Johnny, Johnny, Johnny.

C’est curieux comme la mort de Johnny Hallyday a remué le pays. Il y a eu ceux qui ne voulaient pas en entendre parler en prétextant que «trop c’était trop », il y a eu ces autres, mi-mélancoliques mi-heureux, qui se sont réjouis au contraire qu’on en parle. Beaucoup ont vu beaucoup d’images (concerts récents du XXIème siècle, rétros-Drucker, images du Golf-Drouot), beaucoup ont ré-écouté les vieux refrains, de Kiliwatch à Allumer le feu, de Souvenirs, souvenirs à Quelque chose de Tennessee.

On a aussi fait beaucoup parler : micro-trottoirs, interviews TV à la sauvette, pleurnicheries et vrais drames personnels, indifférences ou exaltations. Toutes les postures – fans ou non – y sont passées (de Line Renaud gna gna à Macron rigolard à La Madeleine).

Laissons de côté la «Récupération», récup d’autant plus facile que le chanteur a toujours été du côté des Pouvoirs (de De Gaulle à Sarkozy, des Balkany invités de marque au domicile de Saint Barth à Macron tout dernièrement en repas privé). Passons sur le Johnny résident à Gstaad, soutien de Polanski son voisin, multi-milliardaire ne payant pas ses impôts en France mais y accourant pour se faire soigner.

Restons sur cette image d’ Idole de la Chanson. Précaution d’importance à prendre : je ne juge aucun artiste, dans son art, à l’aune de ses positions politiques (revendiquées ou non). En les superposant, on dénierait à toute pratique signifiante sa relative autonomie. Important l’accouplement de ces deux mots : autonomie relative. Ce biais permet de faire la part des choses. Chez tout humain en position de faire, de créer, d’assimiler le passé et le travail passé des artistes (dans une période historique donnée), il y a toujours quelque chose qui le dépasse.

Et là, il faut reconnaître que l’énergie (surtout sur scène) d’Hallyday avait quelque chose d’une force quelque peu nietzschéenne et que cette force (même toc) a touché du monde (des vieux de la vieille comme les enfants du Rock). Mais laissons aussi ça. Là-dessus, beaucoup de choses ont été dites, rabâchées, redites, re-rabâchées jusqu’à l’écœurement.

Restent ces deux hypothèses : 1.ce n’est pas Johnny qui a fait parler, c’est la mort tout bêtement. La mort : une chose dont on ne sait que faire, dont on sait qu’en dire, dont on ne sait qu’en montrer et dont on a peur. Et secondairement : 2. la mort de Johnny, c’est la mort d’une idole, la mort de quelqu’un considéré comme hors-du-commun, phénomène, Dieu célébré au Royaume des Hommes.

Johnny mort ? On ne l’a pas vu. Un mort, tu peux toujours le présenter (Chocottes des Medias à montrer cette image ?) mais la mort, elle, est irreprésentable, on la rate toujours puisqu’à la dire, on est encore vivant. Tout ceci est bien embêtant pour ces Instances de Représentation que sont les Médias. Comment ces derniers se défendent-ils pour ne pas perdre la face, pour masquer la Peur devant la Grande Faucheuse ? Hé bien, ils pérorent, ils déroulent des kilomètres de câbles, ils construisent des podiums, ils ont des Envoyés Spéciaux, ils tendent des micros à qui veut, ils sortent des guitares, ils s’apitoient sur la détresse des fans, ils ravalent leurs sanglots ou en font des tonnes dans le dithyrambe et le grotesque etc etc etc.

Hier, autour d’une table de bistrot, une dame un peu éméchée trouva le juste accent pour lâcher cette vérité : «Ce n’est pas vraiment Johnny que je pleure, c’est ma jeunesse perdue». Et tout le monde autour de baisser la tête. Car il y avait effet de vérité. Et cette simple phrase a emmené des tas d’autres questions et réflexions : « Putain, c’est vrai, il est où le défunt ?  C’est comment un mort célèbre ? ça meurt comme nous ? Est-ce qu’il ressemble à mon grand-père ? Est-ce que, mort, ça bouge encore un rocker ? ça n’a quand-même pas des soubresauts, hein ? Une star qui meurt, c’est vraiment comme nous ? Ducon, t’es pas encore mort. Et pourquoi on nous confisque ce Last Johnny ? Pourquoi il ne serait pas apaisé notre Johnny sur son lit de mort ? Et pourquoi on nous le cache ? J’aimerai bien le voir ».

Toutes ces questions, elles étaient là, plus que présentes au bistrot mais tues à la télé, à la radio du week-end. C’est qu’il ne faut pas en parler.

Et alors, tu comprends tout à voir toute cette faune droitière et/ou bourgeoise (de Lelouch à Bruel, de Raffarin à Brigitte Macron), tu réalises à voir cette overdose d’images, de rétrospectives, de bla bla bla que le Monde libéral est soudainement devenu… impuissant.

Impuissant, ce Monde qui se glorifierait presque de te garantir l’immortalité. Impuissant, lui qui fait la promotion de la Jeunesse éternelle et qui te présente des êtres à la Santé resplendissante à chaque clip et panneau publicitaires. Impuissant ce Monde à combler ce trou qui t’attend et qui m’attend (au cimetière ou au crématorium). Impuissant que ce Monde libéral : il a beau saturer ses écrans, distiller des conseils de beauté, te vendre des liftings et du bottox, te pousser à modeler et remodeler ta peau – rien n’y fera : un jour ou une nuit, hop hop, tu disparaîtras.

Dans cette orgie d’images, une seule est restée interdite, non-vue, c’est le corps de l’Idole dans son cercueil (pudeur de ce Monde soudainement tremblotant à le montrer – sauf peut-être via quelques vols de clichés futurs de paparazzis). C’est ce même corps dont on n’a pas cessé de vanter le physique, le tonus, la rage, le déhanchement (il se roulait par terre au Palmarès de la Chanson de Guy Lux), le courage, les torsions, la voix puissante et le visage tout en sueur.

C’est que via cette interdiction de voir, il y a cette volonté d’imposer l’image d’un Johnny immortel. Avec comme idée centrale que, dans la vie, dans cette vie de Malheur qu’on vit sous l’ère du Grand Capital, rien ne change, tout reste en l’état, rien ne vieillit, tout reste en état de jeunesse. La grandeur de Johnny restera donc intacte, comme elle l’a toujours été, toute auréolée de gloire et de beauté inoubliable.

Et toi, pauvre lambda, qu’est-ce qu’il te reste ? Te reste cette illusoire possibilité que t’offre le libéralisme : te condamner, toi encore vivant, à désirer éperdument l’existence des autres (d’un autre). Surtout n’essaye pas de vivre la tienne : elle est merdique. Alors, ferme-la et marche droit.

Plus que jamais, on t’obligera à être plus que le sosie de Johnny. Il faudra que tout en toi, tout de toi, soit du Johnny, exclusivement du Johnny.

Et tu y croiras car les Anges qui ont pour nom Michel Drucker, Stéphane Bern, Rédacteur de Paris-Match, seront là, à tes côtés, en pères aimants, en animateurs de ta vie. Et tu y croiras car ils ne cesseront de te chuchoter la grande Histoire du Dieu Johnny, ils te serineront encore et encore la fabuleuse histoire de notre Idole jusqu’à ce que tu l’emportes, que nous l’emportions tous… au Paradis.

5 Responses to Johnny, Johnny, Johnny.

  1. THABAUD dit :

    Je n’ai pas été sensible à la mort de Johnny… C’ est grave Docteur ? D’ailleurs à l’époque où j’aurai pu l’écouter…. J’étais à l’île de wight….. très loin de Salut les copains….. Bref….je trouve que cet enterrement très médiatisé à été mené comme une belle opération commerciale…. La mayonnaise à pris apparemment….. Pendant ce temps…….. notre espace de liberté rétrécit chaque jours….. Je suis contente de vieillir…… Que les jeunes se battent pour créer leur monde…… Nous l’avons bien fait…. et maintenant ce n’est plus de mon âge….. Amitiés Bises

  2. Robert Spire dit :

    « Il [le mot « amour »] donne bonne conscience, sans gros efforts, ni gros risques, à tout l’inconscient biologique. Il déculpabilise, car pour que les groupes sociaux survivent, c’est-à-dire maintiennent leur structure hiérarchique, les règles de la dominance, il faut que les motivations profondes de tous les actes humains soient ignorées. Leur connaissance, leur mise à nu, conduirait à la révolte des dominés, à la contestation des structures hiérarchiques. »

    « Même en écarquillant les yeux, l’homme ne voit rien. Il tâtonne en trébuchant sur la route obscure de la vie, dont il ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va. Il est aussi angoissé qu’un enfant enfermé dans le noir. C’est la raison du succès à travers les âges des religions, des mythes, des horoscopes, des rebouteux, des prophètes, des voyants extralucides, de la magie et de la science d’aujourd’hui. Grâce à ce bric-à-brac ésotérique, l’homme peut agir. Du moins il ne demande qu’à le croire pour soulager son angoisse. Mais, dès sa naissance, la mort lui passe les menottes aux poignets. C’est parce qu’il le sait, tout en faisant l’impossible pour ne pas y penser, qu’il est habituel de considérer que lorsque des primates ont enterré leurs morts en mettant autour d’eux leurs objets familiers pour calmer leur angoisse, dès ce moment, ces primates méritent d’être appelés des Hommes. »

    « On aurait pu espérer que, libérés de la famine et de la pénurie, les peuples industrialisés retrouveraient l’angoisse existentielle, non pas celle du lendemain, mais celle résultant de l’interrogation concernant la condition humaine. On aurait pu espérer que celle résultant du temps libre, autorisé par l’automation, au lieu d’être utilisé à faire un peu plus de marchandises, ce qui n’aboutit qu’à mieux cristalliser les dominances, serait abandonné à l’individu pour s’évader de sa spécialisation technique et professionnelle. En réalité, il est utilisé pour faire un recyclage au sein de cette technicité en faisant miroiter à ses yeux, par l’intermédiaire de cet accroissement de connaissances techniques et de leur mise à jour, une facilitation de son ascension hiérarchique, une promotion sociale. Ou bien on lui promet une civilisation de loisirs. Pour qu’il ne puisse s’intéresser à l’établissement des structures sociales, ce qui pourrait le conduire à en discuter le mécanisme et la validité, donc à remettre en cause l’existence de ces structures, tous ceux qui en bénéficient aujourd’hui s’efforcent de mettre à la disposition du plus grand nombre des divertissements anodins, exprimant eux-mêmes l’idéologie dominante, marchandise conforme et qui rapporte. »

    « Ceux qui profitent de cette ignorance, sous tous les régimes, ne sont pas prêts à permettre la diffusion de cette connaissance. Surtout que le déficit informationnel, l’ignorance, sont facteurs d’angoisse et que ceux qui en souffrent sont plus tentés de faire confiance à ceux qui disent qu’ils savent, se prétendent compétents, et les paternalisent, que de faire eux-mêmes l’effort de longue haleine de s’informer. »
    L’éloge de la fuite, Henri Laborit-1976 (pour donner une bonne « Envie d’avoir envie »)

  3. AgatheNRV dit :

    Je dois dire que je n’ai rien vu. Pas une seule image de l’icône retricotée par le pouvoir. Divertir le pauvre. On connaît la chanson…
    Il a eu une montée de lait Sarko sur ta photo ?

  4. Raymond Gruss dit :

    Un peu d’humour (noir?)
    Dans toutes ces rétrospectives nauséeuses, personne (même le « copain » Drucker) n’a songé à rediffuser:
    « Pour moi la vie va commencer… »

  5. Brenon dit :

    que dire ? j’aimais pas trop Johnny, ses chansons, ses choix sa mort m’a laissé indifférente en même temps quand la mort nous touche vraiment t elle de près pour ma part j’ai donné de ce côte alors le chagrin collectif bof…
    En revanche sans doute un dernier pan des 30 glorieuses s’en est allé ….

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