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«Je suis vieux, pas nostalgique et je vous emmerde» (1)

BiBi se demande s’il n’est pas touché par le phénomène de la ventriloquie. Cette nuit, il a écouté une voix – celle de son Double – qui lui chantonnait ce curieux refrain : «Je suis vieux, pas nostalgique du tout et je vous emmerde».

Infantilisation et Désir de régresser.

D’un côté l’infantilisation prônée à vitesse grand V par le Marketing et les Publicitaires, de l’autre, le désir increvable chez l’adulte (30-60 ans) de régresser. L’un ne va pas sans l’autre. Les deux axes sont solidaires et traversent le Corps social dans son entier – particulièrement dans ses couches moyennes.

Mon Ami Quinqua.

Lorsqu’il m’a demandé si j’étais inscrit à CopainDavant.com (12 millions d’inscrits en France) ou si j’étais allé sur Photo-de-classe.com (130.000 clichés en ligne), il a souri à ma réponse négative.

Mais je n’ai pas aimé ce rictus narquois. Du tout. Et, furieux, je lui ai crié sans raison : « Je suis vieux, pas nostalgique et je t’emmerde ». Sans raison ? voire.

Lui, il avait retrouvé ses potes de Troisième du lycée en 1970 et a cherché à savoir personnellement ce qu’ils étaient devenus. Après le premier contact, ils n’avaient plus rien à se dire. Il m’a ensuite rajouté [en sourdine] : «J’ai même retrouvé celle qui m’a dépucelé».

Machine arrière toute.

Ces retrouvailles en ligne témoignent des pulsions régressives qui, si vous refusez de les satisfaire, vous fait passer pour un ringard. C’est ce qu’explique le psychologue clinicien Michaël Stora : «Avec les réseaux sociaux, chacun peut renouer avec son passé, retrouver une période de sa vie d’il y a plusieurs années, au moment où celui-ci réalise qu’il devient adulte. C’est le désir de régresser».

Il ne s’agit pas d’un besoin de se réapproprier son propre passé, d’en faire un bilan pour aller de l’avant mais d’échapper au présent en se polarisant à l’extrême sur le Passé, sur son passé.

Peur du Conflit.

Nous sommes dans une période d’évitement des conflits. Même les syndicats parlent de «partenaires sociaux» en rencontrant les Représentants Patronaux, jamais d’«adversaires sociaux». A l’échelle individuelle, les Vieux jouent aux Jeunes. Du conflit de générations, on n’en veut plus. Du coup, on fabrique une masse indifférenciée de mutants ( les «Kidults», contraction de «Kids» et d’ «Adults»).

On écoute la zizique de son fils, on se colle du tee-shirt «Che» sur son ventre bedonnant, on joue à la Lolita malgré ses culottes de cheval, on sort sa Play, on se rue au Cinoche pour voir Harry Potter ou Shrek 4.

Adultes atteints de crétinitude.

Ils refusent le MOURIR, l’angoisse qui nourrit l’Humain et l’Incertitude qui fait vivre. Ils se bardent de marques – les mêmes que les gars de 20 piges-, ils se gavent de jeux-vidéos ( aux USA, 75% sont des adultes et leur âge moyen 32 ans). Passé la cinquantaine, ils sont encore plus aveugles. Ils ne sont pas vieux, ils sont «Seniors». Ils sont dans le déni, regardant sans ciller le mot d’ordre obscène de la Pub Virgin («Ne vieillissez pas trop vite»). Derrière ces modèles, ils ne devinent pas l’Obscénité et la Violence symbolique. Pour un peu, ils ne sont pas loin de croire dur comme fer au Grand Fantasme du Libéralisme : «Achetez ! Suivez les Conseils du Marché et vous deviendrez immortels».

Eh bien, moi, Refrain : «Je suis vieux, pas nostalgique et je vous emmerde».

Refus de la Séparation.

On ringardise ceux qui décrient l’effacement des frontières entre générations. On se moque de ceux qui veulent assumer leur présence changeante et douloureuse au Monde. Merde à ceux qui ne veulent pas reconnaître le Temps qui passe. Merde à ceux qui écartent sans cesse les difficultés toute humaines à éprouver ces passages vitaux, inéluctables.

A suivre… (Part 2 : Le temps de reprendre mon second souffle).