Gros cons et Union de la Gauche.

Le billet de Frédéric Lordon est un des textes que j’ai signalés sur mon compte Twitter. En le recommandant, je ne veux pas forcément dire qu’il recueille ma pleine adhésion. Le signaler c’est d’abord dire qu’il me met au travail, qu’il m’interroge, qu’il me pousse à construire et à affiner mes pensées et mes propres représentations du Monde.

Frédéric Lordon – dont j’avais suivi l’intervention le jour précédant la montée aux Glières, dont j’ai lu les deux livres chez Raisons d’Agir (Et la Vertu sauvera le Monde et Jusqu’à quand ? En finir avec les crises financières) – fait partie des intellectuels dont je suis le trajet avec intérêt.

Désaccords.

Mais je ne me montre pas gêné d’être en désaccord avec lui. Je me souviens lui avoir posé une question sur Clearstream et les enquêtes de Denis Robert, m’étonnant qu’il n’ait jamais inclus dans ses analyses la place de cette Chambre de Compensation. Il avait répondu cavalièrement (?) qu’il n’avait rien à en dire. Bizarre.

Désaccord aussi sur le titre de l’article signalé («FN : mêmes causes, mêmes effets»). Je pense que ce «mêmes causes, mêmes effets» est une position de démission face au Nouveau. Jamais dans l’histoire des Sociétés, les mêmes causes (sont-elles d’ailleurs édictées de la même façon d’une décennie sur l’autre ?) ne produisent les mêmes effets. Et c’est la responsabilité des citoyens que de se battre contre l’idée qui voudrait que l’Histoire soit un éternel recommencement.

Le domaine de compétence de Frédéric Lordon est celui de l’Economie. Ses interventions d’économistes sont fécondes (surtout pour moi, en pleine souffrance de lecture, parti de zéro dans le domaine). Mais ses prises de position politiques sont quasi-muettes (par défaut, il se situe timidement du côté du Front de Gauche qu’il attend de voir grandir). Du coup, ses analyses (ô combien justes) sur le passé des engagements des socialistes de 1990 à mai 2012 donnent à penser que l’union politique avec eux est… à proscrire.

Nous ne sommes plus dans la période 1950-1970 où perdura l’idée de l’Intellectuel total et magnifié qui penserait le Monde et aurait réponse pertinente à tout. Pour moi, les manques et faiblesses de Frédéric Lordon sont «normales» sauf à l’idolâtrer. Elles sont – bien entendu – à questionner.

Le PS, positions droitières et division.

Le point sur lequel intervint un internaute (André Rougier) fut celui d’une (supposée) latitude dangereuse de l’économiste à trop se focaliser sur les politiques successives mises en œuvre par le PS. Ce parti – aujourd’hui au Pouvoir – est accusé par Lordon d’avoir eu des œillères droitières, d’avoir suivi «l’orthodoxie néolibérale» qui «a pressuré les salaires, a dégradé les conditions de travail, a précarisé à mort ou a jeté au chômage, quand elle a détruit les services publics, abandonné les territoires par restriction financière, menacé la sécu et amputé les retraites ». Lordon en conclut justement que «toute proposition de rupture reçoit l’assentiment, toute trahison grossit le ressentiment, tout abandon du terrain nourrit le Front national». Comment ne pas lui donner raison lorsqu’on a vécu les abandons de Jospin et son ralliement au Marché, lorsqu’on a connu les atermoiements du PS sur la Finance, sur l’Europe et son traité ? Le rappeler, est-ce faire division ? Non, à condition de ne pas verser dans le ressentiment mécanique («Ils seront toujours pareils»). Car alors, on ignorerait le rapport de forces qui est toujours changeant et qui dépend des forces en présence historiquement déterminées.

Front de Gauche : réalisme et optimisme mesuré.

Cette force naissante est celle – pour aller vite – du Front de Gauche. Certes, les forces de ce Front ne sont encore pas très assurées mais elles sont porteuses de promesses non uniquement via ses 11% mais aussi via sa ligne de conduite de compromis révolutionnaire, via cette compatibilité qui veut qu’on argumente contre les penchants droitiers du PS (d’autres peuvent être positivement à gauche) tout en prônant l’unité politique des partis (et que – bien sûr – sur le terrain, on mobilise).

On peut reprocher à Lordon cette absence d’articulation et de son constat insuffisant en conclusion : «On cherche la maxime qui, toutes choses égales par ailleurs, permettrait d’éclairer par anticipation la situation politique de 2017. Et facilement on trouve : mêmes causes, mêmes effets». Désolé Fred mais l’avenir ne s’écrit pas si facilement. Il ne s’écrit que pour les astrologues, leurs astres et leur désastre.

Leçon de l’Histoire : 1933.

André Rougier (Twitter) a alors bien raison de rappeler qu’en 1933, Hitler – arrivé au pouvoir via les élections – avait su utiliser les erreurs d’analyse du KPD (les communistes allemands) qui, tout à se focaliser en insultes et moqueries sur le Front du Centre (où sévissait le SPD de Severing) en oublia de désobéir aux ordres du Komintern et d’analyser plus concrètement la situation concrète. En ne mettant pas ses efforts pour le rassemblement de tous les antifascistes, en sous-estimant la gravité du péril fasciste et son antisémitisme récurrent, le KDP se fit comme l’écrira Tucholski «le Chauffeur pour l’Enfer».

Donc Unité politique des partis et poursuite de la critique des positions droitières : ce double postulat dans les luttes à venir est le seul à tenir pour éviter la montée au plus haut du FN.

«Gros cons».

Enfin, sur la tolérance supposée de Lordon envers les racistes du FN, c’est lui faire un bien mauvais procès. Ses propos sont suffisamment clairs : «Il n’y a rien à «admettre», encore moins à «partager» du racisme des racistes, mais tout à comprendre, à plus forte raison pour tous ces cas de racisme qui, ne s’expliquant pas directement par les causes matérielles (retraités niçois ou toulonnais très convenablement argentés par exemple), n’en sont par là que des défis plus urgents à l’analyse».

Seule réserve-BiBi : que Lordon n’assume pas ces «défis plus urgents». Et qu’il ne développe pas plus avant une analyse.

Enfin, là où il souligne «le viatique intellectuel de pareille minceur», là où il note « la symétrie tropologique» qui veut que «les électeurs du FN sont des gros cons» exactement comme «les arabes sont trop nombreux», je renverrai les lecteurs à mes billets solidaires  (1).

Différenciations : l’armature FN et sa base de masse.

Et je rajouterai ces deux aphorismes : «Facile la bonté. Facile la bienveillance à l’égard de tous quand tout va selon nos désirs. Tout commence, en revanche, avec la contrariété» (Georges Haldas). «Il est simple de se convaincre que le vouloir des hommes est axé sur d’abominables stupidités. Ce qui compte, c’est d’être attentif à ce qu’ils veulent en dehors de cela» (Elias Canetti).

Alors ces gros cons du FN ? Je pense qu’il faut différencier entre l’armature du FN avec les Boss, les nervis, ceux qui – à part exception exceptionnelle – seront toujours sur les mêmes lignes, qui sont prêts à dégainer les colts, à lyncher et la base de masse du FN. J’engage à lire ces quatre témoignages qui disent à leur manière leurs raisons d’un vote et de soutien au FN.

Ces quatre personnes sont peut-être des habitants de  Hénin-Beaumont. Ils peuvent être ceux que le Front de Gauche rencontrera dans cette circonscription où Jean-Luc Mélenchon se présente contre MLP. Et dites-moi alors comment convaincre, (r)amener cet électorat populaire au vote révolutionnaire si on commençait par les traiter de gros cons ?

_______________________________________________________

17 Responses to Gros cons et Union de la Gauche.

  1. Nouvel Hermes dit :

    Mélenchon est devenu un Le Pen de la gauche. Minable.

  2. BiBi dit :

    @Nouvel Hermès.
    Ce serait bien que tu ne t’en tiennes pas à ce jugement abrupt et que tu développes. Car un Mélenchon… »Le Pen de la gauche » ? Euh…

  3. Nouvel Hermes tombe dans l’amalgame pour clore tout débat.

    Je suis d’acord avec ton analyse, j’estime que Lordon, aux analyses éco ô combien pertinentes, est mou du genou quant à l’engagement politique.

    Ok aussi quant au FN. Pour convaincre des électeurs à ne plus voter Fn, je pense qu’il ne faut ni les stigmatiser ni reprendre l’idéologie frontiste, ni tomber dans la morale, mais leur montrer que le FN ne défend pas leurs intérêts. Bien avant les élections, j’avais écrit un petit texte s’adressant à un frontiste.

    http://www.despasperdus.com/index.php?post/2011/03/23/au-service-de-l-oligarchie

  4. BiBi dit :

    @pasperdus
    Bien vu. Bien dit.

  5. Momo dit :

    Sauf que les références à l’histoire sont toujours sottes et simplistes.
    Ma grand mère juive, communiste, ouvrière et résistante pendant la guerre me disait que dans son « réseau » il y avait des tas de gens d’extrême droite. (Et inversement, parmi les collabos des gens qui rejoindront la SFIO plus tard… et je ne vous donne pas de nom vous savez de quel président je parle.)
    Quand elle a été dénoncée en 1943 ces mecs qui passaient leur vie à lui dire des horreurs salasses et racistes ont fait preuve d’un courage inouï pour la faire sortir du trou où elle était. Elle ne saura jamais pourquoi. En 1944 plusieurs d’entre eux seront fusillés par les résistants de la dernière heure. Il faut croire qu’ils faisaient tâche à la gloire de certains.
    Elle vous le dirait encore ma grand-mère ‘ne faites pas référence à l’histoire quand vous en avez que les clichés: la version wall disney et propagandiste où y’a les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. Les humains ne sont pas aussi simples.’

  6. BiBi dit :

    @Momo
    D’accord avec toi sur les références à l’histoire sauf que pour moi, ces retours à l’Histoire ne sont pas là – mécaniquement et automatiquement – pour dire « mêmes causes mêmes effets ». Ces références sont là pour que l’assimilation critique du passé se fasse et qu’on ne réitère pas les mêmes fautes (graves).

    Sur l’histoire de la Résistance, il y a le témoignage personnel (incontestable) et les tendances historiques. Que ta grand-mère ait croisé dans ses réseaux des types d’extrême-droite, je ne contesterai évidemment pas son témoignage mais de là, à sauter un pas de géant (que tu ne fais pas mais que d’autres font allègrement) pour affirmer que ce sont des gens d’extrême-droite qui ont résisté, alors là, non, non, stop !
    Mais d’accord avec ta grand-mère : il est des itinéraires personnels où on peut trouver des sens différents qui ne rentrent pas dans des schémas simplistes.

    Les gens d’extrême-droite étaient dans la LVF, dans la Milice, dans la Cagoule et fracassaient les portes au petit matin pour rafler les juifs résistants et les envoyer là où tu sais.

  7. RST dit :

    Malgré mon aversion viscérale pour la modération à priori qui fait que je ne commente pas sur les blogs qui la pratiquent, je fais une exception (car le sujet est important) pour regretter le côté « gauche sectaire » de plus en plus prononcé de ce blog. C’est dommage car il me semble que cela n’apporte strictement rien au débat. Et je préfère largement une Pascale Fourier qui, tout en étant clairement de gauche, reste lucide et analyse correctement la situation, condition nécessaire pour prétendre apporter des solutions. C’est ainsi qu’elle a écrit récemment en commentaire sous un de ses articles (http://j-ai-du-louper-un-episode.hautetfort.com/archive/2012/04/23/eh-oui-marine-le-pen.html) :
    « Quand nous aurons une Gauche qui saura dépasser enfin son internationalisme mal pensé, son européisme qui ignore les rapports de forces et conchie la démocratie et la souveraineté populaire, alors je pourrai dire à ceux qui votent FN qu’ils se trompent… »
    Je crois que tout est dit, et bien dit en quelques mots.
    Enfin, sur Lordon, certains se trompent quand ils lui reprochent d’être « mou du genou quant à l’engagement politique ». Il a toujours revendiqué une saine séparation du travail : à lui les idées, aux autres l’action. C’est son droit me semble-t-il, non ?

  8. BiBi dit :

    @RST
    Je ne conteste absolument pas le droit pour Lordon de séparer travail et engagement. D’ailleurs, cette alternative est un faux problème car j’ai toujours pensé que le grand engagement de l’intellectuel c’est de réfléchir, penser son domaine de compétences et émettre des hypothèses de travail.
    Il me semble l’avoir écrit beaucoup de mes billets. L’emblème de mon blog (« pensez singulièrement ») va dans ce sens.

    « Côté sectaire de plus en plus prononcé de ce blog « ? Euh…
    Je pense qu’il faut prendre parti : je n’aime pas les attitudes dominantes de scepticisme, de cynisme, de j’men foutisme etc qui sont le lot de beaucoup ( y compris à gauche). Je rajoute enfin que je n’attends pas la perfection chez qui que ce soit pour lui apporter mon modeste soutien et que les erreurs, les fausses routes, les fausses pistes peuvent parfois (nous) mener sur la bonne voie.

    Il n’y a pas de solutions toutes trouvées pour combattre le FN. Je n’ai aucun doute sur ce qu’il est mais je trouve bon de m’interroger ici sur les questions qui me traversent et de les faire partager. Le FN s’appuie sur des slogans (simplistes) qui font écho. Argumenter, prendre acte du Réel pour le transformer suppose vérités relatives, tâtonnements etc et voilà tout le travail difficile de la Gauche.

    Les quelques mots de Pascale Fourier (que je connaissais pas et que tu rapportes) ne suffisent pas pour emporter mon adhésion. A propos de quoi cet « internationalisme mal pensé » ? l' »européisme » de cette Gauche ?, de cette gauche qui « conchie » (bouh le vilain mot) « la démocratie et la souveraineté populaire » ?

    Bien à toi.

  9. Cher BiBi, entièrement d’accord avec ton article. Les procès d’intention faits au PS, sur la base d’erreurs politiques de Jospin, entre autres, ne font pas avancer le schmilBiBLick…

    Il me semble que le Front de gauche, comme Montebourg, ont permis, lors des Primaires socialistes, de montrer à FH dans quelle voie il devait orienter son programme, et son discours d’investiture (qui a rappelé ses engagements de campagne et a lancé une dernière pique « mortelle » à Sarkozy) ne laisse aucun doute sur ce plan.

    Le changement est en route, que cela plaise ou non à Lordon et consorts.

  10. BiBi dit :

    @Dominique Hasselmann
    Tout ce que j’espère c’est que FH ne fasse pas comme Jospin et qu’une fois de plus, le changement soit pour plus tard, c’est-à-dire, dans l’opposé des promesses.
    Que tu n’aies aucun doute sur l’orientation que compte prendre FH, ok, je t’entends, mais… permets-moi d’être beaucoup moins optimiste que toi là-dessus.
    Merci de ta lecture.

  11. de la mata jeanpaul dit :

    Et les filles aussi disent de ton pote le Lindon qu’il est mou ou justement il ne faut pas l’être,le pauvre chou…hé,hé ?
    PS : Mon cher et adoré Sarko se repose au soleil avec sa joli nana…il n’est pas mou ,lui !

    Ta liste d’intello m’a toujours fait rigoler…ce ne sont pas des hommes de terrain ces bipèdes-là !

  12. de la mata jeanpaul dit :

    Le Dominique Hasselman en train de rêver,la preuve ,il a déjà menti 2 fois ton bipède d’Hollande :  » il ne baisse pas le prix de l’essence et encore moins les salaires des patrons…On va bien se marrer pour la suite…hé,hé !

    pS : Mélenchon qui a attendu d’avoir 4 retraites d’élus et 25 de mandats consécutifs pour jouer au nouveau pauvre…Qu’est-ce qu’ils sont naîfs ces intellos de pacotille ?

  13. de la mata jeanpaul dit :

    Ah bon il a fait du changement le Jospin…sans blague ?

    – Seulement pour nous…et toc !

  14. BiBi dit :

    @LaMatajeanpaul
    Faut croire que tu t’ennuies sérieusement sur les Blogs de Droite pour – à nouveau – rendre visite à BiBi.
    C’est qui que quoi dont où ce « nous » dont tu parles ?

  15. BiBi dit :

    @LaMatajeanpaul
    C’est précisément cela qui cloche avec toi : c’est que tu ne peux imaginer une seconde que le travail intellectuel est un travail et qu’un intellectuel – avec les effets de ses hypothèses sur le Corps social – a de l’influence sur le « terrain ».
    Comme explication de ton ressentiment, je parie qu’il faudrait le gratter du côté papa-maman ou du côté scolaire pour comprendre tes incursions-BiBi. T’as pas aimé tes instituteurs ?

    C’est dommage car je pense qu’au fond, tu vaux mieux que tes vilaines diatribes.

    Sur l’anti-Intellectualisme : tes camarades aux chemises brunies ont en pourtant compris l’importance. Tu sais, ça s’appelle de la lutte (idéologique).
    C’est bien pour cette raison que la première de leurs orientations – s’ils venaient au pouvoir – serait d’éradiquer les penseurs et tous ceux que tu méprises.

  16. de la mata jeanpaul dit :

    Sur les blogs de droite :  » Moi ?  »

    Me prendrais-tu pour un pigniouf,( avec un I c’est mieux ) , un trouillard ou un lèche-cul de pseudo, qui va se faire lècher par ses alter-égos sur les blogs de même opinion…comme les faibles et la plupart des intellos…Apparemment tu me prépares une dépression cher petit Bibi de  » Basse-Savoie « …non mais ?

    Que t’arrives-t’il, tu m’inquiètes vraiment mon grand…je viens te voir 4 ou 5 fois par an à cause du foot et de ton amour à nul autre pareil pour mon cher et adoré Sarko…t’as déjà oublié ?

    Lire  » 25 et plus  » pour le Merluchon pauvre…le pauvre chou et  » Nous  » c’est la droite et les patrons évidemment…hé,hé !

    T’arrives à bosser sans patron ,toi le Bibi du bas …ça alors,la classe ?

  17. BiBi dit :

    @Jean paul de la mata
    Ne t’inquiète pas pour moi.
    Et ne t’inquiète pas pour ton copain Sarko au soleil de Marrakech.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *