Paroles (sans musique) de Mlle Carla.

Paru dans Agora Vox, le 15 février 2008. 
Qui connaissait Carla Sarkozy avant l’Interview-Express? Jusque-là, pas grand monde. Oh bien sûr, on la… reconnaissait : il suffisait de naviguer sur les Tours-Operators de Google pour que tout s’affiche: les cuissardes, la bague au doigt, les photos sous tous les angles, les jeans subtilement délavés, les chemisettes texanes.

C’est vrai qu’à l’instar de toutes les égéries (Lancia pour Madame), à l’instar de beaucoup de stars de la mode et de nombreux top-models, elle se montrait sous toutes les coutures, mais restait plutôt bouche cousue. Cultivant le paradoxe – grande tendance de nos intellectuels contemporains – elle se voulait démodée dans la mode, peu bavarde mais susurrant ses refrains suaves et sucrés. Depuis ce dîner chez l’ami Jacques (Séguéla), elle cultivait l’aphasie et le mutisme, jouant à la grande et très belle muette. C’était certainement pour cette raison qu’elle était devenue le point de mire des internautes : chacun pouvait lui faire dire ce qu’il voulait. Madame se taisait, se terrait (sauf sur ces deux terres contraires que sont la Jordanie et Disneyland). Elle était dans la lignée des femmes silencieuses, à l’image des sirènes d’Ulysse qui n’avaient pour seules voix au chapitre que leurs terribles et ensorcelantes chansonnettes. Il fallait donc briser ce silence et corriger sa copie… en Express de préférence.

Pourtant, avant cette première officielle, il y eut d’autres interviews, celle de chez Evène où elle fut rédactrice en chef d’un jour. Là, elle se présentait déjà : exacte aristocrate et poétesse d’aujourd’hui, sérieuse, posée, modeste, un brin d’humour, à l’impressionnant capital culturel d’autodidacte ( !). Madame n’y prenait pas position sur les tendances du moment – de peur de se faire rabrouer. Elle se regardait plutôt dans le miroir des XVIIIe et XIXe siècles. Madame convoquait dans notre champs culturel William Blake, Flaubert, Dostoïevski, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Dante, Pessoa, Dickinson, Goethe, Shakespeare et Nerval (Ah Nerval ! qui est « la beauté folle »). Carla, fille du feu d’accord, mais pas non plus tout à fait rebelle : elle ne contestait pas l’ordre établi, mais elle se (nous) persuadait que la vraie vie était ailleurs, dans cette adhésion à des valeurs « démodées ».

« Plus en phase avec les mots anciens qu’avec ceux d’aujourd’hui »
Evidemment, Madame préfère ces terrains-là où le commun ne peut la contester. Quel est le fat ou le niais qui oserait tenir Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Eluard, Char, Aragon et Nerval, Pavese et… Pasolini (oui oui ces deux derniers sont cités dans l’Interview-Express !) pour artistes contestables ? Gageons que Madame doit parfaitement connaître la littérature américaine, les femmes progressistes d’hier, les allumées du XIXe et qu’elle leur restera fidèle « jusqu’à la mort ».
 
Profits de distinction obligent : elle se qualifiera de « post-moderniste » comme il sied à tout bobo de notre temps. Avec cette préférence, cette fascination pour la poésie, choix instinctif d’autodidacte.

– Qu’est-ce qui vous touche dans la poésie ?
– Sa densité. Elle est le contraire de notre époque où l’on dit très peu en beaucoup de phrases. Là, on dit beaucoup en peu de mots.


Courageuse comme son mari, elle n’est pas non plus exempte de prise de position : « Je ne suis pas une politique, je n’ai pas forcément un esprit polémique, je signe rarement des pétitions, et je ne crie pas sur les toits pour qui je vote, mais, au sujet des tests ADN proposés ou imposés aux migrants qui veulent venir en France pour vivre en famille, mon indignation a été immédiate ».

Louable et terriblement tendance (imaginez cela comme centre des conversations de l’anniversaire du mari !) sauf qu’on cherche en vain une remise en cause, genre « Ne vous inquiétez pas, je vais dire ma colère à mon homme, je vais en toucher deux mots à Hortefeux ». En dire deux mots ? D’accord mais en Express car Hortefeux a beaucoup de travail en ces derniers temps (de rafles).
Il y eut aussi cette interview de Psychologies (cette revue bon chic bon genre, boboïsée, qui voudrait nous psychologiser le social). L’échange datait un peu : on ressortait les fonds de tiroir (2002) pour faire la Cosette.
Sitôt la première question posée (« Vous êtes issue d’un milieu très favorisé… »), la réponse de Madame a fusé, corrigeant illico l’idée arriérée n’est-ce pas que le bourgeois, ce n’est pas un cochon, que, non, non, ce n’était pas comme dans la chanson, « plus il devient bête, plus il devient C… » Non, non, pas cochon, le bourgeois d’aujourd’hui. Madame protestant, un brin agacée : « Mais je ne viens pas de la bourgeoisie bornée. Mon père était industriel, mais aussi compositeur et directeur de théâtre. Ma mère était pianiste. C’était un milieu d’artistes ». Et, plus loin dans ce dialogue rare, l’art y est vu par Madame comme un refuge, ultime refuge de nos chers, très chers milliardaires.
Un refuge évidemment et non, comme le criait Courbet, un combat.

– Pour Dickinson, l’écriture était un refuge. Utiliseriez-vous également ce terme ?
– Oui, ce mot correspond à ma vision de la poésie, de la musique et de l’art.

Le côté artiste, très séduisant, vient en complément idéal de l’idéologie contemporaine du pouvoir. Au monde humaniste et posé de l’art, s’accole cet autre monde où l’on chante une autre chanson. Pour preuve, l’incapacité de Madame à inviter à l’anniversaire de son mari un seul des penseurs vivants d’aujourd’hui (Jacques Chancel et André Glucksman avaient décliné l’invitation ?).
 
Citons-les quand même : Didier Barbelivien, Michel Sardou et son épouse, Anne-Marie Périer, Johnny Hallyday (pour les artistes), Martin Bouygues, le conseiller de Paris, Pierre Charon, Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d’Édouard Balladur, directeur général du groupe Arnault et administrateur de Carrefour, IPSOS et LVMH, le couple incontournable Isabelle et Patrick Balkany. Invitées aussi ces femmes de pouvoir économique, peu exposées aux paparazzi, mais au top du goût trèèèèès très chic : Agnès Cromback présidente du bijoutier Tiffany-France et Mathilde Agostinelli, responsable de communication de Prada-France, belle-sœur de Pierre-Jérôme Hénin qui est lui-même porte-parole adjoint de l’Elysée. Cette chère Mathilde est mariée à Roberto (ancien banquier d’affaires ayant travaillé un temps pour la banque Lazard et qui a été très proche de l’ancien RPR). Avec, pour couronner la Soirée, M. Loyal, charmant grand Penseur publicitaire (Jacques Séguéla). Sans oublier la sainte famille : la mère de Carla Bruni, Marisa, et Dadu, la mère du chef de l’État.

Comme l’ont très bien développé Luc Boltanski et Eve Chiapello dans Le Nouvel Esprit du capitalisme (Nrf Essais Gallimard), nous sommes ici à la croisée idéologique des temps présents, dans l’alliance sulfureuse et insupportable de l’artiste et du milliardaire. Mme Carla Sarkozy voulait euphémiser le côté séduction du pouvoir pour ne retenir que le pouvoir artistique de séduction. Son mari fait, lui, l’inverse. Délicieux mariage des genres. Rôles apparemment contraires, mais terriblement solidaires.
Et toujours dans cette interview de célibataire, cette grande dame démodée, ne nous avait pas laissés partir sans revenir une dernière fois sur son chemin passé de mode :

« La mode ? Pourquoi un métier frivole ? Parce qu’il est lié au vêtement ? J’ai toujours considéré que ce métier était privilégié, mais jamais je n’ai pensé qu’il était frivole. Vous savez, à Normale Sup’, vous avez beaucoup de cuistres qui pensent qu’apprendre, c’est savoir. De même, dans le milieu de la mode, on rencontre des personnalités très complexes et très riches  ».
 
Le dernier couplet fut superbe :
 « Les gens ont de plus en plus besoin de fréquenter leur âme et c’est tant mieux. J’imagine que, quand Freud a mis à jour l’inconscient, il a failli se faire lapider, mais, maintenant, c’est un soulagement de pouvoir se dire : « J’ai un inconscient qui fonctionne d’une certaine manière, j’ai une âme et elle peut souffrir ».

Voilà belles âmes, vous avez une âme et elle peut souffrir.
Quant à l’autre souffrance – la sociale – je suppose que son mari Nicolas, aucunement « accroché à son pouvoir… ce qui le rend courageux » (sic) s’en occupe.

Allez, c’est un peu tard mais… bon anniversaire, M. Nicolas, nos vœux les plus sincères.

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