« Des livres qui vous soulèvent ». (A propos d' »Apostrophes »).

 Ci-git-un-lecteur

Dans les années 80, j’ai assez souvent regardé l’émission de Bernard Pivot, «Apostrophes». A cette époque, en parallèle, j’étais tombé sur certaines productions de petites éditions littéraires, un peu underground, hélas très confidentielles mais revues ouvertes, libres, offensives, novatrices.

Avec cette lecture qui marchait l’amble, je voyais un écart grandissant entre la Dominante Apostrophes (et son approbation hebdomadaire d’une littérature d’accompagnement) et les Dominés (adeptes d’une littérature rageuse, jamais conforme aux canons de l’époque).

Puis est venue ce matin, le post de @bernardpivot1 sur mon compte Twitter…

   Lecture finie

«Un rabbin disait que, si Moïse avait appliqué le principe de précaution le peuple juif serait encore de l’autre côté de la Mer Rouge».
Je m’en amusais reprenant ce tweet au vol pour poursuivre sur ce «principe de précaution» en égratignant – crime de lèse-majesté ?- gentiment Bernard Pivot :
«Contre la littérature à risques @bernardpivot1 a choisi ce «principe de précaution» en animant Apostrophes pendant tant d’années (Humour ?)».
S’ensuivit une réaction à forte adrénaline d’une «groupie», admiratrice de l’émission (@ChMeggle), fan de D’Ormesson et de Paul Guth qui contesta chaleureusement mon opinion.

Aux noms que j’avais cités, Bernard Pivot lui-même vint rectifier mes deux erreurs. Il avait bien invité Calaferte et Georges Haldas – ce que j’admets volontiers. Mais, pour moi, l’important se situait bien ailleurs, comme je le répétais par ce constat à Bernard Pivot et à la passionnée d’Apostrophes :
«Nous n’avons pas les mêmes valeurs. Plus que sur des noms, c’est sur le sens de la littérature qui se dégageait de l’émission que je fonde mon désaccord».

PhotosWalser

Je ne vais pas ici faire l’inventaire et une étude précise sur les nombreux noms des invité(e)s : écrivains consacrés, «honnêtes» écrivains, petites mains inoffensives, coups de grande gueule à la Bukowski – une fois mais pas deux, hein ? etc). Encore dois-je rappeler avec force qu’il y a eu tant d’auteurs (comme de tendances littéraires) ignorés. Plus intéressant d’ailleurs serait de recenser plutôt les Maisons d’édition invitées… On verrait probablement les écarts qui séparent les Maisons poids lourds et celles qu’on catégoriserait comme poids… plume.

C’est que dans cette période considérée (les années 80), il y eut à foison des écritures, grandes irrégularités de langage, qui explosaient dans des petites revues de haute, de très haute tenue (Actuels, TXT, Serpent à Plumes, La Polygraphe etc ).

Ont-elles eu un simple écho dans Apostrophes ? Euh, peut-être mais comme ça, en passant, à la fin de l’émission. Un écho prolongé ? Jamais.

Reparlons BiBi (hé oui, encore) : c’est contre ces émissions où l’on ronronnait autour du Roi D’Ormesson (ou de Paul Guth) – contre eux, je n’ai rien ; contre ce type de littérature, j’ai tout – que mes goûts se sont forgés. Ainsi se traça pour partie ma trajectoire d’autodidacte.
Car des Maîtres d’occasion, rencontrés au hasard, j’en eus. Ils me guidèrent vers Georges Bataille (La Littérature et le Mal), Georges Haldas (Les Carnets), Blanchot, Artaud (Tome XII), les polars de Série Noire, Kafka (le Journal), Charles Juliet, Butor, Blake et ses poèmes etc. etc. Et vous savez comment ça marche et comment ça rebondit : on part d’un texte qui pousse à l’intertexte, à l’intertextualité et le rythme et le chemin des découvertes/révélations n’en finissent jamais.

Alors, d’Apostrophes, en ce temps-là, j’en étais à mille lieux lors de mille et une nuits de lecture.

Photos

D’un côté la défense d’une lecture d’accompagnement, de confort (pourquoi pas ?) ; de l’autre, la rage, les poings serrés, la jouissance, l’extase. Calaferte l’a dit excellemment : « …des livres qui vous soulèvent», des livres qui font effraction dans nos vies et qui ne nous lâcheront plus.
Bien sûr, il faudrait un travail plus précis, un travail de sociologue pour se faire une idée plus exacte de ce que fut l’omniprésence d’Apostrophes dans le paysage obligatoirement médiatique de la «littérature» de la fin du siècle dernier.

Sauf qu’à y réfléchir vaguement, Bernard Pivot m’a toujours fait l’impression d’être un second «Thierry Roland». Avec ce dernier, parler autrement de football était non toléré – non du fait du bonhomme mais plutôt du fait du dispositif médiatique existant alors qui couvrait toutes les autres voix. A cette époque, parallèlement à mes conduites littéraires, question football, je lisais les enragés de «Miroir du Football» contre les commentaires de L’Equipe, de Football-Magazine).

Et c’est bien là le fond du problème : aucune raison de contester le fait qu’Apostrophes ait existé mais tout au contraire, beaucoup à contester que cette émission ait capté de façon si massive la voix de ce qui est/était censé «être» de la littérature. Avec cette preuve que «Apostrophes», cette instance centrale, incontournable, cette place obligée du Marché littéraire de la Consécration (les Maisons faisaient un lobbying effréné pour faire passer leurs auteurs) promut au plus haut point cette figure «littéraire», figure qui fait encore ronronner lecteurs et lectrices de notre bon pays de France : Jean d’Ormesson.

Gribouillis

Ceux et celles qui me suivent savent sur quoi je me tourne et me retourne, vers ce qu’il en est de mes présupposés littéraires, forcément «injustes».
J’attends de la rage dans les écrits, des contestations contre les formes, de la lecture à haut-fourneau, des brûlures dont on ne se remet jamais, de la littérature de combat, de la littérature-comme-espace-relativement-autonome, de la littérature-gueuloir à la Flaubert, de l’étrangeté à la Walser, du punch façon Thomas Bernhard, de la beauté flamboyante à la William Blake, de la bataille entre le Nouveau et l’Ancien.

Bref de la littérature qui nous fasse rire aux éclats, qui nous fasse vivre, qui nous aide à tenir debout, contre cette littérature dont se moquaient Lautréamont, Cioran et Calaferte.
Bref une littérature qui (nous) résiste, qui nous forme et nous transforme.
De fond en comble.

Calaferte blog

*

PS : J’avais complètement oublié mais on m’a signalé entre-temps que… j’avais déjà écrit sur Apostrophes et Bernard Pivot dans un de mes premiers billets du blog. Bernard Pivot, quelques 25 ans après, se glorifiait d’avoir invité le grand écrivain Albert Spaggiari dans un Apostrophes Spécial Canaille… oubliant dans un élogieux article du JDD les antécédents d’extrême-droite du bonhomme.

5 Responses to « Des livres qui vous soulèvent ». (A propos d' »Apostrophes »).

  1. joelle dit :

    Apostrophe, l’époque où je me cachais sous la table familiale pour écouter …..J’étais sensée dormir 🙂 A 13 ans,Le rêve et la littérature se confondent…..que de souvenirs enfouis.
    Lire Proust à la lampe de poche….les religieuses qui sonnent à la porte de la maison ,pour signaler à mes parents que je n’avais pas des lectures adaptées à mon âge….C’est loin….mais indélébile .

  2. J’étais ado à l’époque et j’ai vite ressenti une espèce de ronronnement, d’entre-soi, de renvois d’ascenseurs … où la littérature apparaissait comme en dehors du monde. A l’époque, il y avait Polar comme contre-exemple.
    Je me demande d’ailleurs si Apostrophe n’a pas été en avance sur son temps avec ce genre de travers qu’on retrouve aujourd’hui souvent à la tv…

  3. Robert Spire dit :

    Je me suis intéressé dés le début à cette émission, j’avais 18 ans. A l’époque j’étais intrigué par la « pub » que faisait Pivot en invitant souvent les « Nouveaux philosophes ». Mais il invitait aussi leurs détracteurs, tel Alain Jouffroy, Bourdieu, etc…Grâce à cette émission j’ai lu aussi Braudel, Bukowsky… Malgré tout, beaucoup d’intellectuels n’y allaient pas. C’est vrai que cette émission a surtout propagé les idées néo-libérales et conservatrices, d’Ormesson, François de Closet, Alain de Benoist, Soljenitsyne, François Furet…

  4. […] Dans les années 1980, "Apostrophes" de Bernard Pivot était l'instance de consécration incontournable dans la littérature française. Mais ailleurs, on écrivait, on lisait autrement.  […]

  5. Mr Spire Soljenitsyne et son pavillon des cancéreux vous fera changer d’avis.je ne comprends pas que vous le mettiez dans cette liste.Sinon Pivot, une de mes amies de pensionnat était son bras droit.c’était un salon littéraire son émission et pas forcément audible et accessible au peuple du livre, souvent ennuyeuse et soporifique.Je peux dire que ce n’est pas grace à lui qu’ado je lisais.

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