Photos de Jean-Luc Mélenchon : montage & démontage.

Mélenchon

Des bonnes âmes se sont empressées de diffuser et de répercuter cette double photo pour nous dire (on devine leurs airs de contentement de Blogueurs de gouvernement) que la manifestation dominicale contre les impôts injustes n’était que mascarade, trucage, manipulation. Coup de force (de farce ?) à livrer ce montage, à mettre en ligne cette association de deux images sans argumentation (mais avec rires gras, ironie). Exposition donnée comme telle, comme si elle suffisait à parler d’elle-même.

Nos «amis» de «Gauche» découvrent ainsi (et oublient) que prendre (une) deux photographies, les placer côte à côte, c’est manipuler, choisir, orienter, déterminer, prendre parti. Naïfs, ils découvrent que photographier (ceci ou cela) c’est interpréter une réalité qui ne se présente jamais à nous comme pure et innocente (sauf à en faire notre fantasme, sauf à y révéler notre positionnement politique). Ils le découvrent… et ils l’oublient aussitôt puisqu’ils pensent que le montage qu’ils présentent équivaut à une vérité indiscutable – celle qui veut mettre le sens (commun) de leur côté. Ce supposé sens commun serait que Mélenchon est bien entendu un rêveur, un manipulateur, un gueulard, un raciste etc, etc.

BIBI la joie

                           Vive la Joie et la Rêvolution !

Or ce montage ne pétrifie pas BiBi, bien au contraire ! Qu’ils sachent que j’ai même grand plaisir politique à l’interroger. Même pas peur. Même pas peur du dessaisissement qui me prend. Même pas peur aussi d’en savoir plus car je sais déjà que comprendre ce montage, que le placer dans quelque chose de plus vaste (dans ses dimensions anthropologiques, historiques, politiques) me sera bien utile. Et que cette compréhension – via ce billet – sera un important petit grain de sable sur la plage des représentations dominantes. Petit grain de sable qui insupporte(ra) nos supporters gouvernementaux. Si, si, j’entends d’ici leurs rires gras, leur ironie, leurs moqueries que… j’adoooore 🙂

                                   

Camarade du FdG, allons-y-voir.

Faut-il s’étonner ? Ce couplage n’y échappe pas : cette mise en rapport des deux photos est – elle aussi – une mise en scène. On peut supposer que son apparition démultipliée sur les réseaux sociaux n’est pas une intention de départ d’un partisan de Mélenchon. Celui-ci aurait tort de simplement hausser les épaules et de fuir en maugréant. Se coltiner (ici) ce montage, c’est renouveler, c’est au contraire enrichir notre propre langage et donc, notre représentation politique. Expérience de pensée, expérience qui nous entraine vers un montage nouveau, vers un travail complexe de contextualisation. Y réfléchir est déjà un geste politique prenant la mesure incertaine d’une oscillation dialectique. Ainsi est-on (devient-on un peu plus) un matérialiste conséquent, non ? 🙂

Mélenchon a-t-il eu le choix ?

cameraman

Pas idiot quand-même le leader du FdG. Il en connaît un peu sur les manipulations médiatiques. Il sait que toute image se (pré)construit, qu’elle est «effet de réel», qu’on la donne comme «naturelle», allant de soi. Il sait aussi (surtout) qu’elle est toujours un enjeu de luttes. Qu’est ce que veut écarter Mélenchon ? Il ne veut pas l’image d’un homme seul qui parle, il écarte le gros plan sur lui couplé avec un arrière-fond désert. Autres choix possibles mais refusés : se faire interviewer en marchant en tête de manif. Difficile, non ? Essayez donc pour voir ! Il y aurait inévitablement une perte d’efficacité. Se rendre en studio ? Pas le temps. Aussi, le choix mélenchonniste est plutôt de raison politique : «Je ne suis pas seul, je ne veux pas personnaliser la manif, c’est un mouvement collectif qui se dessine, je veux qu’il soit représenté dans les meilleures conditions».

Une tentative bienvenue de maîtrise.

Ainsi posé (banderoles diverses présentes mais mises à distance, manifestants hommes/femmes. Photo 2), l’interview y gagne en clarté (pas d’interférences dommageables pour le propos – comme par exemple l’interviewer au milieu de supporters surexcités et braillards à la fin de France-Ukraine). Tentative donc de maîtriser son discours, de le rendre clair. Avec ce «risque» d’être photographié de haut, avec ce «risque» que des blogueurs gouvernementaux rapprochent ces deux images et s’en gaussent croyant par là naïvement à la vérité indiscutable de toute(s) photo(s), croyant par là avoir le dernier mot en misant sur une (supposée) pétrification, un (supposé) silence des lecteurs internautes.

Mélenchon s’est-il caché pour cette mise en scène ?

Pas forcément. La preuve ? La photo 2 n’est pas volée. Mélenchon sait-il que cette mise en scène peut lui être «défavorable» ? Je ne sais pas mais Mélenchon n’est pas né de la dernière pluie : il sait que toute image, en tout champ, est (bis) un enjeu de luttes. Convaincu qu’il est (que nous sommes) que le climat est à la guerre économique, à la guerre politique et – enveloppant le tout – à la guerre des images.

 Consolation.

Snif

Renvoyant à nos «amis» la phrase de Godard («C’est juste une image, pas forcément une image juste»), ces derniers croyaient me charrier via ce tweet en réponse : «Console-toi comme tu peux». Comprendront-ils que ce petit échange m’a rendu joyeux et qu’ils se trompent de cibles : ce sont plutôt les supporters élyséens qui risqueraient – hélas – de devenir inconsolables lors des prochaines consultations électorales.

Les Masses médias font l’histoire.

Et s’il faut mon avis (ce que personne ne demande), le voilà quand-même. Oui, il est nécessaire d’expliquer les images mais cela ne suffit pas. «Il faut aussi comprendre en quoi elles nous concernent, nous regardent, nous impliquent». (Georges Didi-Huberman). Comprendre donc que derrière Mélenchon, il n’y a pas des figurants, des pantins manipulés mais la force matérielle du populo, d’un populo qui n’a pas défilé que pour… l’image.

10 Responses to Photos de Jean-Luc Mélenchon : montage & démontage.

  1. Bien dit. Mais malgré tout, il aurait pu se faire interviewer sans cela. Dans un troquet avec des manifestants pendant la préparation de la manif pour ne pas apparaître seul.. Je me doute qu’il sait que ces images allaient servir ceux qui le dénigrent puis se retourner contre eux comme un boomerang au vu de l’ampleur de la manif…
    Au demeurant, chacun verra midi à sa porte. Mais au final, cet incident est regrettable parce qu’il brouille le message de la manif.

  2. BiBi dit :

    @Despasperdus
    Il « aurait pu » ? Crois-tu ? Pas facile d’exiger et de mettre en scène de A à Z sa propre intervention face aux exigences des mastodontes (comme TF1).
    Ce n’est pas cet « incident » qui brouille le message de la manif, c’est l’état des luttes aujourd’hui, maintenant; c’est la configuration des Médias aux mains des grands propriétaires ( à la fois Capitaines d’Industrie et patrons de Medias). On ne peut guère attendre des voix médiatiques qu’elles présentent a minima et de façon correcte l’argumentation de Mélenchon.

    Au 13 heures de France-Inter, il m’a fallu attendre 1/4 h pour que les commentateurs daignent parler de la Manifet encore en ne s’arrêtant que sur la guerre des chiffres. Un extra-terrestre écoutant la radio n’aurait absolument pas pu savoir les raisons de ce rassemblement puisque passées sous silence.

    Ce que j’ai voulu dire, c’est que tout dispositif qui veut présenter ou représenter le Réel via une image, un montage, un documentaire etc EST une MISE EN SCENE et que les images – quelles quelles soient – ne parlent pas d’elles-mêmes.
    Cette position-là, je la retrouve par exemple dans L’Express qui reprend ces deux images avec cette légende: « La photo qui parle toute seule ». Présenter des soi-disant des « évidences » indiscutables ( qu’on ne doit pas discuter, qu’on ne doit pas ouvrir à l’analyse, à la discussion), voilà la logique de ces super-Médias. Les percer, les démonter voilà ma petite tâche 🙂 Bibien à toi.

  3. Zap Pow dit :

    Je crois que se moquer de Mélenchon et du PG (pas du PCF, auquel ils préfèrent faire des risettes, on sait pourquoi) est justement le petite consolation de ceux qui disent « Console-toi comme tu peux » dans une époque et un monde gris pour eux. C’est d’ailleurs systématique, en même temps qu’amusant. Et pathétique.

  4. BiBi dit :

    @Zap Pow
    Ce ne sont pas les premières et dernières moqueries sur BiBi. J’ai déjà essuyé des « andouilles », des « connards » et autres civilités de ces mêmes « amis » blogueurs.

    Dans mes premiers billets datés de 2008, réfléchissant sur les Left-Blogs, j’avais déjà pris une volée de bois vert.
    Mais moi, le bois vert, je le ramasse, je le laisse sécher, je le brûle à petit feu et je me frotte les mains.

  5. Bembelly dit :

    Le « blogueur de gouvernement » cité dans ce billet a un nom: bembelly
    Ah!, ils sont marrants les FdG. Pour nous taper dessus, c’est les meilleurs, on se tait et ils insistent. Et quand vient l’heure de la « riposte » ça pleurniche: « Ah c’est même pas vrai », « c’est de la manipulation », « vous êtes des méchants » etc.

    Tiens, le CSA va regarder la supercherie de près, le truc devient « l’affaire Mélenchon-TF1 ». On est pour rien, on ne fait rigoler, ça soulage de toutes vos conneries sur NDLL. C’est un journaliste correspondant étranger qui a révélé l’arnaque Méluche, pas nous! Seulement 7000 participants? Vous étiez où? Quel « peuple ingrat »! Lâcheurs!

    Commencez par ne pas vous tromper d’adversaire, et on vous fichera la paix, sinon, tant pis. Ne Mélenchon pas tout!

    (Amitiés).

  6. BiBi dit :

    @bembelly
    Tu n’es pas concerné par ceux que je nomme « LES blogueurs de gouvernement ». Je ne savais même pas que tu pouvais être dedans. Mais bon, puisque tu insistes pour en faire ton étendard, ça te regarde. Tu n’as – hélas – guère compris mon propos qui disait que toute image ( ici deux images) était de toutes les façons une mise en scène (par exemple se placer à tel endroit pour photographier, choisir son sujet et donc en écarter d’autres etc…). Je disais que « l’affaire Mélenchon-TF1 » était de l’esbrouffe quand on considère ce qu’est un montage photographique même si l’effet de réel était réel. Le Réel n’est jamais donné comme tel : il faut une interprétation. Point final.
    Quand je vois ce que Hollande fait ( ou ne fait pas), sache que moi, Monsieur Bembelly, je ne pleurniche pas : je pleure. Et beaucoup, beaucoup.

  7. des pas perdus dit :

    Je suis bien conscient de la mise en scène et du reste, mais dans ce cas, n’était-il pas plus pertinent qu’il la refuse au risque de ne pas passer au JT ?

  8. BiBi dit :

    @despasperdus
    « Au risque de ne pas passer au JT » écris-tu. Oui, il y a là évidemment un sérieux problème : y aller ? ne pas y aller ?
    Il y a longtemps hélas que des dirigeants de parti, des porte-paroles estimables sont contraints d’accepter les « mauvaises manières » des Télé-Bouygues & Co.
    Peut-être y a t-il aussi (surtout) surestimation du pouvoir médiatique (poudre aux yeux de l’audimat) et de ses effets dans la lutte politique ? Passer à la télé serait bénéfice, serait un plus, un bonus (déterminant ?) pour gagner des consciences. Combien de politiques pour réfléchir sur (et combattre) la dépendance à la télé, être au clair sur les dispositifs des caméras, sur le décor des émissions etc etc ? Réfléchir par exemple sur ceci : bcp de gens qui regardent la télé la regardent parce qu’ils peuvent en dire du mal non pas obligatoirement parce qu’ils l’aiment.
    Besancenot lui-même a été d’accord pour passer chez Drucker.Je me souviens des polémiques du NPA là-dessus. Ils ont beaucoup parler là-dessus avant. Mais y a t-il eu un bilan après son passage ? Non, rien, silence plat, rien pour en tirer des enseignements… Mélenchon et tant d’autres acceptent les contraintes du Grand Journal de Canal Plus où tu as cinq secondes pour défendre tes positions. Pourquoi ne disent-ils pas que c’est une honte à chaque fois qu’ils y passent ? Et dire tranquillement par exemple que ce dispositif télévisuel dégrade le Politique ?
    On devrait pourtant se souvenir que la fabrication télévisuelle de Georges Marchais (un bon client) est allée de pair avec la dégringolade du PCF.
    La mise en scène mélanchonniste est plutôt un bon choix de mise en scène (Rappel : toute intervention télé passe par une mise en scène. Les Communicants le savent que trop. Ils ont lu Serge Daney et Jean-Luc Godard, crois-moi). Si ça se trouve, Mélenchon a accepté parce qu’il pouvait parler au calme et que la petite foule derrière lui représentait les 7000 ou 100000 de la Manif.
    Les hommes et femmes politiques de gauche devraient écouter plus souvent Godard parler des images, lire les écrits de Daney sur le visuel, voir les films, les plans, les séquences de Kiarostami : ils apprendraient beaucoup, beaucoup, très beaucoup.

  9. babelouest dit :

    Bien dit, Bibi. Et merci de te rappeler à moi : je scrute tant de blogs chaque jour, qu’il m’arrive d’en oublier.

    Bien sûr, toute image est une mise en scène. Ce n’est pas nouveau, c’est l’essence même de l’art, de cadrer d’une certaine façon, à partir d’un certain point de vue, en plongée, contre-plongée, en travelling, en plan moyen, américain, en gros plan, tout est important comme l’ont démontré les peintres d’autrefois comme ceux d’aujourd’hui.

    Mélenchon s’est mis en scène. Il a eu raison. Tous le font, pourquoi lui n’en aurait-il pas le droit ? Je repense au portrait officiel de l’actuel occupant de la pelouse de l’Élysée. Bizarrement peut-être, je dirai : bravo le photographe, tant l’existence (ou non) du personnage est tout entière dans le clignement de l’obturateur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *