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« Mi fugue mi-raison », roman social. Entretien avec l’auteur.

Les éditions L’Harmattan viennent de publier fin février « Mi fugue mi raison » de Madani Alioua (1).

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Pensez BiBi : C’est ta sixième fiction. Tu avais reçu le Prix du Bourbonnais 2022 pour ton livre précédent (« La Guerre N’Oublie Personne ») un roman sous forme de journal intime sur le Vichy 1940-41, une ville très rarement mise en fiction (2) alors quelle a été la Capitale de l’Etat français pendant quatre ans. Cette fois-ci, tu délaisses l’Histoire.

Madani Alioua : C’est toujours à partir de chocs que je me lance dans la fiction. Chocs artistiques, sentimentaux, culturels et/ou politiques. En inventaire de mes 6 livres : mon voyage en Hongrie avant la chute du Mur, le cinéma de Jean Eustache, le musée Van Gogh d’Amsterdam, le football jeu de mon enfance, la beauté du Périgord, l’Histoire du Vichy de la Collaboration. Avec cette dernière fiction publiée en février, j’ai voulu évoquer mon présent et mon passé de travailleur social. Mes deux héros sont plongés dans une intrigue très simple : un éducateur spécialisé (le récit est à la première personne) part pour un long voyage en train afin de récupérer Marvin, un mineur en fugue.

Une grande partie de ta fiction se passe dans le train. Pourquoi ce choix-là ?

M.A : Précisons. Ce n’est pas n’importe quel train. Il s’agit de ces trains qui disparaissent peu à peu, remplacés aujourd’hui par ces machines à grande vitesse au fuselage impressionnant. L’éducateur est dans un train à compartiments avec un couloir sur le côté. Ces espaces sont certes confinés et de taille réduite mais, paradoxalement, ce sont des lieux d’ouverture. C’est là que l’éducateur entreprend la re-lecture de dossiers sur Marvin qu’il a emportés, là aussi qu’il croise la multitude de voyageurs qui vont, viennent, montent, descendent, disparaissent. Bref un espace de partage obligé, non choisi. Ce compartiment est aussi propice à ses rêveries, espace de sociabilité où se jouent des moments de vie des voyageurs. Dans ma fiction, mes voyageurs sont des mères présentes qui accompagnent réellement leurs enfants ou qui parlent d’eux en leur absence. Un des autres occupants est aussi ce Correcteur qui corrige des manuscrits.

Le train, c’est aussi la régularité du bruit. Celui des roues sur les rails, ce po-pom, po-pom qui rythme ton récit.

M.A : Ce po-pom po-pom a une grande importance. Il donne la cadence. C’est une sorte de métronome qui accompagne la rêverie de mon héros. Dans le roulis bruyant et régulier du train se réactivent des souvenirs enfouis, souvenirs d’une inquiétante étrangeté, réminiscences toutes surgies de sa propre enfance. C’est d’ailleurs une réflexion d’un enfant à sa mère sur cette régularité (« Maman,  ce po-pom, po-pom c’est toujours pareil ») qui me permet justement de dire qu’au contraire, au bruit répétitif et manifeste des roues sur les rails, il y a la force du réel qui s’y oppose car rien n’est jamais pareil. Il y a le bruit mais il y a aussi ce paradoxe que tout passager est assis, immobile, figé, cloué sur sa banquette alors que le train, lui, bouge, roule, s’arrête, repart.

Restons sur le thème de l’enfance qui est un fil rouge de ta fiction.

M.A : Petit à petit, dans les cahots du train, une pensée essentielle va s’imposer dans la tête et la chair de mon héros. « Tu crois, se dit-il, que ton devoir c’est de t’occuper des enfants, mais non, c’est ton enfance qui t’occupe ». Le retour réflexif sur le travail d’accompagnement de Marvin en établissement va entraîner le travailleur social dans deux directions : l’une sur ses « erreurs » dans son accompagnement éducatif, l’autre sur l’indispensable et nécessaire support freudien qui touche au « roman familial des névrosés ».

Dans ta fiction, le mineur en fugue n’apparaît pas. Ce sont les dossiers, les rapports de comportement qui en dessinent les contours.

M.A : C’est peut-être la lecture de l’extraordinaire « En attendant Godot » de Samuel Beckett qui m’a influencé. Je me suis servi de ce silence, de cette absence pour montrer que tout enfant, tout adolescent recèle pour l’autre une part d’Inconnu, et ce quoiqu’on fasse. On parle de Marvin. Lui, ne parle pas. Ce n’est jamais ses mots à lui mais toujours des mots des autres sur lui. Le mineur est parlé plus qu’il ne parle. L’imaginaire sur l’autre peut aussi bien nous brouiller la vue que nous l’éclairer. Par cette absence dans le récit, j’espère avoir montré le poids de Marvin. Cette part inaccessible chez l’Humain doit continuer de poser question à tout travailleur social et plus généralement à tout humain dans son rapport à l’autre.

Ton éducateur écrit des fictions à ses heures perdues. Il a été publié mais ses romans ont peu rencontré de lecteurs. Du coup, il s’est lassé, il ne veut plus écrire.

 M.A : Il veut se consacrer désormais uniquement et totalement à ses tâches professionnelles. Mais de la passion d’écrire, on ne s’en débarrasse pas aussi aisément. Son bon-vouloir ne suffit pas. Cette passion brûle en lui malgré son déni. Elle est là, tapie au fond de lui et peut le submerger à tout moment.

Même si les rapports de comportement sont travaillés en équipe éducative, l’écriture du professionnel flirte souvent avec l’écriture romanesque. De façon générale, l’écriture est souvent source de souffrance pour les travailleurs sociaux, non ?

M.A : Oui, ce n’est pas chose facile. Rajoute que pour les travailleurs sociaux, la chose est obligatoire : tout éducateur doit tenir informé le juge, l’administration, les parents etc. Il est donc obligé d’exposer sa vision, sa perception du mineur. Le travail de réflexion en équipe n’y change pas grand-chose.

Mais ton héros, lui, a plus de facilités dans l’écriture. Il est plus rôdé, non ?

M.A : Détrompe-toi, même plus à l’aise dans l’écriture que ses collègues, mon héros est aussi traversé par cette difficulté. C’est en fabriquant ce personnage d’éducateur-romancier que j’ai pu poser cette question: celle des similitudes et des différences entre l’écriture professionnelle et l’écriture romanesque. En relisant les dossiers sur Marvin, voilà mon héros qui se met en rogne contre l’écriture d’un collègue. Il s’apercevra plus tard que ce dossier en question, hé bien, c’est… lui qui l’avait écrit.

Ici un souvenir plus personnel : je venais d’avoir mon diplôme d’éducateur. Le lendemain, je m’étais retrouvé dans un bus rempli d’enfants criards et indisciplinés. Rien à voir avec le travail, j’étais en congés. Dans ce bus, j’étais dans l’impossibilité de quitter ma place, de descendre. Je me souviens de mon agacement, de mon exaspération devant ce chahut, moi qui avais fait vœu d’embrasser fièrement ce métier si noble ! J’ai repris à peu de choses près cet épisode dans mon livre pour montrer tous ces mouvements transférentiels positifs et négatifs (de ces derniers, les travailleurs sociaux en parlent moins) qui nous agitent tous face à un, face à des enfants.

Un mot sur ce titre de « Mi fugue mi raison »….

M.A : C’est en recherchant un titre pour un hypothétique roman que mon personnage d’éducateur-romancier a fait ce lapsus. Sans dévoiler la fin de mon roman, sa mission se révélera être un déplacement mi-figue mi-raisin mais mon héros le traduira de façon énigmatique en « Mi fugue mi raison ». Je ne sais si, avec ce titre en lapsus, mon héros se remettra à écrire des fictions après sa longue période de refus. En tous les cas, ce titre résume bien, en miroir ajusté… mon sixième roman !

Merci à toi mais je tiens à préciser que ton récit peut toucher tous les publics. Je pense à tous les citoyen(ne)s qui s’intéressent aux questions de l’enfance et de l’adolescence. Des questions qui sont portées prioritairement par tous ceux et toutes celles qui ont choisi de travailler dans l’Aide sociale et la Protection de la Jeunesse.

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(1) « Mi fugue mi raison » (Editions L’Harmattan) est le sixième roman de Madani Alioua. Au prix de 12 euros, dans toutes les librairies de France. Ici sa fiche de promotion complète sur ses six romans (avec articles de presse).

(2) Le précédent livre de Madani Alioua (« La Guerre N’Oublie Personne. Vichy 1940-41 » aux éditions L’Harmattan) a reçu le Prix du Bourbonnais 2022. Sur ce livre, voir les deux billets 1 et 2 qui lui sont consacrés.