Infanticide.

Infanticide

« Je n’ai jamais su ce que c’était d’être un enfant. Je sais juste que quand il a fallu en avoir un, j’étais d’accord. Avec le deuxième, j’étais d’accord aussi. Et j’ai eu la troisième. Quand j’étais enfant ? C’est ça que vous me demandez ? On m’a dit que, déjà bébé, on m’avait bâillonné pour pas que j’embête mon père avec mes cris. Enfin, c’était il y a longtemps et il y a longtemps qu’il est parti. Je ne me souviens plus. Quand j’arrivais à l’école, je cachais mes hématomes sur les bras, sur les jambes. Si j’ai rien dit, c’est parce qu’il fallait embêter personne. Autrement je prenais encore plus de coups si maman avait su ça…

Je voyais mes camarades de classe, leurs mamans venaient à la porte de l’école, avec le goûter en main, leurs baisers sur la joue, je me disais, c’est normal, ma vie ne doit pas ressembler à celle-là, elle ne peut pas être comme celle-là, c’est comme ça. Je rentrais de l’école et le nouvel ami de maman ne me supportait pas : ça faisait déjà le troisième qui venait à la maison. Lui, il était plus nerveux que les autres. Et il buvait plus et il me tapait fort, très fort. Il avait des bagues à la main droite et c’était ça le plus difficile, éviter les marques quand il tapait. Surtout au visage.

On a dit plus tard que maman était pauvre. Non, c’est pas vrai, on avait la télé, je l’entendais quand ils me mettaient au placard après les coups de ceinturons. Ils laissaient fort le son de la télé, c’était les mercredis matin, ils ne travaillaient pas, ils étaient dans la chambre d’à côté, j’écoutais les épisodes de Dragon Ball Z. Ils étaient en japonais. Je connaissais la chanson par cœur. Non, ça ne m’a rien fait tous les cris de haine récents que j’ai entendus sur moi, c’est comme avant, j’ai l’habitude, je suis méchante, je n’ai jamais bien travaillé à l’école, c’était normal de n’avoir jamais eu de copines.

Un soir, l’ami de maman est rentré, il a fait deux bisous à mes sœurs et il m’a sorti du lit. C’était la nuit. Il m’a fait boire une bouteille entière de vin. J’ai bu avec lui à la cuisine. J’avais sommeil mais il voulait que je reste là. Il a pris ma main et il me l’a écrasée sur la table. J’ai dit à l’école une semaine après que j’avais mis les doigts dans la porte de la cuisine. Maman était d’accord pour que je dise ça. Je ne peux plus plier mes doigts maintenant, regardez. Heureusement, c’est la main gauche.

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Je ne comprends pas pourquoi je dois vous raconter tout ça Madame, je sais que ça doit bien exister dans d’autres familles ce genre d’histoires, c’est normal. Vous dites que vous avez besoin de m’écouter pour comprendre ce que j’ai fait. J’ai eu trois filles, c’est comme moi avec mes deux sœurs, ça fait trois filles qu’elle a eues, maman. Quand j’ai eu mes deux filles moi, j’étais sûr que le troisième allait être une fille. J’ai vu qu’au début Tiffany était en retard par rapport à Caroline. J’étais comme ça moi aussi avec mes soeurs aînées et c’est parce que Tiffany allait me ressembler que ça a exaspéré moi et mon ami. Ce n’était pas comme avec les deux premières. Même dans mon ventre, on sentait que Tiffany n’était pas comme elles deux. Quand on l’a mis dans la douche froide, elle ne criait pas, Tiffany, elle se laissait faire et elle n’a plus bougé. On s’est dit qu’elle était sûrement morte. Elle ne bougeait plus.

Je comprends bien que les gens ne m’aiment pas. Je comprends qu’on me crache dessus. Je crois qu’il faut bien s’occuper des enfants. Ils ont raison tous ces gens, tout ça ce n’est pas bien et moi quand ce n’était pas bien, je le savais, je donnais des coups, ça me soulageait, ça me soulageait et après j’étais comme reposée. Je vous assure, Madame, j’étais reposée».

5 Responses to Infanticide.

  1. rosaelle dit :

    C’est tellement stupéfiant, comme texte. C’est elle qui a dit ça? Pauvre enfant…comment peut-on maltraiter quand on a maltraité?
    Heureusement, 90 % des parents qui ont été maltraités ne reproduisent pas le schéma mais sont de bons parents.
    Je crois en tout cas, qu’on sous-estime encore la violence maternelle, dans notre imaginaire.
    Merci de ce partage, même si il est très dur.

  2. Robert Spire dit :

    Une belle illustration (extrême) de ce conseil du Pr H. Laborit: »Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les Hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent, tant qu’on n’aura pas dit que, jusqu’ici, c’est toujours pour DOMINER les autres, il y a peu de chance qu’il y ait quelque chose qui change. »

  3. michelle Brun dit :

    Il fait froid aujourd’hui sur la France « encore heureux qu’on va vers l’été » enfin bref, tout ça pour dire qu’on reste au chaud, on traine sur la toile après le café tartine beurrée/confiture et on lit les twitts du jour comme ça au réveil après la promenade du chien……… Pourquoi faut il que je lise toujours en premier les messages de Bibi ?…….. mon café ne va pas passer vite une autre nouvelle, ne pas rester sur celle-ci…..

  4. Isabelle dit :

    Et bien c’est trop triste de lire ce type d’histoire, malheureusement on voit des choses comme ça de plus en plus.

  5. BiBi dit :

    @Isabelle
    Et parfois – en une seule personne – le meilleur côtoie le pire.

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