Elle me disait… (épisode 10)

MeDisait 10

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Je lui parlais de mes souvenirs de plage, des châteaux de sable humide et des parties de volley-ball entre adultes. J’aimais ces disputes de grands pour un point au filet ou un service raté. Elle me parlait de ses cris de bonheur en dévalant les grandes dunes au petit matin, de cette nacre arc-en-ciel trouvée lors du reflux de la marée. Elle disait encore qu’à cet âge, elle ne rêvait pas, elle levait souvent sa tête pour regarder les nuages qui passaient et qui – se désagrégeant – ne laissaient aucune trace. Puis elle abandonnait sa lecture pour, bâton en main, dessiner sans fin des arabesques et des lettres sur le sable. Pour, disait-elle, que le temps ne soit pas perdu.

Plage

Elle me disait : «Le mal, je le garde pour moi. Les mots, je te les offre».

Elle me disait : «Préfère l’Inconnu au Mystère».

Elle disait : «Tous coupables au Tribunal de la Nuit ? Verdict dans la sentence du Jour».

Elle me disait : «Creuse ta langue comme tu creuserais ta tombe».

Elle me disait : «Tes défauts ? Ne les gomme pas, déplace-les».

Elle me disait : «Les grands poèmes appellent deux lectures : une sur les mots choisis, une autre sur les mots évités».

Elle disait : «En t’arrêtant sur les évidences, tu seras surpris d’y trouver des dogmes».

Elle disait : «Il m’a quitté mais le pire, ce sont les mots, les souvenirs autour de lui qui, eux, ne me quittent pas».

Elle disait : «Les mots ne sont pas des mirages mais des oasis. Oasis asséchés le plus souvent. L’eau pure, elle seule, est le mirage».

PAYSAGES (8)

Elle me disait : «On écrit pour savoir si la distance qui sépare les Vivants des Morts est si grande que ça».

Elle me disait : «A me lire, les gens ne voient que mon humour, jamais ma désespérance». A gémir, tu perds ton temps : fais-leur plutôt confiance».

Elle disait : «Quand je reçois un mail d’un lettré inconnu, je me demande toujours : «Quel est ce corps qui m’écrit» ?

Elle me disait : «Je vois bien que sous ton humour il y a du politique et que sous mes pavés il y a ta plage».

Elle me disait : «Ecrire en cul-terreux plutôt qu’en cul-lettreux».

Elle disait : «Dans ton écriture, tu as essayé le fusil à lunettes, les jumelles, le microscope. Et aujourd’hui, tu découvres que tu peux écrire en aveugle».

Elle disait : «Ne te soucie pas de tes lecteurs. Ils trouveront le chemin. S’ils se perdent en route, salue-les de loin et continue ta marche».

Ponton

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2 Responses to Elle me disait… (épisode 10)

  1. jostretto dit :

    elle disait …tellement de belles phrases, tellement de vérité,
    elle était la Vie .

  2. BiBi dit :

    @jostretto
    Je ne manquerais pas de le lui… dire. 🙂

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