posait son sac de toile, en retirait livres, serviette, crème solaire (elle s’en enduisait le dessus des cuisses, l’entour du nombril, le bout du nez). Elle chantonnait bien sur, mais le plus souvent elle parlait, sans but, lançant à la cantonade des phrases qui semblaient voleter sur la crête des sables ou au-dessus des vagues.

J’entrepris de rassembler ses incises. Ce que j’avais perçu instantanément, c’est qu’elles allaient compter pour moi, que ses rares paroles par moi retenues seraient là, à mes côtés, de tous côtés, toute ma vie durant.

Parfois Elle s’éloignait. Elle me laissait seul, rejoignant les membres d’une équipe de volley pour d’interminables parties. J’en profitais pour ouvrir un petit carnet que j’avais acheté au Grand Bazar et tentais de consigner au plus près ses petites proses. Bercé par le flux et le reflux, j’oubliais les hourrah des volleyeurs, les pleurs d’enfants pourtant tout proches (je t’avais dit, disait la mère, de ne pas t’éloigner, les vagues sont hautes et le roulis t’a fouetté si fort, si fort qu’il t’a fait tomber, t’as vu hein) et je noircissais consciencieusement les pages de mon livret… 

Ces phrases, jadis disséminées par les vents, me reviennent aujourd’hui pleine face, toujours difficilement explicables, toujours tournoyantes mais si précises, si indispensables. Elles m’arrivent par pelletées entières ; je les retrouve, je les (re)découvre aussi, immergé dès lors dans d’interminables travaux de copiste.

Elle me disait bbb

Elle disait : «Tant de vers non notés qui s’en sont allés. Tant de proses sitôt nées, sitôt perdues».

Elle me disait : «Tu as raison: tu jures, tu maugrées, tu écris au plus vite. Et tu as encore raison de reprendre calmement toutes tes phrases».

Elle me disait  : «L’amour de la vie ne loge pas dans l’idéologie vitaliste mais dans l’étonnement et les retours des merveilleux commencements».

Elle me disait : «Tes oscillations entre signes d’allégresse et signaux de détresse traduisent ton amour de la vie».

J'aime les filles de la plage

Elle me disait : «Garde-toi du Tout Médiatique et de son envers complice : l’Artiste romantique et solitaire».

Elle me disait : «On avale trop souvent les mots sans prendre le temps de les mastiquer».

Elle disait : «Le Pouvoir se montre toujours méfiant devant les autres pouvoirs».

Elle me disait : «Le vent terrible du Désert souffle sur les mots. Tu es le buisson qui les agrippe».

Elle me disait : «Méfie-toi des grands éclairages. Attache-toi plutôt à faire briller tes petites lumières».

Elle me disait : «Pôle Nord et Pôle Sud de ton écriture : minutie et imprévisibilité».

Elle disait : «Pas de vulgarisation, pas de caricature lorsque l’Imaginaire est en jeu dans ton écriture. S’il n’est pas accessible, tant pis».

Elle me disait : «Ceux qui se racontent. Ceux qui se la racontent. Pas forcément les mêmes».

Elle disait : «Ton double devoir d’éducation : ramener l’enfant sur la route et préserver son esprit vagabond».

Elle disait : « Le recul qu’on a pris et qui fait peur : voir la bêtise qui nous cerne et ne plus pouvoir la tolérer».

Volley

Elle me disait : «L’écart infinitésimal ouvre à l’Infini. Et le rai de lumière te conduit au grand Soleil».

Elle me disait : «Chuchoter sur un slow t’en dira plus sur elle que t’chatter sur le Net».

Elle me disait : «Parler à voix basse. Ecrire à marée haute».

Elle me disait : «Les mots que tu dérobes aux Poètes de la Nuit t’aideront à vivre au jour le jour».

*

Pour écouter ce qu’elle me disait…

1/   2/   3/  

4/   5/   6/  

7/  8/  9

10/ 11 /12

3 Responses to Elle me disait… (épisode 13).

  1. Lediazec dit :

    Je lirai ça à mon retour d’Angleterre où je me trouve en cette fin d’année, là je suis pris par le temps.
    La bonne année à toi, l’ami BiBi !

  2. jostretto dit :

    «Tes oscillations entre signes d’allégresse et signaux de détresse traduisent ton amour de la vie»……peut-être…..

  3. BiBi dit :

    @jostretto
    Aujourd’hui en accord avec Elle là-dessus.
    Demain, il se peut que ce soit le contraire.
    Peut-être, dis-tu.
    Oui, peut-être.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *