Mots pauvres, riches correspondances.

 Les Mots Pauvres

Tout à coup, s’imposèrent les deux tweets. Ils m’arrivèrent de biais, comme surgis du ventre de la baleine. Deux tweets, deux uppercuts que je mis aussitôt en ligne sur le ring des Réseaux Sociaux, ce 8 avril.

1. Elle me disait : « Flots de paroles ? Ton naufrage est proche. Accroche-toi plutôt à un mot, ce sera ta bouée »

2. Elle me disait : « Tu te tais et tu crois observer le silence mais sauras-tu admettre un jour que c’est le silence qui t’observe »

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Episode 1 : Depuis plusieurs semaines, mes petits travaux d’écriture empruntent des chemins de traverse, ils préfèrent les bifurcations, les ruptures de ton – comme si quelqu’un d’autre insistait pour les écrire en lieu et place du moi. Ainsi tombèrent trois billets à ce jour (avec une vingtaine de tweets en moyenne par billet) sur ma page d’accueil. Ces enchevêtrements Twitter, arborescences à 140 caractères maximum, se sont déployés autour d’un incipit invariant : «Elle me disait».

Curieuses paroles flottantes.

Petites vagues imposées et dites par quelqu’une d’Autre.

Twitter

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Episode 2 : Ce matin, me rendant à la Bibliothèque de la Ville, je fis comme à l’habitude : j’ai parcouru les allées, déambulant entre les rayons et les étagères sans idées vraiment arrêtées sur le futur choix de mes livres. Pas question cependant de laisser le hasard seul décider. Au fond, je garde toujours ce secret espoir d’une découverte livresque qui changerait le Monde (le mien) de fond en comble, d’une découverte d’un livre-frère (… comme d’autres attendent, sur les Chemins de l’Amour, de trouver l’âme-sœur). La surprise et le contentement se conjuguèrent sur ce titre-ci : «Les mots pauvres» publiés chez Cheyne Editeur. Collision, correspondance, appelez ça comme vous voulez, les deux tweets mis en ligne le 8 avril me revinrent en mémoire et firent entrechoc. Les mots pauvres vinrent en écho direct à mes «flots de paroles», à mon «naufrage proche» de mes tweets.

Ce sera donc ce livre-là : «Les mots pauvres» de Christiane Veschambre dont la quatrième de couverture dit à peine que c’est son troisième ouvrage.

Ce sera toi, Christiane. Car, bien entendu, ce ne pouvait être qu’un prénom de femme.

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L’histoire est simple : un matin d’hiver, l’héroïne se réveille muette. Curieuse maladie inexpliquée. Est-ce d’ailleurs une «maladie» ? Elle continue d’entendre mais son quotidien – en maison de campagne ou en appartement de ville – change du tout au tout. Son «aphasie» devient une chance. Du dedans de son mutisme qui s’écrit au rythme des Quatre Saisons, naissent des mini-chapitres précis, condensés, lucides.

Débarrassée de ses masques, l’héroïne voit mieux, entend mieux («Après toutes ces semaines de silence, c’est seulement maintenant que je commence à entendre les autres»), se parle mieux que jamais à elle-même et à cet autre, à son homme, à ce «nom d’amour» qu’elle tutoie. Outre les petites choses quotidiennes, ses rencontres, ses rires, l’héroïne aborde aussi certains territoires de lecture – la poésie – en la lisant autrement. Avec la poésie, la lecture de sa vie prend un virage à 360 degrés. «Je ne peux plus commencer ma journée sans lire un poème. Avant je ne savais pas lire la poésie (…) La poésie m’impressionnait. Je pensais n’être pas suffisamment intelligente pour elle (…)». Elle choisit de se lire «à haute voix intérieure» des textes de langue étrangère (ici le russe qu’elle ne connaît pas) pour être au plus près du «sentiment de la chair de la langue».

Une femme : ce ne peut être qu’une femme pour écrire ainsi, une femme, c’est-à-dire un être en recherche et en découverte de ses idiomes personnels : «Selon les circonstances, se souvient l’héroïne, j’ai su parler aux autres le langage qu’ils attendaient : le leur»), une femme à distance ténue de la «chair de la langue», distance sur laquelle peu d’hommes tiennent la distance (intime conviction-bibi). Rien d’étonnant donc à ce que ce livre soit le livre élu de ma quinzaine. Seules informations non anonymes : l’auteure est née en 1946, a déjà publié, vit à Paris.

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Compte Twitter

C’est dans le cours de ma lecture que les deux tweets firent retour avec force : ils me revinrent à peine corrigés, touchant à ma vie hors-blog emplie de flots de paroles et de bavardages, chargée d’assommantes parlottes professionnelles ou encore de conversations d’usage polies, respectueuses (si nécessaires hélas, soient-elles) mais sans relief et sans aspérités vitales.

« Elle me disait : « Flots de paroles ? Ton naufrage est proche. Accroche-toi plutôt à un livre, ce sera ta bouée ».

 « Elle me disait : « Tu te tais et tu crois observer le silence mais sauras-tu admettre un jour que c’est le silence qui t’observe ? »

Un jour ? Peut-être pas.

Une Nuit, beaucoup d’autres Nuits : peut-être, oui.

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 Ainsi vont les livres que l’on aime, ils nous ramènent toujours vers ces points où nos vies pivotent, légèrement, profondément, vertigineusement.

Nommons ces écarts «bienfaisants vertiges du Déplacement».

4 Responses to Mots pauvres, riches correspondances.

  1. Un partageux dit :

    Off frais du jour !

    Off cocotte.

    Off mimosa.

    Off dur.

    Je twiterais ces mots s’il fallait les twiter
    Pour qu’un jour nos enfants sachent qui vous bloguiez.

  2. Robert Spire dit :

    « Avec la poésie, la lecture de sa vie prend un virage à 360 degrés »….Mais alors l’héroine est revenue à son point de départ??
    Les blogueurs sont de pauvres twitts « oiseaux de toutes les couleurs ».

  3. BiBi dit :

    @Robert Spire
    Elle revient à sa place antérieure mais après avoir éprouvé le Vertige du Déplacement.
    Du coup le virage est devenu une spirale.

  4. Robert Spire dit :

    L’effet « spirale ascendante »!

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