Au banc de la Société.

Banc de la Société

Dans mes pulsions des dernières semaines, j’ai essayé de faire le tri afin de vous présenter mes lectures dans un certain ordre. Mais l’Ordre, tout Ordre, est fait pour être contourné. Au final, à la relecture, c’est un fatras (dirait Prévert), c’est un joyeux bordel (dirait Bourdieu dans un vieux n° spécial des Inrocks). Donc, c’est ainsi, c’est en vrac avec du Lordon, de la Grèce et du Podemos, du Karl Kraus le Viennois et du Thomas Bernard l’Autrichien itou. Puis, pour finir, un retour à Bourdieu vu en son temps (1996) à la… télévision (Arrêt sur Images).

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J’aime bien Frédéric Lordon. Enfin j’aime ses analyses qui nous sortent des chemins battus et rebattus. Sur son blog, son billet  a fait le tour de la question des Gauches européennes. Avant de se demander «Que faire?», Lordon s’arrête sur «qu’est-ce qui a été fait ? Comment cela a t-il été fait ?», il donne à voir «ce qu’il ne faut pas faire autrement-on-va-droit-dans-le-mur» tout en tirant les enseignements de la déroute de Syriza, puis en s’attardant sur les positions de Podemos (qui file dans la même direction, c’est-à-dire dans la même impasse).

LORDON 1

«Il est donc avéré que Tsipras était mentalement prisonnier de l’euro, et l’on sait désormais où conduit ce type d’enfermement volontaire. Disons les choses tout de suite, quitte à ce que ce soit avec rudesse : le Podemos d’Iglesias le rejoindra dans la même cellule».

Rude billet, sans complaisance, où tombent le couperet de la théorie et son tranchant et – oui, oui – où pointe de l’espoir (mais à condition que…).

La réaction du populo grec ? «On reconnaît la servitude volontaire, ou comme dirait Bourdieu la violence symbolique, à ceci que les dominés épousent fondamentalement la croyance des dominants, même si c’est la croyance constitutive d’un ordre qui les voue à la domination, parfois à l’écrasement».

Grèce

Syriza / Podemos : «Là où Tsipras doit indiscutablement être crédité de s’être battu, Iglesias n’essaiera même pas. Il ne s’agit pas là d’anticipation mais de simple lecture : «Nous n’aimons pas la façon dont l’euro s’est construit, ni comment ont été mis en place les accords de Maastricht, mais nous pensons que l’euro est actuellement incontournable» dit Iglesias.

Se dégager de la passion, laisser en plan cet increvable désir de voir nos affects («Comment ne pas avoir soi-même éprouvé la tentation de se laisser gagner par ce sentiment ?») supplanter le Réel. Bref cesser de se raconter des histoires comme le soulignait Althusser il y a longtemps.

«Voilà donc le drame actuel des gauches européennes. Du fin fond de la déveine où elles se trouvent, Syriza et Podemos leur ont été de puissantes raisons d’espérer, l’aliment d’un désir de croire à un possible renouveau au travers du continent — et comment ne pas le comprendre, avouons-le : comment ne pas avoir soi-même éprouvé la tentation de se laisser gagner par ce sentiment. Les stratégies politiques «de l’espoir», cependant, font fausse route quand elles prennent le parti de tout accorder à leurs affects et plus rien à la raison analytique si elle risque de venir les contredire. Malheureusement, et si douloureuse la chose soit-elle parfois, on gagne rarement à ne pas regarder les situations en face».

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Pour notifier ma présence sur Twitter, j’ai inscrit sous mon avatar : «Optimiste de plus en plus inquiet». Comme le temps ne se rattrape pas, c’est bien le côté optimiste qui est/sera irrémédiablement rogné. Me voilà donc (presque) en accord avec l’extrait tiré du Neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard dégoté sur le site La Main de Singe :

«Et je pense maintenant que les êtres qui ont vraiment été importants dans notre vie peuvent se compter sur les doigts d’une seule main, et, bien souvent, cette main se révolte contre la perversité que nous mettons à vouloir consacrer toute une main à compter ces êtres, là où, si nous sommes sincères, nous nous en tirerions probablement sans un seul doigt».

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Thomas BERNHARD.

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Ainsi vont mes lectures. Ayant trouvé un numéro de la revue Europe sur Karl Kraus à bas prix (0,50 ct d’euro – c’est là – entre vide-greniers et caisses poussiéreuses du Secours Populaire – que se portent mes lectures hasardeuses), j’ai relevé un passage où Jacques Bouveresse analyse les positions du chroniqueur viennois.

«Je suis convaincu qu’une distance critique et une certaine ironie à l’égard des prétentions de la raison elle-même constituent un des ingrédients nécessaires du rationalisme et peut-être la protection la plus sûre contre le risque de le voir devenir dogmatique, rigide et répressif».

Je rajouterais que pour tenir la distance (critique) à l’égard du rationalisme, il y faut certes de l’ironie mais aussi de temps en temps tomber amoureux, boire un verre de rosé bien frais sous la tonnelle et aimer rire (un peu) à ses propres blagues.

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Tiens, on reparle de Pierre Bourdieu.

Et particulièrement de l’émission d’Arrêts sur Images de France 5 du 23 janvier 1996 où je me souviens avoir vu Bourdieu face à Cavada (alors étiqueté journaleux objectif de France 3), à Guillaume Durand, à Pascale Clarke, à Daniel Schneidermann et à Philippe Vandel. Le site remet l’émission en ligne. Mais pour compléter le dossier, on pourra lire la réponse de Bourdieu ici qui réagit dans un n° spécial de Manière de Voir (et ce, après l’émission) (1)

J’ai la manie de fureter dans mes étagères, armoires, caisses de grenier . Dans mon dossier Bourdieu, j’ai retrouvé la Une de Libé le jour de la mort du sociologue (janvier 2002) avec un beau portrait romantique du bonhomme (un sacré bonhomme :-)). En dernière page, j’ai pu découvrir un grand portrait de Philippe Jaffré, 56 ans, ex-PDG d’Elf, major de l’ENA, qui «trouve Hugo illisible», lui préférant «Tocqueville, Chateaubriand ou Proust».

Bourdieu

C’était ça Libération. De la lèche d’un côté et du réalisme économique maquillé en posture littéraire de l’autre. Comme on le voit, rien de changé quand on feuillette les numéros de 2015 sinon… en pire.

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(1). Me souviens aussi avoir été tellement ulcéré par le traitement cathodique de la parole bourdieusienne que j’avais alors écrit à l’émission. C’est Philippe Vandel qui me répondit longuement. Si je retrouve la bafouille, je vous en causerais deux mots. Deux mots. A peine trois. Pas plus, hein ?

6 Responses to Au banc de la Société.

  1. Un partageux dit :

    Cette croyance — que dis-je ? — cette foi aveugle dans le dieu euro… De la part de gens qui se disent volontiers mécréants et hostiles à une vérité révélée… Qui nous récitent en permanence leur catéchisme d’une « Europe qui protège »… Cette croyance m’amuse.

    Pas besoin de combattre l’obscurantisme. La Grèce aujourd’hui et l’Espagne demain savent si bien démontrer l’efficacité de leur dieu Euro à protéger les seuls riches. Et à réduire les autres en esclavage.

  2. Un partageux dit :

    Ah j’ai oublié : au ban de la société. Ban de bannir. Et non banc de banquette.

  3. BiBi dit :

    @Unpartageux
    Un ban pour toi, premier commentaire du billet !
    Oui ban de… banlieue, le lieu où vivent les bannis.
    Mais là, non, c’est juste un mot, un bon mot j’espère.
    Un mot, oui.
    Et une lettre, le C, qui fait bascule.

  4. Bien d’accord.
    Il va falloir que je me plonge dans Kraus, un bouquin m’attend. Je regarde parfois Libé au café. De pire en pire, surtout le numéro du samedi. La seule chose que je dois à Libé est la découverte de Thomas Bernhard.

  5. BiBi dit :

    @despasperdus
    Sur Thomas Bernhard… à propos du mot « nazi ».Magistral.
    http://bit.ly/19tPkls

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