Livres de lecture.

On n’a pas toujours envie de parler. On a juste ce désir de rester sans voix, sans paroles, de se taire, de laisser venir à nous, moins les lectures (c’est impossible) que les souvenirs de lecture, ceux qui se sont emparés de nous ces derniers temps. Très souvent, trop souvent, les livres s’éloignent, ils nous perdent de vue, les phrases qui nous ont brûlés sont de cendres, émiettées, emportées par les vents. Paysage de désolation. Qu’avons-nous retenu ? Le flux, le reflux, le feu peut-être ? Restent quand-même des bribes qui nous reviennent, qui nous retiennent.

Bribes marines (bretonnes) que celles de Georges Perros s’égrènant sur notre mémoire ensablée : «Quoiqu’il en soit, le flux et reflux de la mer m’a toujours impressionné, non par sa «beauté» mais par son caractère érotique très prononcé. Comme si la terre n’était que l’enfant jeté de ce halètement perpétuel». C’est dans un de ses deux tomes «Papiers Collés». Cet écrivain-pas-comme-les-autres nous laisse parfois devant des interrogations essentielles. A nous de nous débrouiller. On se demande où il veut en venir, qu’est-ce qu’il dit, qu’est-ce qu’il écrit. Ses phrases recouvrent nos rochers, glissent vers l’avant de nos pieds nus puis se retirent avant qu’une prochaine question ne revienne se poser, se déposer. Le Monde devient autre.

Lisons : «Quand on me demande si j’aime la poésie, je ne réponds pas. Car la poésie n’est pas aimable». Du Georges Perros à contre-courant, sans concessions. «Sans la littérature, on ne saurait ce que pense un homme quand il est seul». Un homme ou une femme d’ailleurs. Et puis, expérience personnelle : «Quand on parle à un écrivain de son dernier livre, lui l’a déjà oublié»(1). Et puis aux comédiens, ces trois vagues : «Le mauvais comédien indispose. Le bon tranquillise. Le grand inquiète». Et puis un flash sur les rapports humains (incluons le politique) : «On apprend que X, qui a écrit ce matin même une lettre d’injures ouverte à Z, dîne ce soir chez ce dernier. C’est beau, l’intelligence démocratique. Tout le monde fait joujou. Sacrée Marianne».

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On m’avait conseillé le «14 juillet» d’Eric Vuillard (Actes Sud). L’histoire détaillée des deux jours qui ont soulevé Paris et la Province puis, par ondes de choc, l’Europe, le Monde. Tout le récit est bien mis en place, Vuillard nous donne à profusion des noms, il fait des relevés très précis des métiers, des choses, des gestes, tous disséqués dans la langue d’alors. Tout est minutieux, pas un mot déplacé, chaque ligne a du demander un travail infini sur les archives. Il nous fait suivre les évènements au ras du sol. Ces journées du 13 et du 14 ont eu bien sur un impact hors-normes (oui, une onde de choc grandiose, inouïe, unique, une secousse tellurique, un évènement, du jamais vu, oui, une bascule d’un Monde dans l’autre, tout cela eu lieu en deux journées) mais… qu’est-ce qui fait que je suis resté à l’extérieur, sans pouvoir accompagner le peuple à l’intérieur des murs (du récit) ? J’en suis resté à la prose et non à la prise de la Bastille.

Louis Calaferte voulait lire des «livres qui nous soulèvent». Bizarre impression : le livre de Vuillard porte sur le plus grand soulèvement de l’histoire mais il m’a laissé spectateur, à distance, loin de la fureur, de l’emportement, de la colère des miséreux. C’est justement peut-être la précision maniaque d’Eric Vuillard, ses phrases ampoulées à la sauce 18ème siècle qui m’ont laissé tout froid dans cette nuit chaude, sur le bord de la scène (Seine). Jusqu’à préférer finalement les livres de l’historienne Arlette Farge travaillant sur le même siècle, elle aussi sur fonds d’archives. Livres qui, eux, au contraire de celui d’Eric Vuillard, nous amènent à une fièvre de lecture, à une dévoration de ses travaux, travaux tout en sensibilité et en intelligence. Jamais, ô grand jamais, en pesanteur.

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Luis Sagasti, écrivain argentin, lui, à l’inverse, est plutôt dans la mer démontée. Il a toutes sortes d’anecdotes qu’il nous livre pour en tirer une «substantifique moelle». Il retrouve l’aviateur allemand qui a dézingué l’avion de Saint-Exupéry et nous conte sa «saudade», il nous rapporte l’heure et la date du retour sur terre de Youri Gagarine qui, sortant de sa cabine, croise une vieille dame dans le froid sibérien, il nous amène aussi en Crimée pendant la dernière guerre, on écoute Pete Best, les Beatles ou SunRa. Des anecdotes qui se succèdent en nombre, des flashes que Luis Sagasti veut porter au pinacle pour nous livrer alors – via ce mélange – sa Conception personnelle du Monde. Une Vision résumée dans les premières lignes de son livre «Bellas Artes» : «Le monde est une pelote de laine. Un écheveau dont il n’est pas facile de trouver le bout. Quand on ne le trouve pas, on en prend une partie, on la sort de l’ensemble, on tire un petit morceau de fil et on le coupe d’un coup sec». Voilà son livre bien résumé par lui-même.

On lit. C’est Dylan Thomas et ses succulentes nouvelles sur son enfance, adolescence, âge mur passés en Pays de Galles. C’est «Portrait de l’artiste en jeune chien».

On lit et puis on relit aussi. C’est Shakespeare et son «Macbeth» qui écoute – incrédule ?- les trois sorcières lui prédisant dans un futur proche une couronne royale. Il sera évidemment Roi. Les trois sorcières qui s’évanouissent dans le brouillard laissent donc ce futur Roi, sidéré, tout à ses démons. Dans cette avalanche de livres lus, tout se mêle, s’embrouille, on revient à ces onze mots de Georges Perros : «La vie est une aveugle qui tient l’homme en laisse». Enchaîné à la vie, ébloui. Jusqu’à en être aveugle ?

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Retour ensuite à la lecture banale et basique, celle du quotidien. Retour aux hebdomadaires et aux Mensuels.

Ici «La Décroissance» à 3 euros avec la chronique sans concession du toujours lucide Alain Accardo. Où il est question ici aussi d’aveuglement, de vues mortifères, de mort et de convoi funèbre.

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(1). C’est vrai qu’en tant qu’homme qui écrit, livre achevé, je ne pense qu’au suivant. Mais perdure cette période de deuil où – enthousiasme apparent – je cherche bien entendu à vendre l’ouvrage. Quand on a choisi l’auto-édition, on a accepté de se soumettre aux contraintes du Service après-vente. On ne se plaindra pas ici. Pas de pleurnicheries. Voici donc mon ultime étape : me parer des habits du Représentant de Commerce pour faire disparaitre définitivement mon ouvrage dans les bras de la lectrice et les yeux du lecteur.

Enfin, pour en revenir à «ce qui reste quand on a lu», ce qu’ELLE disait est juste. Page 43 de mon livre… à commander ici et, pourquoi pas, à… recommander.

One Response to Livres de lecture.

  1. Robert Spire dit :

    Sur la période « Révolution française », les travaux de l’historienne Sophie Wahnich offrent un angle novateur de compréhension. Et qu’on peut lire en complément des détails de la vie au 18e siècle des bouquins d’Arlette Farge.

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