Rimbaud à Chypre : un CDI interrompu.

Lorsqu’on sait qu’Arthur Rimbaud (26 ans) posa les pieds sur l’île cypriote lors du mois d’avril de l’année 1880, on se souvient immanquablement – en admirant les Montagnes sauvages du Troodos (Photo 2) – de ses 4 petites lignes fulgurantes :

«Elle est retrouvée

Quoi ? L’éternité

C’est la mer allée

Avec le soleil».

« La mer allée avec le soleil » : Rimbaud a pu la voir plus à l’Est, du côté de Potamos Tou Lipetriou (près d’Agia Napa), mais il n’aurait pas reconnu cette côte massacrée par les promoteurs d’aujourd’hui et il se serait désolé des bateaux de pêche présents uniquement pour les yeux de touristes russes.

Sans le sou, réclamant de l’aide familiale, Rimbaud s’arrêta sur l’île pour tenter de trouver une place dans les carrières de pierre de l’intérieur des terres, précisément au-dessus du village de Pano Patrès, dans la région des Montagnes du Troodos. Terre bénie aujourd’hui des randonneurs et des cyclotouristes, havre de paix pour les habitants fortunés de Nicosie, cette région (point culminant : le Mont Olympe) offrit une place de contremaître à celui qui avait erré des semaines durant sur les plages de la côte Sud.

Le poète de Charleville – qui avait abandonné l’écriture depuis cinq bonnes années – aida à la construction d’un Presidential Cottage, résidence d’été pour nantis britanniques (réservée aujourd’hui à la Présidence de Chypre et à la Nomenklatura du pays). On dit que le Poète se désengagea de son contrat pour un dignitaire anglais le jour d’un accident qui arriva à un ouvrier de l’équipe que Rimbaud dirigeait. L’engueulade fut si importante que les employeurs anglais donnèrent aussitôt congé à Rimbaud qui se retrouva avec seulement 400 francs en poche. Regagnant Limassol, Rimbaud prit la décision d’embarquer pour Alexandrie puis Aden, le 20 juillet 1880.

Si un jour, vous vous attardez dans le coin de Pano Patrès, évitez l’Office du Tourisme : la préposée à l’Office de Platrès ne connait ni Rimbaud ni son œuvre. Peut-être avait-elle reçu des ordres des Anglais (encore maîtres de ce pays) pour faire silence sur ce CDI interrompu sans autre forme de procès ? 🙂

Il reste cependant cette lettre émouvante que Rimbaud adressa à sa famille, le 23 mai 1880 et qu’il posta à Limassol. Deux mois après sa demande d’aide pécuniaire à sa famille (Photo 3), Rimbaud, licencié, poursuivit son périple en gagnant Suez via Alexandrie pour arriver enfin à Aden.


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