Elle me disait… (14)

Elle 14

Elle se demandait souvent comment les écrivains trouvaient le temps d’écrire. Quand elle sentait en elle le désir du Romanesque, elle n’avait pas toujours un crayon et du papier à portée de main et elle ne se précipitait pas pour aller en chercher. Cela ne la désolait pas car, au fond, ce qui l’intéressait n’était pas l’acte même d’écrire.

Ce qui la tenait et la retenait, c’était qu’elle aimait ressentir les premiers signes d’un bouleversement intérieur tout en continuant de rester active et immergée dans le réel. Il était difficile pour quiconque de percevoir son soudain état de possession intérieure, son agitation mentale où les mots affluaient à si grande vitesse. 

Elizabeth Taylor

En la regardant si calme, si absorbée dans les lourdes tâches quotidiennes, nul ne pouvait l’imaginer brûlante pour elle-même et si effacée, si absente pour les autres.

Elle aimait laisser ses pensées aller à leur guise. Tant d’histoires étaient nées ainsi ! Tant de textes l’avaient traversée de cette façon ! D’autres se seraient précipités pour noircir aussitôt un brouillon, consigner à tout prix l’histoire dans un carnet ou écrire consciencieusement une page d’un journal intime. Ils auraient maudit ces proses perdues mais, pour elle, non, non, rien n’était perdu.

Elle était au-delà des pertes, elle ne recherchait aucun profit, elle s’en moquait.  Traverser ces minutes heureuses que la Vie lui offrait, obéir à ces sommations intérieures : il n’y avait pas de plus beau cadeau.

Comment les écrivains trouvaient du temps pour écrire ? Question étrange, se dit-elle. De toute sa vie, elle n’avait consigné une seule ligne noir sur blanc, elle ne s’était jamais arrêtée pour fixer ces flux continus dans de simples cahiers, elle avait ignoré les carnets, les pages blanches ou tout autres supports

Elle ne reconnaissait pas cette alternance de temps de jachères et de temps de moissons : «Autant que je me souvienne, se justifia t-elle simplement, ça n’arrête jamais. En moi, jamais, jamais ça ne cesse de s’écrire».

Des fois on se croit à la mer

*

Elle me disait : «Ton écriture à l’heure du slalom : crispation dans le texte court, bavardage dans le texte long».

Elle me disait : «Ne t’embarrasse pas de livres qui sont le plagiat de toi-même».

Elle me disait : «Coupe court au rire des cyniques. Oppose-leur ton rire sans calcul».

Elle me disait : «Ne crois pas une seule seconde au Paradis sur Terre. Mais une minute, tu peux ».

Elle me disait : «Ce souvenir fort de s’asperger le visage à l’eau froide de la source. Et folle ma joie de petite fille».

Elle me disait : «Tête froide, cœur gai».

Elle me disait : «Tous ces mots qui vous sautent au visage et vous transfigurent».

Elle me disait : «L’invisible est sous tes yeux».

Elle disait 1444

Elle disait : «Avec un petit livre à mes côtés, je n’ai jamais peur des fauves».

Elle disait : «Les défaites de nos attentes n’entameraient pas notre joie de vivre ? Pas si sûr».

Elle me disait : «Lecteur affamé tu es. Et solidaires, les textes que tu lis crient famine».

Elle me disait : «Être rebelle : incontournable. Être rebelle : insuffisant».

Elle me disait : «Retrouver la fougue des vingt ans. Y ajouter la gravité des expériences des cinquante».

Elle disait : «Tout est beau dans la rencontre : la table du bistrot, le battement de tes cils, les bruits de la rue et le réveil rageur du populo».

Elle me disait : «Solitude grandissante. Un ou deux arbres. Un bosquet puis une forêt. Et la Mort en Amazonie».

Elle me disait : «Gammes répétées. Tours de pistes multipliés. Pages et pages noircies. Tout cela n’a de prix qu’à effacer la performance».

Elle me disait : «Il se sentit soudain très vieux lorsqu’il comprit que Miley Cyrus n’était pas du tout un nuage».

Elle me disait : «Derrière le sourire horizontal, la tristesse verticale».

Elle disait : «J’aime les pensées vagues et les trains qui partent à l’heure».

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2 Responses to Elle me disait… (14)

  1. jostretto dit :

    «Ne crois pas une seule seconde au Paradis sur Terre. Mais une minute, tu peux ».

  2. Elle me disait, je suis…

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