Drôles de Paluches. (Une brève estivale).

Ecrire

De tout temps, j’ai eu l’envie d’écrire des Nouvelles, de les faire courtes, riches de détails, percutantes sur le final. J’ai déjà une infinité d’idées et de compositions à ma disposition, un bon lot d’ébauches romanesques et de récits embryonnaires, inachevés.

Penché toute la nuit dernière sur le bureau qui m’apparut soudainement étrange, inhospitalier, je suis resté planté là à vouloir composer un très court récit, une brève, une petite, une toute petite fable.

Juste, ai-je pensé, juste pour m’échauffer mais rien, rien, rien n’était venu.

Voilà deux jours et deux nuits que je suis enfermé dans cette chambre silencieuse avec le poste de radio pour seul compagnon. Fictions aussitôt évanouies, fragments sans queue ni tête, je n’ai pas encore écrit un seul mot. Bougon, impatient, je me gratte vigoureusement la tête, à la recherche de cette maudite première phrase.

Je jette un coup d’œil à la chambre. Au-dessus du lit défait, est accrochée une reproduction d’un tableau d’Edward Hopper. Dans un des coins de la pièce, une imposante armoire fermée à clé offre des veines douces, biffées en de nombreux endroits. Plus en retrait, dans une sombre alcôve, il y a un lavabo à la bonde fêlée et un miroir que j’évite de regarder.

La raideur de mon dos, mon immobilité dans la nuit me poussent à me lever de ma chaise et à m’avancer vers la fenêtre. Je tends ma main vers l’espagnolette et, d’une poussée vigoureuse, je repousse les volets. L’air sent la fraîche herbe coupée et apporte des bouffées de parfum du massif de chrysanthèmes qui court le long de la murette. A ma gauche, le jardin du Château s’étend à perte de vue. Pour un temps, je suspends mes sombres pensées et mon inquiétude.

Revenant dans la pièce, j’allume mon poste de radio. Je navigue sur la modulation de fréquence, m’arrêtant net sur le Requiem de Mozart qui correspond bien à mon humeur du moment. En montant le volume, je me demande, réchauffé par un brillant soleil de printemps, ahuri devant les trouées de verdure, si je ne dois pas abandonner toute idée d’écrire des Nouvelles.

Au bilan de ces deux journées, je suis resté stérile, butant sur ma phrase d’entame. Incapable de me concentrer, j’avais été repris par mes démangeaisons habituelles. Je me surprends à avoir la tête bien au-delà du jardin et des magnifiques allées de ce Château. Me vient alors à l’esprit d’abandonner définitivement la Nouvelle, l’histoire bien ficelée, le récit impeccable. Peut-être est-il temps d’inscrire les événements de ma vie par écrit, de les rassembler en une grandiose Confession ?

Une Autobiographie, c’est ça la bonne idée.

Implacable.

Incertaine.

Je me penche à nouveau sur le rebord de la fenêtre, yeux grands-ouverts sur les parterres colorés. Je n’ai pas encore pris garde à la brutale interruption du programme musical. Je ne décide de prêter l’oreille à la radio qu’à l’instant où le Commentateur à la voix grave donne la parole au Chef des Armées.

« Soldats, éructe le Généralissime, je compte sur votre soutien, sur vos cartouches et vos cartouchières, sur vos canons et canonnières. Je compte sur vos filets, vos fusils, vos bazookas. Je compte sur vous pour l’attraper, l’étriper, le passer à la trappe ! »

Suit une seconde intervention, toute aussi importante et solennelle. L’affaire dont il s’agit est suffisamment sérieuse pour que le Ministre vienne en personne seconder le Grand Officier sur les ondes. Il insiste à son tour sur la fuite de Manu, sur la dangerosité de ce Singe évadé du Zoo de Romans, énumérant les précautions à prendre, tentant maladroitement de rassurer ses auditeurs.

Puis, avant que les plages musicales ne reprennent leurs droits, le Rédacteur en Chef rappelle les antécédents de Manu-le-Singe-velu et s’attarde une nouvelle fois sur son échappée belle, sa spectaculaire évasion.

Je décide d’éteindre le poste et de revenir à ma table. Je me gratte la tête, me demandant toujours par quel bout commencer mon Autobiographie. Pendant que ma question reste en suspens, mes mains commencent à me démanger, froissant au passage des bouts de pages, tambourinant la table avec un crayon à papier. Je joue nerveusement avec mes gourmettes et mon collier doré. C’est bon signe, très bon signe.

 Je me jette alors sans discernement sur les pages blanches empilées sur le bureau et, d’une main pleine d’une vigueur nouvelle, j’écris le début fiévreux de ma Confession.    

Les mots arrivent, les vannes s’ouvrent.

Mes yeux fixent étrangement le ballet de ma main, détaillant l’épaisseur de mon poignet et sa solide ossature. Mes doigts boudinés tracent furieusement la phrase d’entame et ma patte velue délivre à toute vitesse mes premiers éléments biographiques.

« Manu.

Je m’appelle Manu et je suis né au Zoo de Romans ».

*

Tombé par hasard sur le concours 2016 de récits courts du site Sale-Temps-Pour-les-Ours, je me suis lancé un petit défi pour en écrire un. Participation mais nulle récompense. Du coup, quoi faire de ce petit texte, qu’en faire sinon le mettre en ligne pour d’éventuels lecteurs et lectrices ? Merci à vous pour votre temps pris à la lecture de ma petite singerie estivale.

One Response to Drôles de Paluches. (Une brève estivale).

  1. Robert Spire dit :

    1936-2016. Le Rojava, « Echappée belle ».
    https://www.youtube.com/watch?v=-Juv6livzCY

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