Anniversaire : mes 10 ans de Blog.

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Humour : le 22 mars ont commencé les évènements de Mai 68. Le 22 mars 2008, j’inaugurais mon blog et je pondais mes premiers bibillets.  Et me voilà, mars 2018, en train de fêter mon dixième anniversaire.

Ce bibillet d’honneur sera le 1610ème. Depuis 10 ans, j’ai enregistré 5543 commentaires. En ce qui concerne le nombre d’utilisateurs, il s’élève à 657.308. Enfin, au niveau des pages vues, Google Analytics m’en a compté 1.267.164.

Je ne remercierais jamais assez tous ceux et celles qui m’ont suivi (y compris ceux et celles qui m’ont abandonné en chemin, y compris ceux et celles qui m’ont détesté). Je ne sais si je pourrais continuer encore pendant 10 années supplémentaires. Pour l’instant, les temps de brutalités inouïes, temps de dégradation du politique, temps de l’asservissement à l’économie libérale n’ont pas trop entamé ma pulsion d’écrire et la rage qui l’accompagne.

Un ami a bien voulu me tendre un micro imaginaire pour faire ce bilan de l’An10 devant une bonne bouteille. A votre santé.

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  • 10 ans d’écriture bloguesque, ça te dit quoi ?

Si j’étais dans une de mes périodes sombres, je pourrais reprendre le mot terriblement juste de Georges Haldas : «Pas besoin de malheur pour être malheureux : il suffit que le temps passe». Mais je n’ai pas envie publiquement de jouer au Romantique désespéré. Mes états d’âme ne regardent personne et n’ont d’ailleurs aucune importance publique.

Reste que j’ai dépensé une énergie «colossale» à écrire (quand je me retourne sur le nombre de mes bibillets), reste que j’ai été soumis (mais en toute connaissance de cause) à cet impitoyable et incompréhensible désir d’écrire sur ce Monde… impitoyable mais, heureusement, parfois compréhensible. Par grand bonheur, pour me soutenir, il y a eu des Compagnons de Voyage dans mon trajet. Les indispensables pour retourner aux sources et tenir le choc : Flaubert, Shakespeare, Bourdieu, Accardo, Haldas, Walser et, bien sur, les ami(e)s, les amours, les lectrices et lecteurs qui m’ont encouragé. Certes mon lectorat s’est restreint (hier jusqu’à 500 par jour. Aujourd’hui, oscillation autour de 200) mais ô combien précieux. Flaubert disait magnifiquement à Georges Sand : «Tu es une lectrice qui en vaut dix mille».

  • Ecrire dans un blog, c’est une sacrée liberté, non ?

Dix ans à écrire dans un blog, t’appelle ça une «sacrée liberté» ? Tu crois qu’on peut se déclarer en liberté parce qu’on brandit 1600 billets mis en ligne sur le Net ? Pauvre conscience qui voudrait réduire la liberté à ça. Et je vais encore t’étonner : j’ai en horreur le règne du débat généralisé où on parle parce qu’on n’a rien à dire et où on parle moins pour se faire entendre que pour se faire voir. Comme le dit Alain Accardo, «Nous sommes dans le Royaume de la Parlocratie». Comme il est bon de se taire, de se terrer. Comme l’on voudrait s’enfoncer loin dans les forêts, ne plus entendre toutes ces parlottes, ces logorhées insupportables, ces mensonges-mitraillettes.

  • Sur ton avatar, il y a quand-même ce panneau «Chemin de la Liberté».

Il n’est pas écrit que nous sommes dans la Rue de la Liberté mais que nous sommes en route : sur le Chemin, précisément. Tu remarqueras aussi que les lettres du panneau tombent en désuétude, particulièrement les sept lettres de L-i-b-e-r-t-é. Mais revenons au blog. Ce blog intersticiel utilisé peut me combler dans ma vanité de petit-bourgeois ou dans mon orgueil de rebelle mais il ne me fera jamais croire que je suis libre. Mes 1600 billets ne sont pas autant de preuves de liberté. Je crois même que cette accumulation de pages électroniques occulte les attaques contre, justement, les libertés. Des attaques qui viennent de toutes parts aujourd’hui. Tout juste puis-je revendiquer une tentative de distance avec les prudences langagières et les euphémismes rhétoriques dominants.

Si nous étions un peu plus libres, libres de respirer, de faire l’amour sans avoir à penser au renouvellement de notre force de travail, si nous étions libres de lire des livres qu’on ne peut pas acheter à cause de leur prix élevé, si on était libre d’avoir du temps pour se payer voyages aux Marquises ou en Alaska, alors je pourrais reconsidérer ta question. Au bout du compte, il nous reste quoi ? La rêverie, l’indispensable rêverie. Et parfois, de vraies, de délicieuses promenades sur les plages.

  • Les blogs sont-ils encore des contre-pouvoirs ?

En face de blogueurs comme moi, il y a les Mastodontes et le nombre phénoménal de lecteurs. Et ne viens pas dire qu’il y a de la jalousie et de l’envie sous-jascentes. Je compare juste mes chiffres d’audience (200 lecteurs.trices/jour dans le meilleur des cas) avec les tirages du JDD ou les audiences TF1. Ni envie, ni jalousie mais bornons-nous à ce seul fait : nous vivons désormais dans un Pays d’une brutalité extrême, d’un autoritarisme qui fait honte, nous mourrons de la prise de pouvoir des Banques, des 9 milliardaires des Medias et du personnel politique qui les soutient.

Liberté de circuler ? Demande aux migrants.

Liberté de débattre ? En radio ou en télé, tu dois exposer ta pensée en moins de dix secondes sinon t’es bon à jeter.

Liberté politique ? Demande aux Fanatiques du 49.3 et au Maître des Ordonnances.

Non seulement, on te coupe les vivres, les salaires, les retraites mais on veut te couper aussi la parole. Avec ce but : te calomnier (y compris gentiment en te traitant de «ringard», de «dépassé», de «vieux») pour t’asphyxier. J’ai un compte Twitter avec près de 6000 abonnés. Les opposants qui me prennent de haut sont toujours de la Journaille (Cédric Mathiot de Libedesintox, Samuel Laurent, Jérôme Godefroy, Plenel etc qui m’ont bloqué). Ils sont sur les nerfs juste pour mes tweets confidentiels. C’est dire le niveau de leurs peurs ! C’est évidemment un honneur, une petite (mais dérisoire) satisfaction. Exemple du moment : dans le paysage médiatique, un média vivant de l’argent de Socios advient et voilà tout ce petit monde (qui occupe quand-même le champ à 90%) qui ne cesse d’aboyer et de balancer des scuds. Quelle honte !

  • Un mot quand-même sur LeMediaTV, cette nouvelle chaîne ?

Avant de te répondre, je dirais ceci : rien, absolument rien ne remplacera les livres et leur lecture acharnée. La lecture suivie interdit toute impatience dans les analyses du monde qui nous entoure. L’image télévisuelle, elle – d’où qu’elle vienne – est un obstacle à la compréhension des choses, des rapports entre les hommes, des rapports de classe, un frein à l’analyse des tendances qui traversent la société. Maintenant, je vois cette apparition du MediaTV d’un œil positif. J’y ai vu des débats sans hargne et sans volonté de détruire l’autre, une hiérarchisation des infos de bon aloi. Si on a une sensibilité de gauche (pas forcément mélenchonniste) on ne peut pas ne pas s’en rendre compte. Donc à ce seul titre – ce qui est beaucoup, non ? – je le soutiens. Pour le reste (les démissions), je me demande à quel point la peur d’être définitivement ostracisé et catalogué par leurs confrères Medias (ou artistes) n’a pas poussé les Noël Mamère, Aude Rossigneux (bien fade), Catherine Kirparch (la seule que je regrette) à s’en aller. Peur peut-être d’être définivement grillé et assimilé à de vilains Rouges, à d’indécrottables staliniens au Hit-Parade des Rédactions ? Pas bon pour leurs futures carrières ?

Je rajouterais cette évidence : un Media auréolé de pureté, sans négatif, ça n’existe pas. A ceux qui pensent le contraire, je serais tenter de leur dire que c’est leur désir de pureté qui m’interroge beaucoup plus. Ces avancées parfois chaotiques traversent toute tentative nouvelle. De même dans les blogs. Le mien, bien sur, n’y échappe pas.

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  • Le Monde Medias, c’est quand-même ton obsession, non ?

J’ai relu récemment certains de mes billets sous l’ère sarkozyste. Quand tu revois l’appréciation d’une journaliste aussi renommée que Raphaëlle Bacqué du Monde, subjuguée par ce pitre de Sarkozy recevant des écrivains (nous sommes en 2012), quand tu lis ses mots, six ans après, tu restes atterré par un si grand aveuglement : «C’est ce qui finit par impressionner tous ces écrivains en embuscade devant ce chef de l’Etat, qui ferait un formidable personnage de roman : cet homme paraît ne pas croire à l’adversité». Comment… comment a t-on pu prendre cette loque de Sarkozy pour «un for-mi-da-ble personnage de roman» ? La honte (ou le rire sarcastique) te prend, non ?

Deuxième exemple qui touche à ce que Macron veut mettre en place au sujet des «fakenews». Oui je tape dur sur ces Policiers du Net, sur ces Brigadiers macronistes que sont Les Decodeurs et Libedesintox (avec mes tous petits poings, hein ?). Instances qui s’auto-proclament Juges de la Vérité, avec… Drahi-Niel-Pigasse comme Boss ! De quoi en rire certes mais aussi de quoi s’inquiéter de leur collaboration avec le Ministère de l’Intérieur. J’ai exposé tout ça dans un de mes billets où j’étais allé chercher (comme un enquêteur !) l’itinéraire d’un certain Jacques Pezet dont le travail consiste à dresser des contraventions tout azimuth. C’est effarant de voir à quel point ces sinistres médiatueurs sont dans le déni. Ils détournent la tête dès que tu leur rappelles le nom et les pouvoirs de leur Patron. Ils ne veulent pas admettre (on ne s’en étonnera pas) ceci, qu’«ayant bien intériorisé la logique du système, ils adhèrent librement à ce que celle-ci leur commande de croire. Ils agissent de concert sans avoir besoin de se concerter. Leur communauté d’inspiration rend inutile la conspiration» (Accardo).

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  • J’insiste : c’est une obsession…

Mon obsession ? Oui et non. Car ces derniers temps, j’ai été plutôt occupé ailleurs, occupé à faire fructifier ma petite entreprise d’autoédtion avec ce texte «Elle me Disait» toujours en vente ici. Occupé aussi à relire ou à découvrir des pépites. Un seul extrait relu de Georges Perros (tiré de son livre «Papiers Collés») a sauvé ma matinée : «Sans littérature, on ne saurait ce que pense un homme quand il est seul». Seul, c’est-à-dire, en pensée-bibi. Dans l’aphorisme de Perros, si tu remplaces «littérature» par «blog», tu auras tout compris.

  • Alors que te reste t-il pour les années futures ?

Garder cette rage. Garder ce fond de dignité. Garder cet entêtement inoxydable et un rire nietzschéen contre les Titulaires de Montres Rolex. Bien entendu, je n’y arriverais pas. Mais si je devais garder un rêve, ce serait surtout ce désir particulier, logé dans ce souhait de Pierre Bourdieu : «Que les Esclaves acceptent un peu moins leur servitude, que les Damnés de la Terre souscrivent un peu moins à leur propre domination sociale».

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17 Responses to Anniversaire : mes 10 ans de Blog.

  1. Robert Spire dit :

    Bon anniversaire!
    Et comme disait Maria Letizia Bonaparte: «Pourvou qu’ça doure!»

  2. Robin HOOD dit :

    Bon anniversaire de blog, que tes mots sont puissants, toi qui te sent si petit…

  3. Philomène dit :

    Bon anniversaire et merci à vous d’être là … et de continuer, toujours grand plaisir à vous lire.

  4. Un partageux dit :

    « Rien, absolument rien ne remplacera les livres et leur lecture acharnée. » Nous avons là un sujet d’accord complet.

    Je me souviens avoir regardé sur la toile le début d’une (honnête) émission télévisée sur les pesticides. J’ai coupé assez rapidement : chaque chapitre du livre de Nicolino sur le même sujet est infiniment plus fouillé.

    La déclaration de la ministre des transports disant que le gouvernement va investir plus de pognon qu’aucun gouvernement m’a immédiatement remis en mémoire « La fin des terroirs ». Eugen Weber y consacre des pages au plan Freycinet qui a construit des milliers de ponts, des dizaines de milliers d’écoles et seize mille kilomètres de voies ferrées. Et qui a embauché pour le train plus de 400 000 personnes en sus des travaux de construction.

    C’est le livre qui nous permet de ne pas perdre la mémoire. Et de fermer le clapet à des gouvernants incultes qui nous prennent toujours pour des cons.

    Bon anniversaire ! Et à dans dix ans !

  5. BiBi dit :

    @UnPartageux
    Comme le disait si bien Godard : « La télévision fabrique de l’oubli ». Merci pour ton suivi.

  6. Juan S. dit :

    joli billet qui remet en perspective le pourquoi du comment. J’apprécie quand on dévoile ce que l’on écrit, pourquoi on l’écrit. Une décennie, c’est le signe d’une belle persévérance. Je suis d’accord sur le besoin de lecture. Indispensable.
    Bon dimanche !

  7. Raymond GRUSS dit :

    Bon anniversaire.
    C’est Ouezzane qui m’a fait découvrir BiBi, Ouezzane qu’on ne peut oublier…
    Toujours un grand plaisir à revenir vers toi.

  8. JADAU dit :

    Je ne suis pas toujours d’accord avec toi mais te lis toujours… avec plaisir.

    Bon anniversaire Bibi et dix ans de plus !

  9. 10 ans, comme le temps file. Content que tu rempiles pour lire de nouveaux billets.
    Tu devrais tenir une chronique médias dans le média TV.

  10. BiBi dit :

    @despasperdus
    LeMediaTV ? Dans une autre vie peut-être.

  11. Cpolitic dit :

    Bon anniversaire! Bientot de retour… et plus présent ici et ailleurs.

  12. Laetsgo dit :

    Coucou bibi !
    Juste des bibis en passant et bravo pour cette pugnacité que tu mets en œuvre pour décrire le monde tel que tu le vois

  13. DELSOL dit :

    Hé l’ami,comme j’aurais aimé savoir écrire comme tu le fais .Merci

  14. BiBi dit :

    @DelSol
    Ne sois pas si défaitiste.
    Si tu veux écrire, grapille à gauche et à droite en admirant ceux et celles qui écrivent (qui t’aident à vivre).
    Ensuite, trouve ton chemin d’écriture sans être intimidé,sans trop te préoccuper du reste.

  15. Robert Spire dit :

    « Bon, comparons
    Vos mots aux miens, nous construirons aprés toutes les Rome »
    Makoto Ôoka (Poète japonais, mort en 2017)

  16. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Pourquoi n’ouvrerais-tu pas une page ? un blog ? On serait tes premiers lecteurs.

  17. Robert Spire dit :

    Bibi, j’ai tenu un journal local quelques années. Depuis mes amis proches me poussent aussi à tenir un blog, pour l’instant j’y réfléchis…

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