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Immortel Joao Gilberto.

Je ne sais comment j’ai découvert Joao Gilberto. Peut-être dans mes années d’enfance, via ma mère.  Je l’entends encore dire combien elle adorait cette chanson « Garota de Ipanema ». Une chanson que bien plus tard, elle retrouvera, plongée dans Alzheimer, doigts légèrement remuants sur le bois du lit de sa chambre, à l’écoute de la même voix inimitable de Joao Gilberto.

C’est plus probablement au cours de l’année 1973 que je devins accro de cette voix inégalée à l’écoute (et à maintes ré-écoutes) de ce magnifique album blanc. Pas d’explication sur le trouble qui me prenait. Dès les premiers chuchotements, grain de voix lancinant, phrasé mouillé inimitable, timbre au tempo inédit, si parfaitement distinct de tout ce que j’entendais alors, Joao Gilberto me subjugua. L’admiration fut instantanée, sans retenue devant ce couplage renversant : une voix et la langue «brésilienne».

Du jamais vu lorsque j’avais débarqué à Amsterdam au Musée Van Gogh dans les mêmes années. Du jamais lu avec le tome XII des Œuvres d’Antonin Artaud. Du jamais vu encore à la découverte plus récente des films d’Abbas Kiarostami. Du jamais entendu avec « E Preciso Perdoar » « Eu vim Da Bahia » ou encore « Aguas de Março« . En ces années là, dans mon Panthéon d’adolescent, il y avait le fascinant Jim Morrison déjà enterré au Père-Lachaise, les premiers albums de Léonard Cohen (autre médaillé d’or) et voilà que tranquillement, Joao Gilberto s’installait sur mon banc sans plus jamais le quitter.

Une tête de turc. Il arrivait sur scène sans trop se préoccuper de son public. Les applaudissements à son entrée en scène l’agaçaient. Il grattait les premières notes sur sa guitare et commençait à chanter, quasiment dos au public, encore moins fort qu’à l’habitude. Des murmures à peine audibles qui obligeaient le public au plus grand silence. Ainsi voulait-il et obtenait-il le recueillement maximal de son public.

Un borderline qui ne vivait que dans son art à parfaire, avec des exigences de tyran lorsqu’en tournée, il s’agaçait de l’inconfort de sa chambre d’hôtel ou de bien peu incommodants bruits de la rue.

Unique Joao Gilberto. Musicalement, parfaitement entouré. Le 18 et 19 mars 1963, il est à New York pour l’enregistrement de ce LP qui –avec Stan Getz – allait le propulser au sommet. Ce disque jazzy – avec en traduction américaine et en voix, sa première femme, Astrud Gilberto « The Girl From Ipanema» sera single de l’année 1965 – fut récompensé aux Grammys (titre de l’album de cette même année). Décisive rencontre avec Stan Getz. C’est avec lui qu’il allait connaître une gloire internationale.

JOAO GILBERTO : « Être en paix est une belle façon d’être. Comprendre et être compris en est une autre. Je trouve la paix lorsque je suis dans une relation de vérité avec une autre personne. Stan est une personne que je comprends et qui me comprend bien que nous ne parlions pas la même langue. Même si nous ne pouvons échanger un mot, l’amour que nous portons à la musique est suffisant pour que nous soyons devenus amis.

Nos échanges, principalement avec l’aide de nos femmes respectives [Astrud Gilbert et Monica Getz] sont parfois amusants. Je fais de mon mieux pour parler anglais et Stan fait appel à toutes ses connaissances en langues latines. Quand il me donne son avis, je m’exclame souvent : « Wow, c’est exactement ce que j’étais en train de dire… ». Cela arrivait si souvent qu’une nuit je me suis dit : « Je ferais mieux de dire mon désaccord une fois ou deux car je vais passer pour un imbécile ».

Comme Léonard Cohen, Joao Gilberto connut des déboires en fin de vie. Déboires financiers : il dut vendre 60% des droits de ses premiers albums pour survivre. Déboires familiaux : sa troisième femme, Claudia Faissol, annula ses tournées et obligea le chanteur à rembourser. Sa fille Bebel Gilberto (dont la mère était Miucha, sœur de Chico Buarque) obtint de le mettre sous tutelle. Reclus, vivant le plus souvent en pyjama, il dut changer de quartier à Rio, passant ses dernières années dans un logement mis généreusement à disposition par Paula Lavigne, épouse de Caetano Veloso. Une fin qui rappelle celle de son autre ami, Antonio Carlos Jobim, mort sans le sou.

Tristeza. Saudade.

Fernando PESSOA.
L’ALBUM BLANC.