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Trois auteurs à la hauteur.

Trois auteurs à la hauteur.

Jane SAUTIERE : Avec le livre de Jane Sautière («Nullipare») chez Verticales et celui de Jean-Louis Fournier, c’est la question de l’Enfant ou encore celle de l’Enfant… en question qui est au centre des lectures présentes de BiBi.
BiBi avait assisté, en bibliothèque, à une présentation du premier livre de Jane Sautière par elle-même «Fragmentation d’un lieu commun» (la prison). Le second ouvrage est de la même trempe : des petits textes tissés, un canevas qui mêle instants présents, souvenirs enfouis chez une héroïne qui interroge cette fois-ci «l’ahurissant mystère de ne pas avoir d’enfant comme on interroge l’ahurissant mystère d’en avoir». Dans le vertige de ses déplacements (lac Léman, Bayonne, Venise, Beyrouth, le Cambodge, Paris), elle accroche, elle s’accroche à la moindre vibration du Dehors, ce Dehors qui la qualifie de «nullipare». C’est à Lyon qu’un radiologue indifférent lui jettera ce signifiant au visage et à son corps tout entier. C’est une Onde de choc, un raz-de-marée qui envahira les pages de sa vie. De cet état en devenir (quel devenir pour une Femme sans enfant ? mais on continue de vivre, d’écrire), il faudra dès lors trancher dans le vif du sujet («J’ai inventé ma vie, comme tous») et continuer de rêver malgré tout («Si je ne rêve plus, il m’arrive d’avoir des enfants imaginaires. Parfois cela bondit en moi de façon saugrenue»). Oui, continuer de rêver à ce rêve doublement increvable d’avoir été enfant et de porter – malgré tout – cet enfant imaginaire.
Dans un dernier  bond, voilà l.héroïne, ménopausée, qui s’allonge sur un banc de sable, là voilà en prise avec ce corps du dernier temps de son âge, qui est un mensonge et une vérité :

«Sous le ciel noir de l’orage et le soleil tout ensemble, devant l’océan et le ressac, les bleus et les verts, dans l’odeur organique de ce pétrissage, à côté des puces de mer que mes doigts déterrent, je suis avec tout cela dans un présent indépassable, non pas tous les temps, mais ce temps-là, celui d’un moment, un présent non pas éternel (pas de présent sans la conscience de la mort), mais le présent mortel de la vie».

Jean-Louis FOURNIER : A l’opposé, Jean-Louis Fournier («Où on va, papa ?»), père de deux handicapés, Mathieu et Thomas. Le père oscille entre l’humour et le désespoir, se raccrochant à ce seul diagnostic que ses enfants «ont de la paille dans la tête ». Le sens de l’humour n’est là, nécessaire et un peu vain, que pour dissimuler les terribles désillusions qui suivirent l’après-naissance ( Celle-ci, entre autres : «Quand Thomas a grandi et que, rapidement son handicap s’est révélé, il n’a plus jamais reçu de cadeau de son parrain»). On croule sur les anecdotes qui, accumulées, nous font éprouver une empathie paradoxale. BiBi, lecteur et père, croise les chemins de Jean-Louis Fournier, le suit dans ses chapitres jusqu’au point où il se détourne en bénissant le Ciel de n’avoir pas touché les mêmes lots à la «Loterie génétique».
«Thomas adore dessiner et peindre. Il est plutôt de tendance abstrait. Il produit beaucoup, il ne retouche jamais après ».
BiBi a aimé les doutes du bonhomme et l’humour qui sauve : «Quand je parle de mes enfants, je dis qu’ils ne sont «pas comme les autres», ça laisse planer un doute».
François Tosquelles, le psychiatre, disait que chaque homme se devait de jouer sa folie et de la réussir. Ceux qui échouent dans les hôpitaux ou les IMP ont, quelque part, rater leur folie. Ceux de Jean-Louis Fournier n’eurent même pas le choix.

Pierre LEGENDRE : En lecture croisée, tout en regardant les reportages insensés de l’enterrement de Mickaël Jackson, BiBi a repris ce petit opuscule de Pierre Legendre («La Fabrique de l’Homme Occidental»). Là aussi, il lui vient des picotements électriques : «Mais, qui nous assure que tout cela n’est pas fou ? Les arts, toujours premiers pour dire la vérité » et encore, tout en pensée à l’Enfant Jackson sans enfance, perdu dans ses peluches :

«Fabriquer l’homme, c’est lui dire la limite (…) Les fils sont destitués, l’enfant confondu avec l’adulte, l’inceste avec l’amour, le meurtre avec la séparation par les mots. Sophocle, Mozart et tous les autres, redites-nous la tragédie et l’infamie de nos oublis.
Enfants meurtriers, adolescents statufiés en déchets sociaux, jeunesse bafouée dans son droit de recevoir la limite, votre Solitude nue témoigne des sacrifices ultramodernes
».