Y en a marre des sondages !

Les sondages ! Ils pullulent. Ils sont pris en considération. Pas seulement par les grands rédacteurs, éditocrates, dont on connait les critères sur lesquels ils sont recrutés et choisis par les Milliardaires (de Drahi à Dassault, de Bernard Arnault à Pinault). Ces mêmes sondages sont hélas commentés aussi par des internautes de gauche, par des responsables politiques insoumis, par des gens de l’extrême-gauche tout aussi bien. Je vois des Hourrah à la moindre poussée de Mélenchon et des moqueries en nombre à la baisse de Macron.

Et je te tweete et retweete qu’il est à 20% et je te tweete et je retweete que le Banquier-Président est plus bas que Sarkozy ou Hollande après un an de pouvoir etc etc.

Toujours rageant et désolant de voir des camarades et ami(e)s tomber inexorablement dans ce piège. Car piège il y a. En effet, si on ne s’attaque pas à l’existence de ces sondages, on continuera à ce que ces opérations de manipulation et d’intimidation restent des éléments déterminants de la vie politique.

Pauvre de nous.

Depuis la lecture des livres de Patrick Champagne (1990 et 2017), j’ai compris un peu en quoi il fallait les combattre. Et ce, sans relâche. Non pas, comme certains le croient, qu’il faille attaquer sondages et Instituts de Sondages sur leurs questions, sur leurs échantillonages et leur multiplication (encore qu’il y aurait à dire aussi là sur cette pseudo-scientificité). Non.

En premier, il faut aller utiliser les instruments de connaissance à notre disposition et ils sont légion (1). Il faut aller voir aussi l’histoire des sondages qui existent déjà dans les années 30 (2). Cette technique permettait d’instaurer en pratique, une forme moderne de «démocratie directe». Oui, revenir à l’histoire des sondages et de leur apparition et s’attarder à expliquer l’importance exponentielle des liens sondages/journalisme (surtout dans les dernières décennies). On pourra alors mieux comprendre le fonctionnement du champ politique (et de sa médiatisation continue aujourd’hui avec les télés-poubelles BFMTV, LCI, C8, les radios libérales FranceInfo, Europe1, RTL), on pourra mieux expliquer la domination, l’omniprésence de ces penseurs-par-sondages que sont les experts/sondologues/animateurs(trices) sur nos écrans, nos journaux, nos radios. De Calvi à Léa Salamé, d’Aphatie à Demorand, des Grandes Gueules au Quotidien de Yann Barthès, de David Pujadas à Laurent Delahousse, de Thomas Legrand à Laurent Ruquier, ils partagent tous une même foi : foi dans les sondages, foi dans le néo-libéralisme.

 

Hélas, la totalité des acteurs du champ politique à gauche – eux aussi – s’engagent dans la voie dominée par ces sondeurs, prennent acte des résultats, réagissent dessus, les commentent. Hommes et femmes de gauche, acteurs bien intimidés (3) devant l’apparence «démocratique» donnée par ces Opérations d’intimidation. Ils s’imaginent que les sondages donnent la parole à tout le monde, hop hop, sans se douter qu’ils approuvent de fait cette notion confuse, comme «allant de soi», notion guère interrogée d’«opinion publique».

Oh bien sûr, parfois certains s’arrêtent à une protestation contre la manipulation dans les questions et/ou les réponses, dans les soi-disant intentions cachées des commanditaires que sont les Instituts de sondages etc, oubliant que «l’essentiel est joué avant même la rédaction du questionnaire dans le simple fait de choisir d’interroger un groupe d’individus» («LES Français», «LES lycéens», «LES Musulmans») et ainsi les voilà qui acceptent de fait ces découpages préconstruits de la réalité sociale.

*

Un internaute est venu me voir en posant ce tweet :« Mais c’est précisément mon point : les gens peu intéressés s’occupent peu des sondages, les gens intéressés s’en occupent mais ont leur opinion déjà faite ».

Admirons la démonstration qui veut dénier l’importance politique des sondages qui envahissent quotidiennement le champ mediatico-politique, parti-pris qui ignore le poids de ces journalistes (de leurs Rédactions nommées et choisies par leurs Boss millardaires).

Notre internaute veut ignorer ces commentaires quotidiens dont nous abreuvent ces journaleux qui pérorent à longueur d’émission et d’articles en brandissant les résultats des sondages qu’ils ont commandés. C’est bien via les sondages (et la pensée-par-sondage qui y est associée) qu’ils répercutent sur la place publique quasi-quotidiennement leur approbation libérale. Notons au passage que ces Commentateurs enquêtent de moins en moins sur le terrain (sauf pour nous livrer leurs obscènes micro-trottoirs).

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur leur façon de travailler et leur emploi du temps. Ils doivent être occupés à la lecture des rapports livrés tout chaud que leur envoient les Think Tanks (Institut Montaigne entre autres), à la lecture des sondages et à leur regard rivés sur les réseaux sociaux. Cloués à leurs fauteuils de l’Entre-Soi médiatique, il ne faut pas s’étonner que ces Editocrates et la plupart des Journalistes de Rédaction ignorent de plus en plus le climat réel du pays.

C’est tout bénéfice pour nos bons apôtres (guère besoin de citer ici ces Experts des Matinales ou ces Informé(e)s du Soir) : le sondage a «l’avantage d’être économique en temps de travail et d’avoir toutes les apparences de la scientificité».

Voilà pourquoi je ne désespère ni de voir Mélenchon reculer dans les sondages, ni de voir Marine Le Pen chouchouté à nouveau par nos Chiens de Garde. Voilà pourquoi je ne m’enthousiasme pas que Macron titille les 20%. Que là-dessus, je hausse les épaules.

Et que là-dessus, je continuerai à combattre toute pensée-par-sondage.

*

(1). Outre les deux livres de Patrick Champagne, il y a l’article de Pierre Bourdieu dans Choses Dites (pages 22 et suivantes : L’Opinion Publique n’existe pas).

(2). Au moment des Accords de Munich, un sondage fut réalisé (dans des conditions certes très imparfaites) : 37% se déclarèrent contre. Ce sondage resta dans les cartons de l’Institut de sondage et n’eut donc pas d’existence pour les contemporains.

(3). J’ose l’hypothèse 1. que ces acteurs de gauche ne voient même pas le problème que posent ces sondages (méconnaissance des travaux d’alertes de sociologues cités plus haut) et hypothèse 2. qu’il y a, chez beaucoup, hélas, un manque de curiosité, de travail, de réflexion critiques sur cette question-là, pourtant hyper-importante. (Et SVP, pas de sondages pour voir et savoir si mes hypothèses sont ou non vérifiées).

3 Responses to Y en a marre des sondages !

  1. Un partageux dit :

    « je ne désespère ni de voir Mélenchon reculer dans les sondages, ni de voir Marine Le Pen chouchouté […] »

    Bon, je veux bien comprendre que Latrine La Haine ne représente pas ton idéal politique. Et je veux bien accepter qu’elle n’est pas ton type de femme. Néanmoins, dès que la gente journaliste se préoccupe d’elle, elle est plutôt chouchoutéE.

    Concernant les sondages, un mien camarade qui a fait naguère quelques études de commerce, avait appris en maths statistiques que le moindre sondage sur les goûts des Français en matière de petits pois ou de choucroute était sans valeur s’il n’était pas assis sur un panel de X% de la population. Ce qui donne un panel tournant autour de 25 000 ou 30 000 personnes interrogées pour 65 millions d’habitants.

    Voici plus de quarante ans le prof de maths statistiques enseignait à ses étudiants la défiance à l’égard des sondages dans le domaine du commerce. Mais cela ne saurait s’appliquer dans le domaine politique. ;o)

  2. KB-19 dit :

    Excellent

  3. Robert Spire dit :

    « Déchiffrer le monde – Contre-manuel de statistiques pour citoyens militants »(Nico Hirtt) « Ce livre a pour but de donner les outils de base qui permettront de démonter toutes les manipulations de chiffres dont nous abreuvent les médias. »
    Ce bouquin paru en 2007 n’est plus dispo en librairie, mais en pdf sur le net.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *