Charlottesville : la guerre des mots.

A Charlottesville, une voiture fonce sur des citoyens américains. Elle est conduite par un néo-nazi. Bilan : un mort, une jeune femme du nom de Heather Hayer, qui protestait contre la venue de fachos dans sa ville. Voyons comment ici les Médias, censés nous informer, ont parlé de cet attentat.

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Ce qui frappe instantanément à lire la presse française, à regarder les medias audio-visuels, c’est qu’ils n’ont plus vraiment d’ordres à prendre chez Trump. Ils ont déjà tout un langage préparé, pré-digéré, le même que leur grand Ami US. Très au point, ils délivrent leurs messages avec des éléments de langage qui vont revenir en boucle. T’en n’as pas assez ? On va te remettre ça. Par exemple, on nous abreuve du mot «violences» quant à ce qui s’est passé à Charlottesville. Remarquons que Trump utilise le même mot de violence (ce qui lui permet de dédouaner les fachos qui l’ont soutenu en campagne). «Violences» dans la bouche trumpiste, c’est diluer les responsabilités des nazillons, c’est renvoyer dos à dos les deux camps. La presse française, elle, est au diapason. Dans Le Figaro, on évite le mot pour en placer deux autres : «voiture folle». Donc c’est la voiture la grande responsable. Une voiture dont on ne veut pas savoir qui la conduisait puisqu’elle est folle. «Belle» esquive pour ne pas dire que c’est un américain défendant les thèses nazis qui est au volant. Voilà qui me rappelle la «pudeur» des autrichiens à l’évocation du mot «nazi».

Bref rappel en comparaison : en Autriche, dans les conversations usuelles, on parle encore aujourd’hui de «période» lorsqu’on parle de l’Anschluss (1938) ou de la période nazie qui a suivi. Doux euphémisme pour n’avoir pas à prononcer le mot de «nazisme». Ce mot n’apparaît nulle part en Autriche sauf dans un texte de Peter Handke et dans nombre de ceux de l’écrivain Thomas Bernhard.

Cécile Wajsbrot séjournait en 1990 à Vienne (Autriche) et elle écrivait alors : «Et devant ce silence généralisé – comme un cancer généralisé – on comprend l’acharnement de Thomas Bernard à répéter le mot que personne ne prononce («nazi»). Il y a un dialogue extraordinaire dans l’une de ses pièces («Claus Peymann s’achète un pantalon et va manger avec moi»). Peymann, Directeur du Burgtheater et Bernhard se retrouvent dans un café pour déjeuner. Qui est celui-là ? demande Peymann. Le vice-Chancelier ? Un nazi, répond Bernhard. Et le dialogue continue. Et lui ? Le Ministre de l’économie, un ancien nazi. Tout le monde y passe, le gouvernement, les directeurs de journaux, et celui-là ? C’est le Chancelier, un imbécile. Et lui ? Le Président nouvellement élu, un ancien nazi».

Le seul mot de «nazi » incrusté dans le texte de Bernhard avait suffi à en faire une bombe dans le climat de censure d’alors.

Nous en sommes au même point aujourd’hui en France avec cet assassinat à Charlottesville. Trouver le mot «terroriste» est d’emblée exclu. Un certain Didier Giraud dans les «Grandes Gueules» de Radio Monte Carlo balance tranquilou un tweet qui n’est pas loin de sentir très mauvais : «Pourquoi un mec comme Barack Obama a toléré que le KuKluxKlan existe encore ?». On pourrait lui rétorquer : «Dis, Didier de France, t’étais où quand il s’était agi d’interdire le FN ?».

Bon, vous me direz, arrêtons de mettre tous les Médias dans le même sac. Il y a quand-même eu France 24 mais il a fallu attendre 0h36 le 14 août pour que la chaîne prononce le mot «néo-nazi». Pendant ce temps, le Maire de Charlottesville, Mike Signer, parlait plus justement de «terrorisme intérieur».

Pas un mot en revanche du FN. Silence significatif. Ailleurs, tout proche, voilà la présentation de l’attentat chez un média français (non cité par Thomas Porcher mais titre fortement vraisemblable) :«Une rixe avec des militants de la Droite radicale fait 1 mort».

Pour résumer les partis pris des Medias dominants et leurs manœuvres, ces deux tweets : celui de votre obligé :

« Tu vois la Manip’ ? Tu qualifies les fachos de #charlottesville de «radicaux» et puis plus tard, en écho-simili, tu parles de gauche «radicale».

Et cet autre tweet… Note d’humour (mais… est-ce vraiment de l’humour ?) :

«Grande inquiétude au Point, au Figaro, au Monde, à Libe et à l’Express : comment attribuer la responsabilité de #Charlottesville à Mélenchon ?»

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Pour conclure, il n’est pas tout à fait incongru de continuer ici-même de parler d’ELLE. En feuilletant mon petit livre, on tombe sur quelques-unes de ses paroles directement teintées de politique. Et j’avoue qu’ELLE a diablement raison :

ELLE ME DISAIT : «Terrible cette vie qui repose sur l’alternative. Ou policiers ou criminels».

ELLE ME DISAIT : «Curieux artichauts les chemises brunes : des saloperies feuille par feuille et, au bout, même pas de coeur».

ELLE ME DISAIT : «Bizarrerie de la mode contemporaine : sur chaque Chemise brune, on trouve une poche-revolver».

3 Responses to Charlottesville : la guerre des mots.

  1. Robert Spire dit :

    Le discours du politique ou de l’expert se veut toujours retors et complexe pour faire croire qui est le véritable ennemi du moment. On emploi le mot « violence » pour les exactions de l’extrème droite (Le FN est au second tour des présidentielles)et terrorisme pour les musulmans.
    http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/comment-l-ue-camoufle-le-terrorisme-dextr-me-droite-contre-les-musulmans-440004612

  2. Robert Spire dit :

    A propos de l’article du Point du 10 août, une vingtaine de pages d’erreurs historiques, en gros toute la panoplie argumentaire de l’extrème droite sur la Révolution française. Les journalistes de ce torchon craignent-ils une arrivée au pouvoir du FN?

  3. BiBi dit :

    @RobertSpire
    Et bien sur il n’est jamais question de « violences » lorsque Muriel Pénicaud engrange un million d’euros pendant qu’elle (avec son Boss de Danone) fait un plan de licenciement de 900 employés.

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