La Presse alternative existe, je l’ai rencontrée.

LA DECROISSANCE

On a une presse alternative. Il y a Fakir arrivé à nos oreilles et sur les écrans, un Fakir sur les clous avec son film Merci Patron, tout bardé de son opiniâtreté pour percer la puissante muraille Bernard Arnault. Il y a aussi le mensuel La Décroissance (prix à l’unité: 2,50 euros) plus confidentiel mais que je suis assez régulièrement. Un journal qui fait vivre la différence, qui fait réfléchir (même si des désaccords existent) et qui offre dans son dernier numéro des entretiens de qualité dans des articles de grand intérêt. Aussi feuilletons-en ensemble quelques pages.

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Invasion des imbéciles

Dans sa chronique habituelle, Alain Accardo revient sur Umberto Eco et une de ses dernières déclarations au Il Messaggero : «Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un Prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles».

Alain Accardo est en partie d’accord. En partie en désaccord :

«Ce qui me gêne dans le jugement d’Eco sur les réseaux sociaux, c’est qu’il ne distingue pas entre les effets émancipateurs de la technologie considérée et ses effets aliénants (…) Faute d’une formulation plus dialectique, la critique des excès des nouveaux usages de la communication risque d’apparaître comme un lointain écho à l’hostilité de l’Eglise Catholique Romaine envers l’accès des simples fidèles à la lecture et au commentaire des textes sacrés sous prétexte que ce serait une incitation à toutes les hérésies».

Et cette façon de voir peut «réactiver chez nombre de ses lecteurs intellectuels dans le meilleur des cas une forme de condescendance et dans le pire le mépris latent que les dignitaires des Eglises de toute obédience ont éprouvés généralement envers les rustres de leurs paroisses. Tant il est constant que les riches en capital culturel de toutes les époques se sont montrés, en dépit de leurs oppositions politiques affichées, plus solidaires qu’ils ne se l’avouaient avec les riches en capital économique».

Pour finir, Alain Accardo rajoute qu’il n’est pas inutile de «dénoncer ces réseaux sociaux» (contre la bêtise ambiante) mais que cette dénonciation doit porter aussi «en tant que trompe-l’œil contribuant à entretenir l’illusion d’un monde démocratique où chacun(e) est invité(e) en permanence à exprimer des opinions individuelles non seulement pour ne rien dire mais surtout pour ne rien faire».

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Autre entretien de très bonne facture, celui du sociologue Jean Baptiste Comby, auteur du livre «La Question climatique. Genèse et dépolitisation d’un problème public» Raisons d’Agir, 2015. JB Comby revient sur les années 70, période pendant laquelle «l’écologie sociale, portée sur la remise en cause du capitalisme, était si ce n’est dominante, sinon beaucoup plus forte. Aujourd’hui l’écologie politique, au sens fort de transformation de la cité, de remise en cause de l’organisation collective, a été marginalisée. (…) Elle n’est quasiment pas visible dans le débat public conventionnel, même si elle existe toujours et s’exprime dans d’autres lieux (…).

C’est l’écologie moralisante qui domine très largement. Cette tendance à se concentrer sur l’individuel et à déserter le côté social, collectif, structurel, peut être liée à la composition même du mouvement écologiste qui a beaucoup recruté au sein des professions de la connaissance, des instituteurs, des éducateurs (…). Dans la mesure où ce mouvement a toujours largement recruté au sein des classes moyennes et supérieures, fortement diplômées, il a pu rencontrer des difficultés à s’ouvrir à d’autres cultures politiques, plus structurelles. Là réside probablement une difficulté de son articulation avec le mouvement ouvrier voire même avec le mouvement paysan – même s’il existe une écologie plus populaire et plus combative, dans la Confédération paysanne par exemple».

ECOLOGIE 2

Autre entretien de bonne tenue avec Philippe Breton, auteur du «Culte de l’Internet» paru en 2000. Vous découvrirez ce billet sur la critique du Numérique de l’auteur en page trois et quatre du Mensuel.

Main dans livre

Et enfin, c’est avec effroi que j’ai trouvé ces quelques lignes d’une lettre d’un lecteur. L’abonné y rapporte un extrait d’article paru dans «Le Télégramme» (fév 2016) à propos de l’«Aide à la lecture : une tablette magique». Une tablette fabriquée par un sous-traitant chinois, tablette si «magique» que les textes de grands auteurs «ont été raccourcis et qu’on a conservé uniquement les passages où… il y a de l’action». Booouuuh !

N’oubliez pas quand-même : toute cette lecture nourrissante ( uniquement… sur papier) ne vous en coûtera que 2,50 euros.

One Response to La Presse alternative existe, je l’ai rencontrée.

  1. Robert Spire dit :

    Vue de la médiocratie, c’est une rencontre du « Troisième type »!:-)

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