Entretien avec Agnès Varda, cinéaste (1978).

BiBi se souvient des chocs émotionnels éprouvés lorsqu’il tomba sur les deux films d’Agnès Varda que furent «Cléo de 5 à 7» et «Sans toit ni loi».

BiBi a beaucoup aimé aussi la phrase d’exergue de Luis Bunuel pêchée sur le blog de la cinéaste: «L’imagination est notre premier privilège. Inexplicable comme le hasard qui la provoque». Il a retrouvé une interview de 1978 de la cinéaste donné à Jacqueline Jan (de l’hebdo France-Nouvelle). Il vous en livre ici des extraits empreints de générosité, de rigueur et de spontanéité,  de ces qualités qui font d’elle une cinéaste d’importance.

Cris et témoignages d’autodidacte.

Ce que je sens, c’est que beaucoup de femmes devenant cinéastes ont d’abord envie de parler d’elles. Constat, cri, témoignage, c’est souvent ce qui sort d’abord. Bravo. C’est bien le signe qu’il y a eu oppression et mensonge et occultage… disons que nous, les femmes, nous avons souffert d’occulture.

Et nous essayons doucement de réinventer notre culture : ça passe par des descriptions, portraits, des recherches d’identité…

Je suis allée vers le cinéma avec l’inconscience innocente des autodidactes. J’avais envie d’un film qui ne vienne ni du théâtre de boulevard ni de la littérature du 19e. Je ne connaissais que la peinture, la musique. Je voulais voir cinéma et écrire cinéma et filmer cinéma, sans même connaître le cinéma des autres. Ma naïveté m’a donné du culot.

Femme, féminisme.

J’ai voulu faire différent (…) Il ne faut pas transformer ce qui est de ma part un mouvement spontané, violent vis-à-vis du milieu du cinéma, en une espèce de conscience, de féminisme militant. J’étais subversive mais pas seulement en tant que femme. Plus tard, bien sûr, les choses se sont précisées dans ma tête. Les théoriciennes du féminisme m’ont beaucoup appris sur moi-même mais je n’ai jamais été une théoricienne du féminisme (…). En revanche, j’ai été une militante spontanée. Je fais confiance aux femmes et c’est déterminant. (…) J’ai toujours pensé que les femmes étaient capables. Et je continue de penser qu’elles sont plus prêtes à me comprendre, pour ce qui concerne mon corps par exemple. Or, ce qui m’avait frappée à l’époque, c’est qu’on me faisait confiance, mais comme à une exception (…)

Je suis passée de la spontanéité à la conscience féminine par l’intermédiaire du cinéma.

Nos films nous échappent et heureusement.

Je suis très contente si le film et ses personnages sont une matière vivante, s’ils ont leur propre vie en dehors de mon monde imaginaire ou de mes idées, mais je souffre un peu de voir que mes films sont pris comme des sujets à thèse. Je réclame le privilège d’être une artiste. Une artiste femme, pas une porte-parole ou porte flambeau.

Certains signes.

Ce que je sais, c’est que, avec les critères qui sont les miens, je fais la distinction entre ce qui est un bon film et un mauvais film (…). A l’intérieur des films que j’aime, je remarque que les films de femmes ont certains signes (…). Les films de femmes que j’aime le plus sont des films de proposition, des films d’ouverture. Ce que j’aime, c’est une réflexion, une approche différente. Ou un humour de révolte. Tout cela dans des «formes de cinéma».

Films de proposition. Les films que j’aime ne sont pas des propositions tyranniques mais des propositions utopiques. De même que les Grands Rêveurs – comme Jules Verne– ont d’une certaine façon précédé la science, je crois qu’il y a, dans la nouvelle rêverie des femmes, des propositions utopiques qui peuvent précéder une évolution des mœurs, une évolution psychologique en profondeur. Mais il nous faut laisser le temps de tout doucement refuser le monde imaginaire qui nous est proposé. Je crois que les femmes créatives les plus intéressantes ne cherchent pas à être en compétition avec les hommes. Elles ne se situent pas dans le même champ visuel, dans la même échelle des valeurs.

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