Billet pour lecteurs déjà nés et déjà morts.

Faut-il rajouter un commentaire ? Non, bien entendu. Ce lundi matin, voilà deux relevés typographiques qui feront le bonheur des fidèles de BiBi. Le taulier remerciera le subtil site « La Main de Singe » (un site au poil) pour la découverte de Giorgio Manganelli.

_________________________________________

Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, «En finir avec les chefs-d’œuvre», Gallimard. Chapitre VII.

« Les chefs-d’œuvre du passé sont bons pour le passé ; ils ne sont pas bons pour nous. […]
Laissons aux pions les critiques de textes, aux esthètes les critiques de formes, et reconnaissons que ce qui a été dit n’est plus à dire ; qu’une expression ne vaut pas deux fois, ne vit pas deux fois ; que toute parole prononcée est morte et n’agit qu’au moment où elle est prononcée, qu’une forme employée ne sert plus et n’invite qu’à en rechercher une autre, et que le théâtre est le seul endroit au monde où un geste fait ne se recommence pas deux fois. Si la foule ne vient pas aux chefs-d’œuvre littéraires c’est que ces chefs-d’œuvre sont littéraires, c’est-à-dire fixés ; et fixés en des formes qui ne répondent plus aux besoins du temps ».

*

Giorgio Manganelli, La Littérature comme mensonge,L’Arpenteur 1991, trad. P. Di Meo

« Faire de la littérature n’est pas un geste social. Elle peut trouver un public; toutefois, dans la mesure où elle est littérature, il n’en est que le destinataire provisoire. Elle est créée pour des lecteurs imprécis, à naître, destinés à ne pas naître, déjà nés et déjà morts; et même pour des lecteurs impossibles. À l’instar du discours des déments, il n’est pas rare qu’elle présuppose l’absence de lecteurs. En conséquence, l’écrivain éprouve quelque peine à suivre les événements; comme dans les vieilles comédies, il rit et pleure à contretemps. Ses gestes sont gauches et clandestinement exacts. Très imparfait est son dialogue avec ses contemporains. Il s’agit d’un foudroiement tardif, ses discours sont inintelligibles à beaucoup, à lui-même. Il fait allusion à des événements arrivés d’ici deux siècles ou qui arriveront trois générations avant lui ».

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *