Category Archives: Les Fictions BiBi

Ségolène Royal et la baigneuse de Coney Island.

Lorsque BiBi a ouvert le « Monde », le Monde s’est ouvert à lui sur ces deux photos : l’une couvrant la Une du « Monde Magazine » (Ségolène Royal, l’Effrontée) l’autre se trouvant en page intérieure, dans les replis de l’édition du samedi («La Baigneuse de Coney Island » photographiée par Lisette Model).

Malgré le Monde qui les sépare, ces deux photos se sont imposées à lui ensemble. En écrivant sur cette contigüité, BiBi s’est (un peu) découvert à lui-même, s’est un peu ouvert, à son tour, au Monde.

Quand les modèles ne fixent pas l’objectif…

Ségolène a déjà glissé, les yeux fermés, entre chatouilles et jouissance. Elle se veut hors-temps. La New-yorkaise se laisse attendrir, toute présente au Présent. C’est dimanche  de sortie, et la voilà – comme souvent les dimanches de printemps et d’été – sur le sable de Coney Island : elle a fini, un peu éreintée, sa longue semaine chez Harper’s (Dieu que les clientes ont été exigeantes !) et elle se prélasse dans le maillot de bain acheté en soldes l’année précédente.

Deux femmes, deux plaisirs.

Frères de langue (Kafka, Beckett, Cioran).

« Tu m’interroges sur mes maux et sur mes élancements : pas d’inquiétude ! Les aiguilles dans ma tête sont aiguisements de mes pensées, aiguillons dans mon phrasé.

La Maladie de la Lecture m’a rendu, me rendra la Santé resplendissante. Les souvenirs sur les livres ont resurgi à vitesse grand V. Les brûlures et les baumes avec. J’ai repris Kafka quelque trente ans après. Comme au premier jour : peur, effroi devant les déplacements incongrus de Grégoire Samsa, devant le sifflement de sa Souris, les postillons de la toux de son Singe. Et que dire de l’écrivain pragois, en fin de vie,ventriloque au Sanatorium de Kierling et soutenu par Dora Dyamant, s’émerveillant tous deux d’une plante buvant son eau ?

Il est des Oeuvres de destin qui font bouteille d’oxygène. Des livres par lesquels on respire. Pas besoin de savoir qui, comment, pourquoi. On branche le premier mot et c’est instantanément la Vraie Vie qui s’installe et nous envahit. En refermant tel livre, nous voilà désemparés, incrédules, cherchant à nouveau un second souffle.

Je relis les Irlandais ce début de semaine. James Joyce, presque juif, est Terre promise à lui tout seul. Samuel Beckett, lui, écorche jusqu’au sang la chair des mots français. Tous deux invités de la Langue française (comme Cioran) – sans égards pour leur Mère d’adoption.

Diaboliques, eux aussi, en toute innocence. Ils volent les bébés dans les berceaux.

Ils sont mes frères de langue».

Photographie de Cioran par Marc Trivier, E.M. Cioran, Paris, 1983.

Songe d’une Nuit d’Hiver.

«Pléthore de souvenirs : des Lieux surgissent, se confondent. Oh, très bien de rester accroché aux lieux mais faire attention de ne pas s’y laisser enfermer. Prague tout à coup. Visions d’un séjour antérieur. «Oui, rester, rester, rester un Exilé de l’Intérieur. Se promener sur les Ponts Saint-Charles des Cinq continents. Rester un Bohémien de Bohême sur les routes du Monde».

Habitant au bord d’un Lac, on pourrait croire que je pratique la Navigation intérieure. Mais non, j’exècre la Voile. Ici, les Marins d’eau douce et leurs Chris-craft ont une sale gueule. Et pourtant la Voile m’importe, plutôt le mot, oui, le mot voile qui m’enrobe de ses atours, qui glisse sur ma peau et bat à tous les vents. C’est de voile de Chine, de voilage, de l’étoffe légère, du maillage des mots volants dont je veux parler.

Les bateaux à voile, je les laisse couler ».

Lecteurs gloutons, lecteurs d’Elite.

 

Lecteurs gloutons, lecteurs d'Elite.

A plusieurs reprises, BiBi a rencontré des Lecteurs d’Elite, des Lecteurs-gloutons. Ils se veulent nouveaux Manifestants de l’Art de Lire. Ils étalent leur confiture culturelle et nous en font des tartines. BiBi ira t-il leur serrer la main ?

Les Lecteurs gloutons disent lire au taux supérieur, ils font dans la bravoure, ils font les incollables à merveille, ils connaissent comme pas deux le Prague des années vingt, le Londres du Dix-septième, le Paris de la Bohème ou la Route de Kerouac. Ces mêmes lecteurs – pour peu que vous les côtoyiez assez longtemps – s’endorment pourtant paisiblement après une rencontre avec Macbeth, ils ne connaissent aucune sorte d’insomnie dans la demeure de Grégoire Samsa et peuvent dormir sur leurs deux oreilles après avoir trinqué avec Artaud le Mômo.

BiBi ne s’en cachera pas : il n’a aucune considération pour ces Lecteurs aristocrates, pour ces Lecteurs d’élite qui veulent faire l’économie de certaines lectures, qui se croient toujours dispensés de saluer la Beauté, qui font la sourde oreille aux suppliques de Richard III et au coup de canon du Suicidé de la Société, qui haussent les épaules en passant devant l’hôpital de Rodez ou la maison de Croisset et qui évitent les champs de blé trop brûlants de Vincent le Hollandais. Oh pour ça oui, ils ont visité la Vieille Castille du Quichotte, ils se sont payés les bagnes à Cayenne ou la visite d’Aden, ils ont choisi de survoler le Désert des Tartares en Jet privé, ils ont raboté à la menuiserie de Tübingen, oh oui, oui, mais c’était pour pique-niquer, pour manger du bout des doigts et se rincer l’œil. Ils s’en sont revenus bien vite fatigués, et tenez, ils trouveraient encore tout un tas de raisons pour ne pas inviter notre cher et précieux Pantagruel à leur table, oui, c’est que ça ferait trop gros, pour ne pas suivre Quichotte sur son terrain, oh ça ferait trop maigre, ou rejoindre Crusoë sur son île, sur, bien sur que ça ferait trop loin.

Eh bien, que ces Lecteurs-là aillent se faire cuire un œuf à l’île de Pâque ou à la Trinité, qu’ils aillent manger de la vache enragée dans la Pampa ou à Pampelune, faire un Tour-Operator à Tours, chiner à Chinon ou s’échiner en Chine ! Cela importe peu à BiBi, bien peu.

Ces Lecteurs gloutons ! Ils lisent sans arrêt mais sans être en arrêt, ils dévorent, engloutissent, ils se réservent toujours une excellente table, font toujours un excellent repas et parlent toujours excellemment à d’autres excellentes personnes, ils avalisent presque tout, ils ingurgitent tout, pas un morceau choisi ne manque à leurs conversations et pas un Grand Auteur à leurs Inventaires. Ils sont tout beaux, oui, d’excellente tenue, d’excellentes familles, ils vont de colloques en colloques sans la moindre colique, ils ont tout lu, tout vu, tout entendu et bercés par l’Harmonie du Monde, ils se disent en règle avec la Poésie. Aujourd’hui, on peut même trouver, parmi eux, des chefs d’Entreprise distingués, pas du tout ceux du siècle dernier,Capitaines d’Entreprise, hommes  modestes ou médiatiquement généreux, ils ont toujours fière allure, genre beau-ténébreux-un-livre-à-la-main, toujours prêts à vous faire tourner la tête…

Ces Lecteurs d’Elite transforment toujours l’Événement du Lire en un Profit pour l’Actualité, ils comptent sur la Notoriété accumulée et la Performance à répétition, ils veulent lire sans l’Epreuve de la lecture, ils veulent lire sans les crocs dehors et les accrocs en dedans. Ces Aventuriers de la Lecture-maison, ces Boulimiques ultra-chic et tout-puissants, ces Lecteurs-rentiers évitent soigneusement l’Epreuve, ils confondent vitesse et précipitation, ils tournent la page, encore une page, une autre, vite vite encore une autre. Dans cette Grande Parade de la Lecture, il leur manque la grande Peur au ventre, la Tenue débraillée, l’Épreuve du Choc qui ne fait pas chic, il leur manque les chocottes, les blessures de la chicotte et les cicatrices avec.

Qu’ils restent donc cloués à leurs sièges et à leurs croix : BiBi n’ira pas les décrocher. Qu’ils restent donc à se tourner les pouces ou à tourner leurs pages, ça évitera à BiBi d’avoir à leur serrer la main.

Lettre d’une Amie italienne à C. (1)

BiBi a récemment reçu une lettre à son adresse. Une erreur de la Poste probablement. Il s’agissait de trois feuillets destinés à une certaine C. et envoyés par son amie d’enfance italienne. C. la destinataire de cette lettre, s’est, semble t-il, réfugiée dans un long, inquiétant et incompréhensible silence.

Les trois feuillets ne portaient aucune signature, aucun signe distinctif. BiBi pense qu’il sera très facile de retrouver l’expéditrice car aujourd’hui, les traces d’ADN derrière le timbre-poste permettraient de la découvrir. Pendant un court instant, BiBi s’est demandé s’il ne s’agissait pas d’un rêve… mais non, le courrier existe bel et bien. La preuve en trois feuillets (1) (2) (3).

Lettre à C. 1